Les débats à visée philosophique à partir de textes mythologiques
Par École élémentaire Albert Petit le 07 janvier 2019, 19:03 - Lien permanent
D’où est-ce parti ?
La genèse de ce projet s’est faite en deux temps.
Tout d’abord suite à une conférence de M. BOIMARE à propos des enfants empêchés de penser. Il y présentait le fruit de sa réflexion et son expérience acquise auprès de collégiens en grande difficulté scolaire. Son postulat est que le fondement même de la réflexion est déficient : capacité à imager la pensée et donc à créer des représentations mentales, à articuler ces représentations, à accepter le doute et le fait que les autres puissent avoir un avis différent et valable. Sans cela, toute discussion où des avis divergent devient alors une situation vécue comme violente car ils n’ont pas les outils leur permettant de participer à la discussion, les empêchant ainsi que de se créer leur opinion personnelle. Pour cela il conseille de « nourrir » culturellement ces enfants. Le but est aussi de créer une culture commune afin de leur montrer qu’eux et « ceux qui réussissent » procèdent d’une même humanité et que leur difficultés ne sont ni une fatalité, ni une honte. Les textes mythologiques ou initiatiques remplissent très bien ces deux critères : nourrissage culturel et création de lien.
Le deuxième temps correspond à une formation aux débats à visée philosophique où une conseillère pédagogique vint expliquer comment les mettre en place et surtout quel en est l’objet : philosopher (et non la philosophie !). Philosopher est une attitude, un regard. En ce sens elle se rapproche de la démarche expérimentale en sciences par l’importance donnée au doute. La première règle du débat, telle qu’énoncée avec les élèves, est qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Sans cela, sans cette accord tacite qu’il n’y aura ni gagnant – ni perdant – à cette discussion, alors un grand nombre d’élèves ne peuvent surmonter la peur du regard des autres. Beaucoup d’entre eux hésitent à prendre la parole (au début… heureusement, cela change au cours de l’année) par crainte des moqueries. Ainsi, s’il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse, on ne peut se tromper. Et il devient donc permis de douter, de changer d’avis ou au contraire de le conforter.
Quel objectif pour quel programme ?
L’objectif à long terme de l’école est de permettre à chaque élève de devenir un citoyen à part entière. L’homme étant un animal fondamentalement social, il est important de développer chez les élèves le plus tôt possible les compétences relationnelles, et cela de manière active, en leur permettant de devenir conscient des changements que cela opère chez eux. Afin de pouvoir participer à la vie démocratique, il est nécessaire de pouvoir débattre, c’est-à-dire échanger des arguments (la plupart du temps en vue d’une décision à prendre : la parole devient alors action).
Qu’en disent les programmes de l’éducation nationale ?
Apprendre à DIRE : les élèves apprennent à participer de façon constructive aux échanges avec d’autres élèves dans un groupe pour confronter des réactions ou des points de vue.
Apprendre à ECRIRE : les élèves apprennent à écrire un texte d’une à deux pages adapté à son destinataire.
Pour cela, ils apprendront à :
- Structurer leur propos en faisant attention aux choix des mots et leur place dans la phrase en vue d’écrire leur avis argumenté.
- Identifier et mémoriser des informations importantes, leurs enchaînements, mettre en relation ces informations, avec les informations implicites, à repérer et prendre en compte les caractéristiques des différents genres de discours (récit, compte rendu, reformulation, exposé, argumentation) ainsi que le lexique et les références culturelles liés au domaine du texte entendu.
Afin de mettre en lumière ce qui rapproche les différents textes mythologiques (plutôt que leurs différences), le choix a été fait de faire découvrir plusieurs mythologies : la mythologie grecque est abordée en premier pour son importance dans l’héritage culturel français. Cette imprégnation favorise l’apprentissage du rituel que constitue le temps du débat car les élèves peuvent plus facilement se concentrer sur les règles à suivre pour débattre. Vient ensuite la mythologie égyptienne car elle offre beaucoup de points communs avec la mythologie grecque tout en ayant de fortes différences. En troisième, c’est la mythologie nordique qui est évoquée : nombre d’œuvres récentes font références aux personnages nordiques. De plus, les écrits les plus anciens datent du 13eme siècle : la transmission de ces mythes était surtout orale ce qui permet de faire toucher du doigt aux élèves l’importance des traces écrites (certaines histoires peuvent avoir un personnage principal différent qu’elles viennent du Danemark ou de Suède, tout en restant identiques dans leur structure). La quatrième mythologie abordée est la naissance de Rome. Il est intéressant à ce moment de l’année de leur montrer en quoi les romains avaient été influencés par les grecs, notamment chez les dieux dont seul le nom a changé. Les textes étant plus difficiles d’accès que ceux sur la mythologie grecque, il vaut mieux l’aborder en fin d’année, lors de la quatrième période lorsque les élèves ont, pour la plupart, acquis les règles du débat. Quant à la dernière mythologie, il s’agit des aventures des chevaliers de la table ronde. L’idée centrale est que la table étant ronde, il n’y avait plus de différences entre les différents chevaliers. De plus, cela permet de montrer les difficultés qu’il y a à régner et à trouver un consensus car les actions d’Arthur en tant que dirigeant paraissent bien trop timides aux élèves qui ont rencontré jusqu’ici des personnages usant de violence assez fréquemment et sans état d’âme. Cela permet de lier tout le travail de l’année fait autour de la citoyenneté et la place de la violence dans la résolution des conflits.
Séance-type
On pourrait faire l’analogie entre une séance de débat (d’environ 1h30) et la photographie argentique. Il y a trois étapes : l’exposition, la révélation et la fixation. D’abord « impressionner » les élèves en leur racontant une histoire dont ils tireront des impressions premières, ensuite révéler ce qu’il peuvent penser de ces premières impressions grâce au débat oral, finalement fixer leur opinion personnelle qui aura pris forme suite aux arguments échangés pendant le débat.
Cette dernière partie sera d’autant plus efficace que l’enseignant.e fera prendre conscience aux élèves qu’il n’y a pas de honte à changer d’avis, qu’il n’y en n’a pas non plus à ne pas changer d’avis.
Chaque étape dure environ trente minutes.
- Lecture de l’histoire (l’exposition)
Les élèves écoute l’histoire choisie par l’enseignant.e, puis l’histoire est résumée au tableau afin de vérifier que les élèves en ont retenu les principaux éléments. Les personnages y sont aussi indiqués ainsi que leurs caractéristiques les plus marquantes (par exemple Zeus est le dieu des dieux, Hadès le dieu des enfers, Héphaïstos le dieu des forges, Seth le dieu de la colère, etc.)
- Débat (la révélation)
Les élèves se disposent en cercle, l’adulte se met en retrait. Au début de l’année il donne la parole, mais rapidement il délègue cette responsabilité à un.e autre élève. L’élève en charge du bon déroulement du débat va d’abord rappeler les 5 règles (Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, on a le droit de ne pas parler mais le devoir d’écouter, on a le droit de parler mais le devoir de lever la main et d’attendre que l’on nous donne la parole, on ne dit pas « je ne suis pas d’accord avec toi » mais « je ne suis pas d’accord avec ce que tu dis », on s’adresse à la communauté entière et non à une seule personne), puis les élèves donnent leur avis sur l’histoire en respectant les règles. Afin de démarrer les premières fois, on leur demande ce qu’ils auraient fait à la place des différents personnages.
- Production d’écrit (la fixation)
Les élèves reprennent leur place et sortent leur cahier de production d’écrit. Il écrivent ce qu’ils pensent et/ou ce qu’ils n’ont pas eu le temps de dire. L’adulte donne l’orthographe des mots qu’ils ne connaissent pas car les élèves doivent surtout réfléchir au choix des mots et leur place dans la phrase. Il convient donc de leur faciliter la tâche en éliminant pour eux les hésitations lexicales.
Une fois que les cahiers de production d’écrit ont été corrigé (un autre jour que celui où a eu lieu le débat… la mise à distance temporelle est importante pour montrer l’importance de l’écrit et du choix des mots : les élèves ne se souviennent pas toujours de ce qu’ils voulaient dire lorsqu’ils se relisent un ou deux jours plus tard. Ils doivent apprendre que celui ou celle qui écrit doit penser à ses lecteurs ou lectrices, que seuls les mots restent et qu’eux seuls sont les vecteurs de sens), l’enseignant.e lit à voix haute les textes qui présentent l’une des deux caractéristiques suivantes : soit c’est un texte avec une très bonne syntaxe ou du vocabulaire rencontré rarement, soit c’est un texte contenant une idée qui n’a pas été évoquée lors du débat. En moyenne, il s’agit d’un cahier sur 2 ou 3. Puis les élèves copient leur texte corrigé dans un cahier de débat (différent du cahier de production d’écrit) en s’appliquant, en le décorant, en le mettant en valeur de toutes les manières possibles. En fin d’année, ce cahier contient 36 textes : un pour chaque semaine passée à l’école. A partir du vingtième texte, il est utile de faire lire silencieusement aux élèves leurs propres écrits. Et de leur poser ensuite la question : « Qu’en pensez-vous ? ». Ils peuvent alors évaluer concrètement leur progression : progression en production d’écrit mais aussi et surtout en rigueur argumentative. Quel meilleur souvenir qu’un élève en grande difficulté répondant : « Avant j’écrivais beaucoup, mais cela ne voulait rien dire. Maintenant j’écris moins, mais c’est plus intéressant. » ?
Paroles d’élèves en 2018-2019
(morceaux choisis : les élèves répondaient à deux questions : Comment sait-on qu’un débat est réussi ? Que penses-tu des débats ?)
« Il y a des débats hétérogènes et des débats homogènes, cela dépend du livre et de la manière de penser des enfants. » (Kilian)
« Je pense que les débats sont biens parce qu’on apprend des choses sur les autres. » (Mariame)
« On peut voir un débat réussi quand on a toujours des arguments, on s’écoute, on est d’accord et pas d’accord donc on argumente. On a des questions à poser. On s’écoute les uns les autres. Je pense que débattre est intéressant car on s’exprime, on apprend, on a des rôles, on réfléchit puis on pense puis on apprend de nouvelles mythologies, de nouveaux personnages, on écrit, j’adore.» (Aaliya)
« J’adore les débats parce que j’entends l’avis de tout le monde et le débat nous fait réfléchir, argumenter, justifier, parfois contredire ou approuver les arguments des autres. » (Mathis)
« Moi, je pense que c’est bien parce qu’au moins on apprend à parler tous ensemble. Et en même temps je n’aime pas parce que, déjà, cela prend trop de temps et, du coup, après on n’a pas assez de temps pour écrire sur le cahier de production d’écrit. » (Lola)
« Je n’aime pas les débats parce qu’à chaque fois il y a des frères qui tuent les autres. » (Anes)
« Un débat est réussi quand tout ceux qui ont des questions ont leurs réponses. » (Ethan)
« [Un débat est réussi] quand tout le monde participe » (Kainy)
« Moi j’aime et je n’aime pas le débat parce que des fois il est raté ou réussi et parce que aussi des fois on n’a rien à dire. » (Alyson)
« Pour moi, un débat c’est bien car on peut entendre les avis des autres et c’est bien : comme ça on peut voir si on est pareil ou si on n’est pas pareil. » (Dina)
« [Le débat est réussi quand] tout le monde est bien installé et bien silencieux et quand tout le monde dit son avis, et ça, ça donne envie de réfléchir. » (Jean)
« Un débat réussi l’est quand les gens comprennent des choses, sont intéressés, s’améliorent et s’en servent dans la vie quotidienne. » (Siméon)
Article rédigé par P. Buntzly, enseignant à l'école élémentaire A. Petit