UCHRONIE et ARTS PLASTIQUES

UCHRONIE
CULTURE ARTS PLASTIQUES
 
© “En dessous“, Roland Cat, encres sur kaolin, 1980 


Dans les arts plastiques, l'uchronie souvent éclipsée
Uchronie
Par Mikaël Faujour
Publié le 27/12/2020 
Tandis qu'un hors-série spécial uchronie est actuellement disponible en kiosque, "Marianne" joue les prolongations sur Internet. Qu'en est-il de la réinvention du passé et des possibles non advenus dans la culture et les arts ?
Si la littérature et le cinéma sont des médiums propices à la narration, la fiction et donc l'uchronie, les arts plastiques le sont moins. Cependant, dans quelques œuvres fortes de l'art du demi-siècle écoulé, le « et si... » fictionnel rejoint souvent la science-fiction ou la dystopie, soit un futur imaginaire plutôt qu'un présent alternatif. La rareté de telles œuvres tient aussi à la marginalisation de la figuration, seule capable de porter la narration et la fiction. Pendant des décennies, effet des formalismes et aventures avant-gardistes, la représentation figurée a été écartée ou minorée – sauf exceptions.
Beaucoup d'artistes, sans doute, ont résisté aux modes, s'opiniâtrant à figurer – et beaucoup restent sans doute à (re)découvrir. Parmi ceux qui ont imaginé un autre cours de l'histoire, il y eut Roland Cat (1943-2016), peintre de métropoles noyées sous les eaux, parcourues de dauphins, baleines ou tortues placides. Atmosphère de grand silence mystérieux, nature sauvage reconquérant un monde où de l'humanité ne restent que les traces de sa démesure technicienne et urbanistique : ses œuvres fixent un imaginaire, que le début de XXIe siècle a davantage exploré. Sans aller jusqu'à l'ensevelissement, un Claude Lazar ou un Christian Kervoalen composent des visions d'un monde où l'homme aurait soudain disparu – un monde absurde alors, de rues sans vie ni mouvement – qui, à la lumière du confinement de printemps, avaient quelque chose de visionnaire –, de maisons, salles de spectacle, gymnases, dortoirs vacants.
ENTRE SCIENCE-FICTION ET MONDE MEILLEUR
“Parallel Worlds” (« Monde parallèles ») : c'est le titre qu'a donné le Polonais Michał Karcz à son univers de photomontages (et à son site internet), entre post-apocalyptique, science-fiction et paysagisme romantique. Quant aux paysages en noir et blanc de la Rennaise Angélique Lecaille, aux volumes linéaires inspirés par la géométrie des minéraux, aux éclairages violents réminiscents du cinéma expressionniste, aux montagnes aiguës, ils évoquent aussi bien le monde qui naît... que celui qui serait issu d'un cataclysme majeur.
Plus acerbe et « politique », le Tchèque Filip Hodas met en image, dans ses créations numériques en 3D, des personnages de divertissement et objets de consommation de masse à la façon de vestiges industriels rongés par la rouille et mangé par les végétations : boîte Happy Meal, Mickey, Hello Kitty ou Bob l'Éponge, cannette de Coca-Cola... Par le miroir déformant d'un futur imaginé, l'artiste montre, sous forme de découvertes archéologiques, notre présent comme vulgaire, ridicule, dérisoire, comparé aux civilisations mayas ou khmers.
Est-ce par crainte du kitsch ? Peu en tout cas s'aventurent à peindre un monde meilleur. On trouve cependant des œuvres douces et profondes chez le peintre Éric Roux-Fontaine (jusqu'au 10 janvier, galerie Felli à Paris) ou chez le « naïf » Lucien Pouëdras  (jusqu'au 31 décembre 2021 à l'écomusée de Saint-Degan, Morbihan) : des rêves arcadiens d'harmonie entre hommes, bêtes et plantes. Sans doute la BD est-elle plus riche en l'espèce ? L'album Utopique !, de Vito, imagine par exemple un monde appliquant les principes de simplicité volontaire et de sobriété énergétique. Loin des caricatures de « retour à la bougie », c'est une vie désirable qu'il donne à imaginer, où la lenteur fait retrouver la mesure de l'homme.
ARCHÉOLOGIES IMAGINAIRES
Certains artistes – les plus « uchronistes » peut-être – ont inventé des archéologies imaginaires. C'est le cas du couple Anne et Patrick Poirier, dont le premier grand travail était une maquette de douze mètres sur six de la ville antique d'Ostia Antica. Ils ont aussi réalisé d'étranges cités démesurées, froides, babyloniennes, rappelant la cité de L'Immortel de José Luis Borges. Plus récemment, l'exposition-blockbuster « Treasures from the Wreck of the Unbelievable », de Damien Hirst au Palazzo Grassi de François Pinault, à Venise, plaçait le visiteur au cœur d'une fiction : la découverte d'un navire romain qui aurait coulé avec des trésors antiques – fabriqués ad hoc pour l'exposition à coup de millions.
Enfin, de nombreux artistes contemporains traduisent une inquiétude face aux avancées d'une science et de la technologie et leur imaginaire de toute-puissance. Modifications génétiques, homme « augmenté » par la robotique, transformations chirurgicales, transhumanisme : ils explorent le possible d'une « science sans conscience » laissée à elle. Les arts figuratifs s'en font ainsi le relais : sculptures de Choi Xooang ou Patricia Piccinini, dont le traitement « hyperréaliste » de créatures hybrides homme/animal/machine accentuent le trouble ; freaks et hybrides des peintures de Gabriel Grün ; aliénation aux technologies dans les peintures d'Alex Gross ou les dessins de Laurie Lipton...
A contrario, chez les tentants d'un art « incarné », littéral (body art, performance), on passe aux travaux pratiques, revendiquant la filiation au transhumanisme avec la greffe de prothèses technologiques, en particulier Stelarc, Neil Harbisson ou Moon Ribas...
 
Par Mikaël Faujour

 

 

 

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