DU DRAPE

Les beaux dessous du drapé

Sabine Gignoux, à Lyon le 02/01/2020

Le Musée des beaux-arts de Lyon consacre jusqu’au 8 mars 2020 une superbe exposition au drapé. Confrontant une sélection de 248 œuvres allant de la Renaissance à nos jours, rythmée par des peintures, des sculptures, des photographies, ainsi que des films, les plissés se révèlent pleins de surprises.

Anne-Louis Girodet de Roucy-Trioson, étude de draperie pour Scène de déluge, 1806 / © Musée d’arts de Nantes  / Cécile Clos

Prisonnière d’un « drapé mouillé », ciselé dans un marbre virtuose, typique du baroque napolitain, la Donna velata (1717-1720) d’Antonio Corradini fascine à la fin de l’exposition du Musée des beaux-arts de Lyon. Cette sculpture, prêtée par le Louvre, serait-elle une Allégorie de la Foi, comme le prétend le cartel ? Le nœud et le plissé soulignant le bas-ventre, le voile dénudant subrepticement un sein, paraissent bien impudiques…

Son énigme est révélatrice des merveilleuses ambiguïtés du drapé dans l’art, cette étoffe destinée à cacher, à soustraire, autant qu’à souligner, à exalter, tel un piège à fantasmes. Depuis l’Antiquité, ce motif n’a cessé de stimuler l’imagination des peintres, des sculpteurs, ou récemment des photographes. Pourtant, peu d’historiens d’art avaient exploré jusqu’ici ce vaste sujet.

Yves Saint Laurent rhabille le Musée des tissus

Éric Pagliano, historien d’art, et Sylvie Ramond, directrice du Musée des beaux-arts de Lyon, ont disséqué pendant cinq ans un millier d’œuvres, de la Renaissance à nos jours, pour préparer cette exposition.

Leur sélection finale, qui fait la part belle aux dessins (130 sur 248 œuvres), est rythmée par des peintures, des sculptures, des photographies, des films, dans une alternance aussi sensible que poétique.

Grâce à la Maison de la danse de Lyon, six vidéos de chorégraphies contemporaines jouant du drapé comme d’un cocon, d’un carcan ou d’une voile, donnent vie aux mouvements que suggère, ailleurs, la muette agitation des plis…

Secrets d’atelier

Le parcours plonge d’abord sous les drapés pour dévoiler les secrets permettant d’architecturer ces étoffes. De rares mannequins de bois articulés des XVIe et XVIIIe siècles, une poupée de chiffon grandeur nature, des figurines en cire recouvertes de morceaux de tissu ou de papier, ou encore une toile enduite de terre savamment dressée pour créer un manteau à capuchon témoignent des artifices d’atelier.

En regard, des dessins de Raphaël, Michel-Ange, Grünewald ou Fragonard nous invitent à ouvrir l’œil : ici l’ovale marqué d’un visage, là les deux triangles inversés en place du buste et du ventre, ailleurs la raideur d’une jambe trahissent l’emploi de mannequins.

Dans la main de Léonard de Vinci

Les artistes complétaient souvent ces croquis par d’autres, réalisés d’après le modèle vivant. À l’image de Gustave Moreau, qui multiplie les études pour son tableau Salomé dansant devant Hérode.

« Ne peignez jamais une figure drapée, sans l’avoir dessinée nue », rappelle ainsi Watelet dans son Dictionnaire des beaux-arts (1788). Même si, montre plaisamment l’exposition, tel modèle masculin croqué au crayon peut se muer, une fois enrobé, en madone.

Des plis très expressifs

Idéal pour érotiser la beauté d’un corps ou, au contraire, l’escamoter, tels ces haïks blancs des femmes marocaines posant en 1918 devant l’objectif du psychiatre Gaëtan Gatian de Clérambault, le maître de Jacques Lacan, le drapé peut exprimer aussi des émotions.

Voyez comme il chute en cascade sur ce Pleurant sculpté au XVe siècle, comme Rodin le déchire en lambeaux sur une silhouette voûtée, pour mieux accentuer la défaite de ses Bourgeois de Calais ! Quant aux Migrants photographiés dans la rue par Mathieu Pernottout enveloppés d’un drap ou d’un duvet, ils racontent le froid et la pudeur des misérables, mais leurs rêves aussi…

Parfois, le drapé prend ses aises, oublie le corps dont il s’émancipe. À l’image de cette stupéfiante Draperie volante, dessinée par Girodet en prélude à une Scène de déluge. Le vent, la pesanteur, toutes ces forces invisibles transparaissent ici par la grâce d’un tissu tumultueux.

On retrouve ces tourbillons dans les plis du Saint Christophe gravés par le Maître H. L., les esquisses en terre exubérantes du Bernin, qui se moquent de la vraisemblance pour privilégier le dynamisme et l’élévation spirituelle.

L’empreinte de corps absents

Dans les dernières salles, les gants cabossés dessinés par Fernand Léger, les photos de lits froissés d’Alix Cléo Roubaud, les draps brodés suspendus au mur par Luciano Fabro, comme une grande toile vierge, suffisent à suggérer l’empreinte de corps absents. Un lourd pan de feutre brun, dressé et fendu par le sculpteur minimaliste Robert Morris, s’ouvre comme une majestueuse encolure où se réfugier, se blottir. Dans le secret des plis, le regard s’engouffre, mystérieusement happé. Voilà la magie du drapé.

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Le secret de Léonard

L’exposition du Louvre consacrée à Léonard de Vinci jusqu’au 24 février s’ouvre par une confrontation magistrale de ses Études de draperies, peintes à la détrempe, avec une sculpture de son maître Verrocchio, L’Incrédulité de saint Thomas. Où l’on voit le jeune prodige rivaliser avec les grandes figures en bronze en architecturant des plis au pinceau, par le seul jeu des ombres et des lumières. Le catalogue dévoile le secret de ces études, grâce une nouvelle traduction de la Vie de Léonard publiée par Vasari en 1568, qui évoque « des médailles de figures de terre sur lesquelles il (Léonard) mettait des chiffons mouillés, imprégnés d’argile ». Un truc d’atelier, idéal pour prendre le pli, sans craindre de voir l’étoffe bouger.

Sabine Gignoux, à Lyon

Rens. : mba-lyon.fr Jusqu’au 8 mars 2020.

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