Arianna Sforzini, Michel Foucault. Une pensée du corps, Paris, PUF, 2014, lu par Alexandre Klein

Michel Foucault. Une pensée du corps, Arianna Sforzini,Paris, PUF, Collection « Philosophies », 153 p.,  2014.

L’œuvre du philosophe Michel Foucault est traversée, habitée, voire même hantée par la question du corps. Celui qui envisageait son travail comme celui d’un chirurgien (« J’imagine qu’il y a dans mon porte-plume une vieille hérédité du bistouri. Peut-être, après tout : est-ce que je trace sur la blancheur du papier ces mêmes signes agressifs que mon père dans le corps des autres lorsqu’il opérait ? […] La feuille de papier pour moi c’est peut-être le corps des autres », Foucault, M., 1968, Le beau danger. Entretien avec Claude Bonnefoy, Paris, éditions EHESS, 2011, p. 35-36) y a en effet, directement ou plus subrepticement, consacré nombre de ses analyses. Il a ainsi contribué à offrir à cet objet une légitimité philosophique jusqu’alors inédite, et s’est dès lors imposé comme une figure incontournable des études sur le corps.

Il peut donc paraître surprenant – d’autant que les travaux sur Foucault sont légion – que personne (à l’exception du philosophe Mathieu Potte-Bonneville qui publiait en 2012 dans les Cahiers philosophiques un article intitulé « Les corps de Michel Foucault ») avant Arianna Sforzini, ne se soit pleinement penché sur cette problématique centrale qu’est le corps dans la pensée foucaldienne. Cette docteure en philosophie de l’Université Paris-Est Créteil est en effet la première à tenter, dans un petit ouvrage paru en 2014 dans la collection « Philosophies » des Presses Universitaires de France et intitulé Michel Foucault. Une pensée du corps, de « retrouver, dans toute son extension et son intensité, la question du corps » (p. 8) chez le philosophe.

Dans ce court volume, Sforzini s’attache en effet à mettre en lumière l’effort déployé par Foucault pour « penser la profusion des corps de la vérité », autrement dit, pour analyser, dans sa diversité, le corps tel qu’il est « travaillé, traversé, compliqué par la vérité » (p. 9). La pensée du corps qu’elle décrit, loin d’être systémique et de porter sur un corps unique, se dévoile comme diverse et plurielle à mesure qu’elle étudie les corps dans leur multiplicité et leur variabilité. Dans cette « mosaïque des corps » qui compose l’œuvre foucaldienne, l’auteure s’attarde dans un premier temps sur trois figures, trois modes principaux de liaison du corps à la vérité, soit le corps objectivé par la médecine, le corps gouverné dans les systèmes disciplinaires et enfin le corps éprouvé de l’ascèse antique. À ces trois corps normés, l’auteure n’oublie pas d’ajouter, dans un quatrième et dernier chapitre, une série de corps résistants, ceux qui se subjectivent en bataillant avec les normes, comme le corps utopique, le corps hystérique, le corps possédé et le corps cynique. Ainsi, par ce panorama, elle entend exposer les problématisations décisives autour desquels s’organise le souci permanent du corps qui caractérise la pensée foucaldienne.

Si le volume présente dans l’ensemble une bonne synthèse de la question traitée – question d’importance dont on peut se réjouir qu’elle ait enfin fait l’objet d’une étude rigoureuse –, on pourra peut-être regretter l’approche assez classique qui en est faite, par le biais de la tripartition habituelle – savoir, pouvoir, sujet – de l’œuvre du philosophe. Le quatrième chapitre, salvateur à cet égard, ne parvenant malheureusement pas totalement à ouvrir la perspective puisqu’il reprend également, en son sein, cette grille de lecture en trois temps. En outre, la démarche adoptée qui consiste à suivre, de manière quelque peu scolaire, en le commentant, le propos de l’auteur, tend également à réduire les possibilités de questionnements transversaux et l’émergence de problématisations nouvelles eu égard à la question traitée. Elle condamne également, à plusieurs occasions, l’auteur à rester dans la simple paraphrase. Néanmoins, ce volume est une excellente synthèse, claire et didactique, sur la question centrale du corps dans l’œuvre de Foucault. Il s’affirme donc à la fois comme une référence de choix pour aborder cette problématique et comme introduction originale à la pensée du philosophe.

Alexandre Klein