Dans son dernier ouvrage, qui fait suite à Métaphysique du sentiment, Renaud Barbaras se concentre sur l’analyse du désir - désir qui déjà dans ses précédents ouvrages jouait un rôle important -. De quoi le désir est-il le nom ?
Florian Forestier, Le Réel et le Transcendantal, Paris, Éditions Jérôme Millon, 2015, lu par Pierre Souq.
Le Réel et le Transcendantal de Florian Forestier, publié en 2015, s’insère dans la tradition de la collection KRISIS, fondée par Marc Richir, aux Éditions Jérôme Million. Compte-rendu de sa thèse, soutenue en 2011 sous la direction de Alexander Schnell, qui portait le titre « Le réel et le transcendantal : enquête sur les fondements spéculatifs de la phénoménologie et le statut du "phénoménologique" », c’est vers un réalisme transcendantal que tend cet ouvrage, c’est-à-dire la volonté d’approcher le réel de façon réflexive, en se protégeant à la fois de la naïveté qui consisterait à croire à sa saisie totale, mais aussi de la tentation d’un transcendantalisme pur pouvant entraîner sa disparition concrète. Conçu de façon logique, les quatre chapitres ici présentés s’éloignent progressivement de l’idéalisme husserlien, qui constitue cependant sa fondation historique, tout en dynamisant son contenu afin de le rendre plus concret et élargir sa portée réelle.
Pierre-Jean Renaudie, Husserl et les catégories, Langage, Pensée et Perception, Paris, Vrin, 2015
Dès les premières lignes de son ouvrage, Pierre-Jean Renaudie indexe le problème des catégories à celui de l'énonciation, et interroge le discours dans son origine et ses fondements à partir du Sophiste de Platon.
L'étranger. ― À toi de dire à propos de quoi et sur quoi porte le discours.
Théétète. ― C'est évident : à propos de moi, et sur moi.
(Platon, Sophiste, 263a)
Ainsi, que se passe-t-il lorsque l'Homme dit quelque chose ? Quelles différences faire entre le contenu du discours et l'objet visé ? À quelles conditions finalement le sujet peut-il discourir et parler du réel ?
Sophie-Jan Arrien, L’inquiétude de la pensée. L’herméneutique de la vie du jeune Heidegger (1919-1923), Paris, 2014, PUF « Epiméthée », 400 p.
Ce qu’il est convenu d’appeler « la philosophie herméneutique de la vie facticielle » ou encore parfois « l’herméneutique de la facticité » - et qui, depuis le colloque de 1996 organisé par J.-F. Courtine et J.-F. Marquet, fait l’objet d’un intérêt croissant des études heideggériennes - joue un rôle déterminant sur le chemin qui conduit Heidegger au motif central de sa philosophie, la question de l’Être.Pour autant, il ne faudrait pas faire de cette philosophie une simple propédeutique ; il s’agit au contraire d’un chemin original, qui, dans l’esprit du jeune Heidegger, ne vise rien de moins qu’à « faire exploser les catégories traditionnelles de la philosophie ». Et c’est cette étape que Sophie-Jan Arrien nous propose, dans ce volumineux ouvrage qui résulte de sa thèse, d’approfondir pour elle-même, résistant à la tentation de lire cette philosophie naissante à la lumière de ce qu’elle est amenée à devenir.
Le motif central de cette philosophie est ainsi la vie, conçue comme la sphère originelle de l’expérience concrète (« facticielle »). L’enjeu d’une telle philosophie est ainsi de retrouver l’intimité du philosopher avec la vie, qui constitue l’un des enjeux structurants de la pensée du jeune Heidegger, et ce dès sa thèse d’Habilitation (1915). Reste que la vie se manifeste avant tout par une certaine labilité, qui la rend précisément inaccessible aux catégories traditionnelles de la philosophie. Or la philosophie prend naissance dans la vie, et y retourne comme à son télos ; la tâche du philosopher consiste ainsi à identifier un logos constitutif de l’origine, c’est-à-dire inhérent à l’expérience facticielle de la vie, et ouvert sur la conceptualité philosophique ; en somme, penser conjointement la vie en ses structures propres et la condition de possibilité de tout philosopher. Pour ce faire, l’effort de Heidegger consistera à passer sans rupture de l’expérience vécue préthéorique du sens au discours philosophique, et rechercher « l’unité vivante de la vie et de la philosophie ».
Jan Patočka, Le monde naturel comme problème philosophique, trad. fr. Erika Abrams, Paris, Vrin, 2016 lu par Mathieu Cochereau
Le philosophe-dissident Jan Patočka s’éteint en 1977 à la suite d’interrogatoires policiers en raison de son statut de porte-parole de la Charte 77, pétition d’intellectuels tchèques (au nombre desquels on trouve aussi Václav Havel et Václav Benda) réclamant davantage de libertés pour les citoyens au régime communiste alors en place. De l’œuvre de Patočka, on dispose de quelques grands livres (Aristote, ses devanciers, ses successeurs, Éternité et historicité ou encore les Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire) mais surtout de notes, de cours, de fragments divers. Le monde naturel comme problème philosophique occupe une place doublement importante, d’abord pour l’auteur lui-même et ensuite pour sa réception en France. D’abord, il s’agit de la thèse d’habilitation de Jan Patočka qui paraît en 1936 à Prague, premier ouvrage du jeune philosophe alors nettement influencé par la phénoménologie d’Edmund Husserl. Ensuite, il s’agit du premier grand texte de Patočka dont le public francophone a pu avoir connaissance, grâce à la traduction proposée en 1976 par Jaromir Danek et Henri Declève – traduction parue aux éditions Martinus Nijhoff. Le problème de cette première traduction, réputée difficile pour tous les lecteurs de Patočka, réside dans son étrange élaboration : elle est le fruit d’un tchécophone ne parlant pas tout à fait le français et d’un francophone ne maîtrisant pas totalement le tchèque. Si l’on doit à Jaromir Danek et Henri Declève un immense travail, notamment dans la diffusion en français de l’œuvre de Jan Patočka, il n’en demeure pas moins que le public francophone attendait depuis longtemps une nouvelle traduction de cette œuvre de jeunesse dans laquelle nous pensons également reconnaître un moment décisif dans l’élaboration de la pensée de Jan Patočka. Qui d’autre qu’Erika Abrams, en charge de la traduction de la quasi totalité des textes de Jan Patočka, était en mesure de réaliser un tel projet ? C’est donc comme le résultat d’une longue attente (une attente de quatre-vingts ans) que l’on doit d’abord lire Le monde naturel comme problème philosophique. Force est de constater que, tant pour le lecteur habitué à Patočka que pour celui qui souhaite le découvrir, cette nouvelle traduction offre un texte d’une grande cohérence et offre l’avantage d’être accompagnée de deux textes complémentaires (suivant ainsi les éditions tchèque et allemande) de Patočka revenant sur sa thèse d’habilitation: « Le monde naturel dans la méditation de son auteur trentre-trois ans après » (1970) et la « Postface à la première traduction française » (1976).
L’Œil de Minerve se diversifie. Notre veille philosophique emprunte désormais deux voies : celle des recensions et celle des entretiens. Nous donnerons la parole à des chercheurs en philosophie, et mettrons en lumière la genèse de leur démarche, de leurs concepts, l’évolution de leur travail, la façon dont les recherches philosophiques au plus près des textes éclairent notre commune réalité.
APPEL À CONTRIBUTIONS
Vous souhaitez proposer votre contribution à l’Œil de Minerve ? Faites-en la demande à l’éditeur au nom de l'Œil !
« oeil de minerve ISSN 2267-9243 » Responsable éditorial : Jeanne Szpirglas (Versailles), avec la collaboration de: Cyril Morana, Evelyne Bechthold-Rognon, Florence Benamou, Michel Cardin, Romain Couderc, Francis Foreaux, Jérôme Jardry. Mentions légales - Signaler un abus - Dane de l'académie de Versailles