Chère sœur,
Je t’écris aujourd’hui pour répondre à ta demande de la dernière fois. Si tu ne t’en souviens plus, je vais te la rappeler. Tu m’as demandé de te raconter comment je suis passé du monde de l’école à celui du travail pour ton roman. Je vais donc te conter mon histoire.
Il était 7H00 du matin, nous étions lundi et depuis plus d’une dizaine d’années, à cette époque, une routine s’était installée dans ma vie. Un quotidien qui ne changeait jamais. Chaque jour de la semaine, je me réveillais, me préparais et partais à 8H00 le matin de chez nous pour 8H30 au collège. Je retrouvais mes amis et j’attendais que mes journées se finissent. Je rentrais chez nous, je t’embêtais toi et nos parents (tu t’en souviens ?), puis je partais dormir. Mes devoirs ? J’en avais oui, mais ça ne m’intéressait pas. Je faisais juste ceux qui étaient notés. Je vivais ma vie comme je voulais. Malgré les menaces de nos parents, à quoi bon s’investir dans quelque chose que l’on n’aime pas juste pour faire plaisir aux personnes qui attendent des choses de nous. Si je veux faire quelque chose de mes capacités alors je les investis dans ce que j’aime. Depuis tout petit, depuis la maternelle, je voulais être boulanger. Entre temps, j’avais voulu devenir pompier mais ma première idée revenait d’elle-même dans ma tête. Je ne suis pas fait pour le système scolaire, je n’aime pas étudier, mes professeurs me disaient que je n’avais pas d’avenir avec mon comportement, que je gâchais mes capacités avec mon attitude. Le lycée exige de meilleures moyennes de la part des élèves. Je n’avais pas ma place derrière leur petit bureau, assis sur leurs chaises. La conseillère d’orientation m’avait proposé un lycée professionnel. Mes parents trouvaient que c’était une idée excellente. Cependant on chercha d’autres voies et on trouva le CAP. Mais que vaut un CAP ? Bien évidemment aux yeux de tous les parents, leur enfant a un avenir plus certain avec un bac général. Nos parents avaient compris que s'ils m'envoyaient dans un lycée cela ressemblerait à une année sabbatique, et ils abandonnèrent finalement cette idée. Mais ils avaient bien retenu le bac pro. Et moi le CAP boulanger. J’avais mon idée, et je reconnais que je suis buté. S’ils continuaient de m’en parler et bien je ne parlerais plus. Cette guerre continua et dura plus d’un mois. Nos parents comprirent enfin que moi je voulais entrer dans le monde du travail et non pas faire de la pratique de temps en temps. Je voulais être rémunéré. Je me rendais bien compte que j’avais tout de même besoin d’étudier et d’être performant pour obtenir mon CAP. On chercha donc un patron pour que je puisse passer en deux ans mon diplôme aux Compagnons du devoir. Une alternance entre pratique et étude.
Mes notes augmentèrent, j’étais le deuxième de la classe, nous n’étions que des garçons. Mon lieu de travail me plaisait, j’avais un petit salaire et je faisais enfin ce que je voulais faire depuis si longtemps. J’apprenais à façonner la pâte: cette sensation si particulière quand je la travaille, légèrement humide et collante, très blanche ;à mesurer la farine,à mettre tous les ingrédients dans le pétrin, le frasage, l’étirage, le bassinage ou le contre frasage,à diviser et façonner. J’apprenais à faire des viennoiseries, à m’organiser. Mais je devais porter le bois, le four que la boulangerie utilisait était un four à bois, j’avais l’impression d’être un bucheron, mais je me suis musclé grâce à ça. Les sacs de farine aussi sont lourds, 40kg dans chaque bras. Je devais m’appliquer à faire les choses correctement et proprement pour les clients. Ce n’était pas toujours facile, je me souviens d’une fois où je devais faire les sandwichs, mon patron n’était pas fier de moi, je n’étais pas assez productif. Mais moi je voulais lui répondre, je faisais mon maximum ; mais je me suis tu, je n’ai pas répondu, je n’avais pas encore mon diplôme, alors je prenais sur moi.
Avec les Compagnons du devoir, nous partîmes en voyage à Londres. Je ne comprenais pas très bien pourquoi étant donné que l’Angleterre n’est pas vraiment réputée pour la gastronomie, et encore moins pour le pain. Je partais sans famille pour la première fois aussi loin, et il faut bien reconnaitre que j’étais un assisté (et je dois avouer que vous m’aviez quand même manqué et que même si les soldes là-bas valent vraiment le coup j’étais bien content de rentrer en France). Mais je devais partir, pour ma propre culture. J’étais avec un camarde plus âgé dans une famille très gentille. Le premier jour où je devais commencer à travailler, j’eus du mal à trouver mon chemin, mais j’y étais tout de même parvenu.
Le boulanger qui m’a accueilli était Français, sa femme était insupportable. Le pain et les pâtisseries produites n’étaient pas extraordinaires mais ils avaient beaucoup de clients. Les deux semaines se terminèrent, je retournais en France. J’eus mon CAP et je participé aux MAF ; meilleurs apprentis de France. J’étais arrivé 3éme, et j’obtins une médaille de bronze. Vous étiez fier de moi, mon patron aussi et moi aussi.
Je voulais continuer à étudier mon métier, et pour cela je décidai d'aller a un CFA en espérant obtenir un BP. Mais rien ne se passa comme prévu. Je retrouvais une autorité inutile venant de ces professeurs incompétents. Mon patron vendait tout de même mes productions depuis presque deux ans à des clients plus que satisfaits. A quoi bon rester continuer à recevoir des ordres et être sans arrêt en confrontation avec ces personnes qui ne m'apprenaient rien de surcroît. Je préférais partir au bout d’un mois plutôt que de devoir être constamment oppressé par des gens angoissants qui n’ont rien à m’apprendre.
Je retournai voir mon patron qui m’embaucha avec un CDI.
Ma sœur tu vois donc désormais comment ton ainé est devenu plus mature et plus responsable grâce à un travail dans lequel je suis épanoui. Tu peux comprendre comment n’importe quelle personne peut progresser et s’investir quand elle est heureuse dans ce qu’elle fait.
Bien à toi, ton grand frère.
P.S : fait moi savoir si tu veux plus de détails.
E.A