Toute jeune, elle aidait déjà sa famille dans leur petite boutique de banlieue. Elle ne demandait rien en retour.
Peu avant sa majorité, la boutique fut inondée par les intempéries. Elle se mit à chercher un emploi alors qu'elle aidait déjà ses parents. Seulement, elle avait 16 ans, et à cause des réglementations et de son emploi du temps chargé, personne ne voulait d’elle. Elle commença à faire des ménages. Elle rentrait tard le soir, après une longue journée, et elle devait encore aider à la confection des produits de la boutique familiale et effectuer les corvées. Elle se tuait à la tâche pour juste quelques francs, parfois, elle n’était même pas rémunérée.
Malgré les efforts de la famille, la boutique était déserte de clients, forcée de fermer sous les lettres d’imposition toujours plus nombreuses.
La jeune femme n’avait jamais réellement étudié. Elle savait lire, écrire, compter un petit peu… Elle rêvait d’entrer dans une université, de devenir une femme importante dans la société. L’année de ses 20 ans, elle enchainait les petits boulots, serveuse dans un café, vendeuse dans une boutique de bijoux, et même plongeuse dans un restaurant.
Elle avait assez économisé pour débuter ses études à l’université. Or, le jour de ses 22 ans, elle vit une guitare. Chaque jour elle y rêvait, souhaitant à présent devenir musicienne. Elle finit par se l’offrir en dépit des études qui l’avaient motivée durant deux longues années.
Elle n’avait plus un sou en poche, et elle ne savait pas comment jouer de la musique. Pour se payer des cours, elle dut travailler d’autant plus. Elle se rendit compte, avec le temps, que ses collègues hommes obtenaient un salaire plus élevé pour le même service rendu. Se plaignant trop souvent de cette différence, elle s'était faite licencier par certains de ses supérieurs, d’autres avaient essayé de la transformer en catin. Jamais elle n’avait baissé les yeux, jamais elle n’avait cédé à la facilité.
Elle commençait à vouloir abandonner la musique, elle avait essayé d’organiser des concerts, de jouer dans la rue, mais personne ne l’avait remarquée. Elle avait pourtant tout misé là-dessus, elle avait abandonné ses études pour se consacrer à la guitare ! La seule raison pour laquelle elle continuait de jouer, c’était pour son professeur, car elle en était tombée amoureuse. Lui avait un public naissant, il commençait à se faire un nom sur la scène parisienne. Il avait à peine trois ans de plus qu’elle.
Le professeur, qui connaissait le but de la jeune femme, cherchait un travail pour elle. Il finit par lui trouver une petite scène Jazz dans un restaurant réputé. Elle accepta d’office. Elle se donnait un maximum dans ce travail, et elle l’aimait, car c’était Lui qui lui avait déniché. La carrière musicale de la femme commençait enfin, après plusieurs années à enchaîner les petits boulots et l’étude de son instrument.
Elle continuait à voir son professeur, à prendre des cours… Ils étaient habitués l’un à l’autre, si bien que leur relation ne faisait plus partie du cadre professionnel.
Un soir, il l’invita à dîner. Il parlait de concerts, de ses projets, ses compositions… Elle l’écoutait avec attention. Il lui proposa de jouer en duo de guitares lors d’un futur concert, ce qu’elle accepta d’office, elle était honorée de pouvoir jouer avec lui sur scène.
Ils commencèrent à jouer ensemble le soir, sur les grandes scènes parisiennes, dans les cabarets… Les horaires étaient contraignants, les salaires n’étaient pas toujours très raisonnables, mais ils se considéraient comme bien récompensés : le public grossissait à mesure des représentations. Ils atteignirent vite l’apogée de leurs carrières respectives.
Au bout de quelques années, leur déclin arriva : la popularité du Rock effaça petit à petit le Jazz, considéré comme « Has Been ».
Déchue de sa popularité, la jeune femme, encore dans la fleur de l’âge, se remit à jouer dans des restaurants… Enchaîner les petits boulots… Jusqu’à ce qu’elle cède sous la fatigue. Elle regrettait malgré elle d’avoir abandonné ses études. Elle se rendit compte que toute sa vie, elle avait dû travailler pour obtenir ce qu’elle voulait, elle avait dû abandonner une partie de sa vie pour son travail. Elle se rendit aussi compte de sa chance : avoir pu vivre, ne serait-ce que cinq ans, d'un métier qu'elle aimait.