Dans la petite ville perdue de Nottingham, coincée entre terre et mer, l'arrivée d'une jeune fille avait fait émoi, elle s'appelait Aurore, peu importe son nom de famille. Sa beauté faisait ravage, elle était venue en tant qu'infirmière. Veuve d'un vieux médecin riche elle s'était fait bâtir sur le flanc le plus élevé de la colline, une villa, une villa blanche décorée de pierres rouges à qui elle avait donné son nom, villa qui se voyait même à l'opposé du bourg, dominant de son ombre la ville. Elle avait attiré les regards des hommes de la ville, et elle avait jeté son dévolu sur un incapable portant le nom d'Hector Snicket, qui avait fait fortune dans les tondeuses à gazon. Il venait de gagner les élections municipales. Avare et rancunier, il ne semblait pas avoir une personnalité qui pouvait l'intéresser. A cette époque, je pensais qu'en raison de mon simple statut d'employé, dans une entreprise électronique, elle ne me remarquerait pas. Je n'avais pas tort.Deux fois j'étais passé chez elle pour un problème électrique. Jamais elle n'avait posé les yeux sur moi, ne serait-ce avec une note dans les yeux qui pourraient me dire que ses sentiments étaient aussi réciproques. Elle me regardait tel un moins que rien. Au fur et à mesure j'avais fini par m'y habituer, nourrissant une haine profonde envers elle, mélange de colère et d'admiration. Je rentrais dans ma maison perdue dans le côté nord de la ville, où les bâtisses et leurs habitants étaient tous aussi pauvres. Je vivais dans une maison décrépie, où ma mère et moi habitions depuis mon enfance. Elle était morte à force de trop boire au goulot de la bouteille. Une mauvaise habitude qu'elle avait prise depuis que mon père nous avait quitté pour une autre. Depuis maintenant vingt-deux ans.
Je déposai mes vêtements imprimés avec le logo de mon entreprise, enfilai une veste et partis au magasin de bricolage le plus proche. J'hésitai pendant un instant au rayon des marteaux, puis me dirigeai vers les cordes, cordes de pèches, cordes plus ou moins grosses,. Je sélectionnai une corde assez grosse, difficile à couper, j'en achetai trois mètres. En sortant du magasin avec mon achat sous le bras je décidai de passer en vitesse à la pharmacie avant de prendre une pizza chez le traiteur du coin. Je déposai mes sacs dans l'entrée, allumai la télé et descendis au sous-sol, mon espace. Je vidai les plans de travail et m'activai à allumer les lumières. Je remontai récupérer ce que j'avais acheté plus tôt dans la journée. Ces imbéciles de voisins me croyaient assez mou pour regarder la télé jusqu'à vingt-trois heures. Non, je préparais quelque chose de bien mieux. Cette idée me trottait dans la tête depuis plusieurs mois déjà. Lorsque j'eus tout terminé, je montai à la cuisine, éteignis la télé et pris une douche avant de m'endormir comme une masse. Le lendemain je me réveillai doucement, m'habillai et pris la voiture de location que j'avais louée en début de semaine auprès de l'entreprise et me rendis en ville. Il me fallut plusieurs minutes avant de me rendre à la villa, je sonnai au-devant des grilles, puis me présentai à la voix grésillante de l'interphone, annonçant qu'on m'avait appelé plus tôt dans la matinée pour un problème électrique. Quand le problème fut réglé je ressortis avec mon énorme sac qui contenait mes objets de bricolage, un plus lourd que d'habitude ; je le balançai dans le coffre, et partis laissant derrière moi une villa, moins imposante que ce qu'il me semblait dans mon imagination. Je mis un morceau de jazz à fond couvrant les bruits du coffre, ouvrant la fenêtre, et profitant du soleil radieux de cette journée, en sortant de la ville je pris la route nationale.
Tandis que j'entrais dans la foule des voitures et des camions, entre les hauts murs des immeubles, il me semblait que j'entendais très loin les cris sauvage des hommes de mains de la ville, qui étaient en train de faire tomber l'une après l'autre les portes de la villa Aurore.
Rime Flegeau