oct. 31

"Quand je ne pourrai plus..."

Quand je ne pourrai plus aller au bout du monde

Que l’univers entier sera un bout de moi

Quand le soleil d’hiver me dira « autrefois »

Et que la Terre enfin ne me sera plus ronde

 

 

 

Que me restera-t-il ? Quelques pâles souv’nirs

Brillants près de l’enfance, éteints dans mes hiers

De chipoteux remords et des regrets bien pires

Autour de mon nombril emmitouflé d’hiver.

 

 

 

Je pourrai dire souriante que j’ai un jour été

Que je ne l’savais pas avant d’être édentée

Puis j’irai arroser mon champ de stalagmites

 

 

 

J’aurai encore mes bras et je pourrai serrer

Dans d’ultimes câlins mon torse nourricier

Duquel s’échappera des odeurs d’antimites.


 

"Je prends la pure Beauté..."

 

Je prends la pure beauté

 

Et puis je la modèle

 

Je la tords, je l’esquinte

 

Pour la rendre difforme

 

Et quand elle est bien laide

 

Je suis surprise de voir

 

Qu’elle est semblable à celle

 

Que j’avais au départ.

Je voulais le passant

Ils s’étaient assoupis dans leur chambre leur nid

Certains dormaient déjà d’autres pensaient rêvaient,

Ce n’étaient pas ceux-là que mon âme recherchait.

Dans la nuit qui marchait, dans le froid, dans Paris

Je voulais le passant qui jamais ne se hâte…

 

 

 

Je savais la froidure des pavés de l’asphalte

Les regards de noyés que l’on jette aux carrés

De lumière suspendus dans les airs mais fermés

Pour dire que la douceur se donne à qui la mate.

Je voulais le passant qui jamais ne se hâte…

 

 

 

J’en ai connu d’autres dont la vie après tout

Se laissait contempler ; se poussant et roulant

Année après année entre stations et bancs

Sur les bouches bien au chaud, bien au froid sur les bouts.

Je voulais le passant qui jamais ne se hâte…

 

 

 

De dehors de dedans de richesse en misère

Sur le sol gelé des hivers parisiens

Sur le parquet ciré d’un intérieur rupin

Les mêmes traces, les mêmes pas, la vie et ses barrières.

Moi je voulais le passant qui jamais ne se hâte…

 

 

 

Mon âme savait bien pendant que j’écrivais

Que quelqu’un quelque part faisait ce que je fais

Son cœur cherchait le mien, c’est sa main qui courait

Sur la feuille bien blanche où j’écris que je sais

Le passant qui jamais ne se hâte.


 

"Et puis si ça me plaît..."

Et puis si ça me plaît d’avoir les doigts dans l’nez

De me ronger les ongles quand ils sont noirs de crasse

Si ça me plaît à moi d’avoir des yeux collés

Et les oreilles sales, les cheveux pas coiffés

 

 

 

De balader ma langue tout autour de ma bouche

De quitter ma culotte devant vos yeux tout ronds

De regarder très près jusqu’à ce que je louche

Des scènes pour adultes à la télévision.

 

 

 

Et si ça me plaisait de dire si quand c’est non

De boire toute la nuit, de jeter tout par terre

Et d’augmenter le son parce que tu m’as dit non

Et crier si je veux, et tout faire à l’envers.

 

 

 

Et si j’avais envie de plus dormir du tout

D’escalader les tables et de sauter dessus

De plus manger de viande et casser mes joujoux

De dire jamais merci et de sortir tout nu.

 

 

 

Et puis si ça me plaît de mentir quand je peux

De choisir mes vêtements comme si j’étais un grand

D’aller voir mon papa pour qu’il dise « si tu veux !»

Alors que t’as dit non quelques minutes avant.

 

 

 

Mettre du sable partout quand tu viens de laver

Transformer la baignoire en grand coffre à jouets

Et puis pour les ranger faire une tête fatiguée

Et dire à ma maman : « pardon mais s’il te plaît… »


 

Fausse route

 

Et si je décidais, brusquement, d’arrêter…

Non, je ne suis plus moi et je ne suis plus là

Une simple indifférence, le monde m’est étranger

Je refuse le jeu, il n’y a plus d’ici bas.

 

 

 

Vois, mes yeux sont vides et mes mains crevassées

N’ont plus besoin de crème, j’ai tué l’à venir.

Plus de corps social, mon enveloppe est gercée

Je torture ma carcasse parce qu’il faut en finir.

 

 

 

Je retourne en mon sein, visionne des images

Coupées de ton réel, qui endorment ma rage

Déserts de sable bleu, paysages de pierre…

 

 

 

Courons jusqu’au chemin où coule encore mon sang.

Sur l’autel des ratés, j’ai croisé mon néant.

Ma folie était folle ; je n’ai plus de marche arrière…


 

Soirée

Elle est bien dans son lit

Les parents gueulent

Lovée sur le côté

Elle a calé ses bras

En haut de l’entrecuisse

Garde les yeux fermés

Les parents gueulent

Pour voir les couleurs

Des formes tournebouler

Des joyaux qui jaillissent

Ça brille, ça scintille

Ça luit et ça devient

Des terrasses paisibles

A l’ombre de grands pins

Les parents gueulent

Un chat qui la regarde

De ses fentes vert jaune

Signale le passage

A une grotte profonde

Les parents gueulent

Elle entre dans la matière

Se fond aux illusions

Et elle devient fontaine

Ligne, canne, bignon

Les parents gueulent

Elle change de côté

Et doit recommencer

Les rites du coucher.

Elle raconte une histoire

De soleil tout autour

Un avenir radieux

Quand elle désire, elle a,

Elle s’arrête à l’enfant

Qu’elle ne veut vraiment pas.

Les parents gueulent

Elle retourne aux couleurs

Convoquent des nuages

Qu’elle fait se rencontrer

Dans un ciel apaisé

Les parents gueulent

 

Vivement demain,

                 Vivement l’école,

                                 Madame Parly

                                                 Et Jérémie

Du domaine des oiseaux

Il est un espace clair

Sur un plateau volant

Perdu sur la colline

Bien au-dessus des pins

Où le ciel se finit

Sur la butée des Maures.

 

Il existe quelque part

Une trouée solaire

Que fuient tous les nuages

Protégée par la croix

Qui unit les deux mondes

Grâce à son cœur de pierre.

 

Un endroit libéré

De toute humanité

Et fourmillant de vies

Qui pulsent dans leurs cris ;

N’y chantent dans le vent

Que les moineaux farceurs

Les colombes indolentes

Et la raison des pies.

 

Un fracas éternel

Pénètre tes tympans

Efface les plis du front

Et récupère ton âme ;

C’est ce que je te lègue

Pour alléger ta route,

 

Cet espace clair-là

Ce quelque part perdu

Cet endroit protégé

Au-delà de la croix

Qui marque son entrée

C’est ta carte postale,

Pour les années qui viennent,

Envoyée de l’hiver

Deux mille vingt-et-un

Du domaine des oiseaux.

"J'ai mis un pull trop grand..."

J’ai mis un pull trop grand pour mes frêles épaules

Bien trop long, bien trop large, mais c’était un cadeau

Que je trouvais parfait. Tricotez, Marie-Paule,

En point mousse, en marine, en amour bien au chaud.

 

 

 

Il avait la souplesse des vagues de mes étés

Le côté non poli de mes jours de sauvage

Et l’odeur d’un grand large que j’ai toujours cherché,

Quelque chose d’un noyé au-dessous du naufrage.

 

 

 

A force de m’y complaire, d’y rentrer jusqu’aux pieds

D’y enfoncer mon nez même au cœur de l’été

Mon pull est devenu un vieux tronc d’olivier

Au pied duquel, démence, je me suis échouée.

 

 

 

Quand les branches ont fleuri j’ai reçu en échange

Un tout petit bout d’homme qui s’est blotti au chaud

Sous le pull, contre moi, contre le tronc étrange.

Un deuxième, un troisième, un énième marmot…

 

 

 

Ils sont tous venus sous le pull avec moi.

Mais les branches grossissent et les rameaux grandissent

Et des lambeaux de laine s’effilochent et pourrissent

Au sommet du vieil arbre qui se meurt sans moi.

 

 

 

Il me reste le rouge pour mes larges épaules

Le choix de l’acrylique fabriqué en Corée.
Il n’y aura plus d’amour ma chère Marie-Paule,

Et un pull étriqué sera mon bouclier.


 

A deux doigts

 

À deux doigts de l’écrire ce putain d’livre-là

À deux doigts, à deux pieds, à demain, à plein ventre

À deux doigts de m’y mettre, d’y cracher ce que j’dois

Au seuil du Grand Œuvre qui me murmure : Entre !

 

J’y dépos’rai fissa la somme de mes savoirs

Pour ne plus jamais en oublier un seul

Pour qu’il m’éclaire derrière, pour qu’il m’éclaire devant

Pour qu’il soit le guetteur logé contre mon cœur

Qu’il soit un paravent

Un vrai gilet pare-balles

Mon seul truc abouti

Enfin indispensable

 

Et j’y mettrai aussi tous mes ravissements

Et ma joie d’exister, d’un jour avoir été

Mes dialogues incessants avec tous ces anciens

Sur les traces desquels j’ai posé mes deux mains ;

Leur répondre enfin que j’ai léché les pierres

Des monuments écrits qu’ils ont esséminés

Et que même si j’en crève de l’oubli qui viendra

Ils furent les sentinelles de mon chemin à moi

 

J’ai rencontré la vie, j’ai rencontré la Terre

Et j’ai aimé les fleurs, l’herbe drue et les troncs,

J’ai dansé dans la boue qui craquelle la peau

Et je me suis vautrée dans de nouveaux sillons

Qui ne menèrent, final, qu’au plaisir d’exister

 

Mais tout ce que je sais, que j’ai accumulé

Au fil de cette vie qui devra basculer

Je désire l’amasser dans le livre à venir

Qui s’échappe sans fin et ne fait que partir

Quand j’adoube les textes que je crois achevés

 

À deux doigts de l’écrire ce putain d’livre-là

À deux doigts, à deux pieds, à demain, à plein ventre

À deux doigts de m’y mettre, d’y cracher ce que j’dois

Au seuil du Grand Œuvre qui me murmure : Entre !

août 5

Et que justice soit !

 

 

                Honoré Boudbilat, peu connu du public, est une personnalité hors du commun. Courtisé par les Grands et flatté par les femmes bien mariées, il a traversé le siècle à la force de son esprit.

Autodidacte acharné, notre cher Honoré a gravi un à un les échelons qui le firent passer d’élève pâtissier à conseiller politico- financier « secret » des plus hauts chefs d’état des tout petits états de l’Amérique dite latine. Cela lui permit de s’acheter un énorme diamant qu’il porte dans le nombril depuis qu’il a été décoré de la légion d’honneur –française ! La rosette est discrète, le diamant trop voyant, surtout en chevalière décorant le pouce de la main droite- et de s’autoproclamer Roi des Linotons, habitants d’une charmante petite île en face du Paraguay. Ses quatre épouses successives, juvéniles Linotonnes aveuglées par son charme de conquérant de la vieille Europe, lui ont donné quinze enfants en tout, dont cinq fils belliqueux qui se querellent déjà pour la succession. Les fillettes ont toutes été fort bien mariées à des amis intimes et il est déjà dix-sept fois grand-père. Sa dernière petite fille, métissée à souhait, vient de fêter ses douze ans et le vieux lion bedonnant s’est promis d’attendre ses quatorze ans avant d’en faire sa cinquième épouse officielle.

C’est elle la raison de son voyage à Paris, ce 15 avril 1982. On lui a parlé des Demoiselles de la Légion d’Honneur et du Couvent des Oiseaux, il est venu sur place étudier les possibilités. Il la veut bachelière et Française, moderne et disciplinée, érudite, reconnaissante et soumise – On rêve !

       Cet après-midi-là, à 14 heures 35 – Honoré Boudbilat n’est plus un matinal depuis fort longtemps-, le destin de la petite fille élue, le destin de la famille Boudbilat et celui des habitants de Linota ont connu un destin tragique – enfin surtout tragique pour les Linotons qui devront faire face à l’implacable guerre de succession des fils Boudbilat et aux massacres qui en résulteront.

Honoré Boudbilat, cet après-midi-là donc, redingoté de prêt, rosette en aval et diamant caché dans le repli boudiné de son nombril démesuré, décide de voir de plus près le fameux Café de Flore, des fois que des fantômes y traîneraient et qu’il serait enfin reconnu pour le grand démiurge qu’il est…Probable d’ailleurs que ce fut le cas…

Voyant l’enseigne, son cœur palpite. Ses doigts boudinés sortent hâtivement de sa poche de pantalon un grand mouchoir de baptiste bien blanc avec lequel ils épongent le front du mercenaire qui a présumé de ses forces septagénaires, presque octogénaires. Le front sec et le regard enfin clair, les mains bouffies n’ont plus qu’à rabattre la mèche noir corbeau sur le crâne rosi et dégarni du guerrier en bedaine. Le torse bombé, Honoré Boudbilat a traversé la rue.

Le chauffeur d’autocar ne l’a pas reconnu et l’Espace venant en sens inverse n’a pas dû le voir non plus.

       Honoré Boudbilat, ignoré du grand public, est mort tout connement en traversant la rue.

       Santé !

 

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