Terminales › L'art et le sacré - question et enjeux esthétiques

Fil des billets

04 mai 2020

Les paysages de Cézanne et l’expérience du sacré

 
cezanne.jpg

Paul Cézanne (139-1906) La Montagne Sainte-Victoire, vue de Bibémus, vers 1897.

Huile sur toile, 65 x 80 cm. Museum of Art, Baltimore.

 

Les paysages de Cézanne et l’expérience du sacré

Dans un entretien intitulé « En compagnie des peintres », Philippe Jaccottet répond ainsi à la question qui lui est posée à propos de son expérience du paysage, aussi bien chez les peintres que dans le monde sensible :

… Je me suis aperçu qu’un certain nombre de peintres du passé, et encore quelques-uns d’aujourd’hui, traduisent sur la toile le choc émotif que moi je ressens comme poète devant la nature, et que j’ai le désir de traduire par des mots. Je me dis même parfois : « Attention ! de ne pas devenir un peintre en mots ! » C’est un danger à éviter à tout prix. J’ai l’impression que – mais je marche là sur des sentiers très battus, qui sont ceux de la Sainte-Victoire – des peintres tels que Cézanne font monter le Fond des choses, ce par quoi nous pouvons être attachés à ce qui nous entoure et y trouver une espèce d’aliment, et d’encouragement à lutter contre tout ce qui menace de nous détruire. C’est comme si les dieux absents, morts, ou disparus selon certains, remontaient sans du tout être nommés, sans être figurés, même pas sous forme de nymphes, comme chez Poussin. C’est comme si cette présence insaisissable, cette sorte d’énigme contre laquelle on finit par buter, mais dont on se dit qu’elle vous fait vivre, étrangement, qu’on n’arrive pas à saisir, eh bien, un certain nombre de peintres l’ont saisie. C’est le cas chez Cézanne, où les figures qui étaient présentes chez Poussin ne sont plus là, mais sont néanmoins sensibles, et la force, le rayonnement de ces présences insaisissables est tout aussi grand[1].

Et dans Paysages avec figures absentes, il écrit :

Les peintres de la Renaissance, redécouvrant la grâce de l’Antique, avaient peuplé les lieux où ils vivaient de nymphes, de temples en ruine, de satyres et de dieux. J’étais sensible au pouvoir troublant de leurs Bacchanales, à la sérénité de leurs Parnasses […].

Néanmoins, je ne pouvais m’empêcher, devant ces œuvres, de ressentir toujours une impression, fût-elle légère, de théâtre : parce que la vérité qu’elles exprimaient avait cessé d’être la nôtre. Et quand je regardais les paysages de Cézanne, où je pouvais retrouver ceux qui m’entouraient, je me disais […] qu’en eux, où il n’y avait que montagnes, maisons, arbres et rochers, d’où les figures s’étaient enfuies, la grâce de l’Origine était encore plus présente.[2]

Dans quelle mesure la peinture de paysage de Cézanne rend-elle possible une expérience du sacré, vécue à partir de du sentiment de la nature ? On peut repérer un lien avec le sacré dans trois séries d’œuvres de Cézanne : d’une part les tableaux qu’il réalise dans les anciennes carrières de la campagne aixoise, à Bibémus, notamment le tableau Carrière de Bibémus, d’autre part bien sûr dans la série de La montagne Sainte-Victoire – le nom même de la montagne indique un lien avec le sacré – et enfin dans la série des Grandes baigneuses, ces énigmatiques figures féminines pouvant être perçues comme dans des déesses, dans un paysage dont les arbres forment comme la voûte d’une cathédrale. Examinons ces trois exemples.

 

[1] Philippe Jaccottet, « En compagnie des peintre », dans Au cœur des apparences, éd. de la Transparence, 2012, p. 26-27.

[2] Paysages avec figures absentes, dans Œuvres, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 2014, p. 474-475.

Lire la suite...

30 avril 2020

L'expérience du sacré et la poétique du paysage

L’expérience du Sacré et l’esthétique du paysage

 

L’esthétique du paysage s’exprime essentiellement par deux moyens : la peinture et la poésie. On pourrait ajouter par la photographie et le cinéma, et pour l’art contemporain, par le land art. Dans ce cours, on s’en tiendra à la peinture – au sens large, comprenant l’estampe – et à la poésie.

Quel lien y a-t-il entre l’expérience du paysage et l’expérience du Sacré ? Ce cours se propose de répondre à cette question, qui est la ligne directrice de ce sujet.

Tout d’abord, le paysage en peinture n’apparaît de manière autonome – c’est-à-dire autrement que comme l’arrière-plan, le plus souvent schématique, d’un tableau dont le sujet principal est en général religieux – qu’à la Renaissance. C’est à partir du XVe siècle qu’on voit apparaître des tableaux dont le sujet principal est un paysage : il y a certes en art un sentiment de la nature qui s’exprime avant, par exemple dans les fresques de Pompéi, dans les fresques de l’art roman, mais le plus souvent le paysage n’était pas représenté lui-même, il n’était qu’un décor.  Qu’est-ce qu’un paysage ? C’est, pour faire simple, une vue sur un lieu, le plus souvent naturel. Si nous parlons de paysage, c’est parce qu’une œuvre, poésie ou peinture, traduit l’émotion produite par certains fragments du monde terrestre, un aspect d’un pays, où nature et culture s’articulent : un certain agencement de lumières, de couleurs, de formes, de matières. Le poème ou le tableau proviennent de la joie, du saisissement que font naître, par exemple, une montagne, une vallée, un lac, la mer, la lumière qui se reflète sur l’eau, un jardin. Mais il y a aussi des paysages urbains. Il n’en sera pas question ici. Car le sacré, pour des raisons qu’on va expliquer, s’atteste dans la relation avec un lieu, dans la relation de l’homme avec la nature, saisissante par sa beauté.

Sur cette estampe, le Fuji est vu depuis la mer, entre la côte escarpée à gauche et une vague déferlante sur la droite. Au premier plan, la mer est représentée démontée, sous l'emprise de vagues violentes et écumantes, tandis qu'au loin, elle se fait calme et plane, accueillante même pour le voilier qu'on aperçoit. À l'arrière-plan, au-dessus de la baie de Suruga, s'élève le cône neigeux du mont Fuji. Sur la crête de la falaise abrupte, figurée sur la gauche, une route étroite et périlleuse, surplombant la mer, fut aménagée en 1655 pour faciliter le parcours des voyageurs, qui n'avaient plus à attendre la marée basse pour franchir la passe de Satta. Cette falaise fait pendant à la vague, encadrant ainsi le paysage. Cette estampe, à la composition graphique complexe, au cadrage très recherché, qui met en scène une vague puissante, frangée d'écume, impérieuse et menaçante, saisie sur le vif à son point culminant, juste avant qu'elle ne se fracasse, évoque la célèbre Vague de Hokusai dans sa série des Trente-six vues du Fuji.

« La mer à Satta, dans la province de Suruga » (Suruga Satta kaijô) Les « Trente-six vues du Fuji » (Fuji sanjûrokkei) Hiroshige Utagawa (1797-1858), vers 1858-1859. Signé : « Hiroshige ga ». Inscriptions : titres de la série et de l'estampe en haut, à droite, dans un cartouche rectangulaire. Éditeur : Tsutaya Kichizô. Nishiki-e ; format ôban tate-e. 339 x 220 mm. BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE DE-10, J. B. 1072. © Bibliothèque nationale de France

 

Lire la suite...

Le Sacré dans la peinture de paysage

Nicolas Poussin (Les Andelys 1594–1665 Rome), Paysage avec Orion aveugle cherchant le soleil, 1658. Dimensions: 119.1 x 182.9 cm. New York, Metropolitan Museum of art.

 

Dans la tradition occidentale, on peut distinguer entre deux types de paysage : le paysage avec figures et le paysage sans figures – que Philippe Jaccottet appelle, pour des raisons qu'on examinera, Paysage avec figures absentes.

A la Renaissance et à l’âge classique, le paysage, même s’il est déjà peint pour lui-même, est le plus souvent le décor soit d’une scène de la mythologie, soit d’un épisode de la Bible. Il en est ainsi des paysages de Nicolas Poussin.

On peut se demander pourquoi les peintres de paysage – et Nicolas Poussin en particulier – placent dans leurs paysages des héros et des dieux, c’est-à-dire des figures sacrées, en lien, par les mythes, avec le sentiment que le monde ne se limite pas aux apparences visibles, que la réalité naturelle recèle du surnaturel, des divinités. Et on constate que le fait de lier le paysage et l’expérience du sacré n’est pas le propre de la peinture occidentale, puisque les peintres chinois et les peintres japonais le font aussi. Si les figures, dans les paysages avec figures, sont des figures sacrées - des dieux, des héros, des nymphes -  n’est-ce pas parce que le sentiment du beau naturel que les peintres (et bien des poètes) expriment prend la forme du sentiment du sacré ? En bref, si les peintres insèrent dans leurs paysages des figures qui représentent le divin, n'est-ce pas une manière d'exprimer le sentiment du Sacré que le paysage en lui-même suscite ? N'est-ce pas aussi pour cette raison que Cézanne peint ses Grandes baigneuses ? Même si ce ne sont plus des divinités identifiées de l'Antiquité, ces grandes femmes étranges apparaissent bien comme des êtres à mi-chemin entre l'humain et le divin.

Paul Cézanne (Aix-en-Provence, 1839-1906) Les grandes baigneuses (II). Huile sur toile. 210,7 x 251 cm. 1906
Philadelphia Museum of Art, USA

Lire la suite...

20 avril 2020

La Chapelle du Rosaire

http://chapellematisse.com/index.html

La Chapelle du Rosaire, à Vence, dans les Alpes-Maritimes, a été réalisé par Matisse pour les Soeurs dominicaines.

Discrète à l'extérieur et s'intégrant parfaitement dans l'environnement souvent ensoleillé de Vence, on ne remarque la chapelle Matisse que par son toit de tuiles blanches et bleues et par sa croix de fer forgé haute de treize mètres, portant des croissants de lunes et des flammes dorées.

Composés de trois couleurs (le jaune, le vert et le bleu), les grands vitraux inondent de lumière les murs blanchis à la chaux et les 3 grands tableaux en traits noirs sur céramiques blanches qui évoquent saint Dominique, la Nativité et le chemin de croix.

« J’ai toujours essayé de dissimuler mes efforts, j’ai toujours souhaité que mes œuvres aient la légèreté et la gaité du printemps qui ne laisse jamais soupçonner le travail qu’il a coûté. » H. Matisse 1948.

Lire la suite...

18 avril 2020

Au fondement des sociétés humaines

Examinons les questions suivantes : qu'est-ce qu'un objet sacré ? Un objet sacré est-il une oeuvre d'art ? Pour répondre à ces questions, lisons le premier chapitre de Au Fondement des sociétés humaines de Maurice Godelier, éditions Albin Michel, 2007, p. 67-88.

07 mars 2020

Qu'est-ce qu'un objet sacré ?

9782226179036-j.jpg
9782226179036-j.jpg, août 2018
kissi.png, sept. 2018

 

kissi.png

kissi.png, sept. 2018

CARACTÉRISTIQUES

Pierre
H. : 23 cm
Fondation Dapper, Paris
Inv. n° 1014
© Archives Fondation Dapper – Photo Hughes Dubois.

 

Lire la suite...

Le Stabat mater de Francis Poulenc

La Vierge noire de Rocamadour qui a inspiré Francis Poulenc pour ses Litanies à la Vierge noire et son Stabat Mater

ViergeNoire.jpg

1951, Strasbourg : Création du Stabat Mater de Francis Poulenc

Fin août 1950, Francis Poulenc compose les premières notes de son "Stabat Mater" qu'il a dédié à la mémoire de son ami Christian Bérard.

https://www.francemusique.fr/emissions/musicopolis/1951-strasbourg-creation-du-stabat-mater-de-francis-poulenc-76401

 

Lire la suite...

03 février 2020

La violence et le sacré

Lors d'une conférence donnée à l'Ecole normale supérieure, René Girard a exposé les grandes lignes de sa thèse à propos du rôle de la violence dans la culture. Il montre précisément en quoi le sacré constitue une réponse inventée par l'humanité pour surmonter sa propre violence.

 

https://www.sam-network.org/video/rene-girard-le-role-de-la-violence-dans-la-culture-humaine

Lire la suite...

07 janvier 2020

Le sacré et la tragédie : Oedipe-roi de Sophocle

La tragédie de Sophocle Oedipe-Roi, ressaisit les dimensions mythiques du Sacré.

L'émission de France culture, Les Chemins de la philosophie, permet d'en comprendre les fondements.

 

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/cest-ton-destin-14-oedipe-roi-de-sophocle

Lire la suite...

03 décembre 2018

Sortie au Musée national des arts asiatiques - Guimet

Visite-conférence sur une "introduction au bouddhisme". A travers les oeuvres du Mnaag nous avons parcouru les aires de diffusion du bouddhisme.
Nous avons pu voir des diffréentes représentations du Buddha (ou Bouddha) selon les civilisations mais avec des invariants symboliques, ainsi que des scènes de la vie du Buddha ; des décors d'espaces sacrés, les stupas ; ainsi que diverses oeuvres dont certains représentations du bodhisattva.

Inde

Le grand départ, Andhra Pradesh, Ecole d’Amāravati, IIe s., plaque de revêtement de stūpa, calcaire marmoréen


L’assaut de Māra, Andhra Pradesh, Ecole d’Amāravati, IIe s., plaque de revêtement de stūpa, calcaire marmoréen

Lire la suite...

- page 3 de 4 -