Anna Ciaunica, Qu'est ce que la conscience?, Vrin, 2017, lu par Alexandra Barral
Par Romain Couderc le 26 juin 2018, 06:00 - Philosophie générale - Lien permanent
Anna Ciaunica, Qu'est ce que la conscience ?, Vrin, 2017
La collection "Les chemins philosophiques » de Vrin propose une quarantaine d’ouvrages de quelque 120 pages qui répondent à la question : « qu'est ce que? » et proposent une approche d’un thème, de façon à la fois claire et relativement érudite. C'est le cas de "qu'est ce que la conscience ?", écrit par Anna Ciaunica, chercheur en philosophie et spécialiste en sciences cognitives.
L'ouvrage se présente en deux parties : un exposé sur les problèmes que pose la conscience en se centrant sur les réponses modernes apportées à la question et une seconde partie où deux textes, un de Levine et un autre de Sartre, sont mis en perspective historique et expliqués.
La conscience est un concept mystérieux qui nous "glisse entre les doigts" (p. 8). Elle est tout autant un concept philosophique qu'un objet d'étude scientifique. Familier et mystérieux il englobe des aspects primitifs comme les mouvements corporels, jusqu’aux manifestations très évoluées comme l'éthique ou le sentiment esthétique.
Dans la première partie, l'introduction présente les problématiques autour de la conscience, par le biais de son inverse : que signifie perdre conscience? Que perd-ton lorsque l'on perd conscience ? Doit-on distinguer une conscience phénoménale (qui perdure lorsque l'on dort ou quand on souffre du locked-in syndrome) et une conscience d'accès, c'est-à-dire la conscience n'est conscience que lorsqu'on y a accès ?
Un second problème est énoncé de la façon suivante : une première définition de la conscience est donnée, définition classique de la conscience comme conscience de soi. Ainsi le problème rebondit-il pour savoir ce qui manifeste une conscience de soi? La conscience suppose-t-elle la maîtrise du langage pour pouvoir se dire? Un animal, un nouveau né ont-ils une conscience d'eux, mêmes primitive ?
Le reste de l'ouvrage s'articule autour de 4 chapitres :
- Les caractéristiques de la conscience
- Les formes de la conscience
-Situer la conscience dans la nature
-Les corrélats neuronaux de la conscience
Les caractéristiques de la conscience
La première des caractéristiques énoncées ici c'est que la conscience est la faculté d'avoir un accès privé à son intériorité, à soi-même. On peut appeler cette faculté la capacité d'introspection de la conscience. Cette faculté peut être tournée vers les objets en dehors d'elle même. On appelle alors cela l'intentionnalité de la conscience. Comment expliquer ce double mouvement de la conscience capable de "jeter un pont" (p .18) entre son intimité subjective et l'objectivité du monde ?
La seconde caractéristique est le caractère d'unité et de continuité de la conscience. Cette unité et cette continuité posent problème. Avoir conscience, est-ce avoir conscience d’un ensemble de perception ? Ou avoir conscience, est-ce sélectionner un fait en rejetant le reste dans l’ombre ?
Les formes de la conscience
La première forme est la conscience d’accès qui est la possibilité de se dire à soi-même ce que l’on pense, sait ou voit. La conscience phénoménale est l’aspect qualitatif de l’expérience vécue. La conscience de soi est l’aptitude à se reconnaitre soi-même, dans un miroir par exemple et la conscience réflexive ou autobiographique est la capacité à accéder à des informations sur soi, nos traits psychologiques, notre histoire par exemple.
Situer la conscience dans la nature
La question que pose ce chapitre est celle de la différence entre la conscience, comme possible entité spirituelle et la matière. D’un point de vue métaphysique on oppose classiquement le dualisme et le matérialisme. La conscience est-elle un phénomène qui peut oui ou non se réduire aux propriétés physico-chimiques de la matière ou à des processus neuronaux ? L’auteur y étudie successivement les réponses possibles à ce problème. Le dualisme s’exprime traditionnellement via la philosophie cartésienne et le matérialisme plus précisément dans le behaviorisme, puis les arguments fonctionnalistes et anti-fonctionnalistes.
Les corrélats neuronaux de la conscience
D’un point de vue empirique se pose la question du lieu, du siège de la conscience dans le cerveau. Doit-on assimiler chaque état conscient à une zone du cerveau précise ? La conscience a-t-elle un siège dans le cerveau, ou au contraire les phénomènes conscients ne sont-ils que le résultat d’interactions dans les différentes zones du cerveau ?
Les textes choisis
1- Joseph Levine « Omettre l’effet que cela fait », trad. fr. P.Poirier, dans D.Fisette et P. Poirier (éd.), Philosophie de l’esprit. Problèmes et perspectives,Paris, Vrin, 2003, p.195-221
Levine propose dans ce texte les arguments variés du matérialisme physicaliste qui affirme que le monde est composé uniquement d’entités matérielles reconnues par la physique. Mais en quel sens un état mental est-il matériel ? En quel sens un état mental est-il relié à un niveau inférieur et conditionnant (masse, énergie ou encore électron…) ? Est-ce réduire la conscience que de la faire découler de processus neuronaux ? L’auteur passe en revue les différents points de vue dit matérialistes et leurs variantes (type A comme la philosophie de Ryle, type B comme Levine lui-même ou C comme Nigel) puis revient au dualisme cartésien et examine enfin la théorie moniste (comme la défend Russell).
2-Jean-Paul Sartre « Conscience de soi et connaissance de soi » dans La transcendance de l’Ego et autres textes phénoménologiques, Paris, Vrin, 2003, p.135-152
Sartre développe dans ce texte le thème de la conscience phénoménologique qui affirme que la conscience est nécessairement conscience de quelque chose et qu’à ce titre elle n’est pas, elle n’est ni pleine ni vide. Mais cette conscience de l’objet n’est pas la plus primitive. Elle est nécessairement sous-tendue par une conscience de soi. Elle est la condition de la conscience de quelque chose.
Ce petit ouvrage dresse un bilan complet des thèses aujourd’hui en présence sur la question de la conscience. C’est un ouvrage à la fois clair, l’auteur ayant recours à l’exemple pour illustrer des choses abstraites, et à la fois très technique.
Alexandra Barral