Michel Bitbol, La Conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience, Flammarion, lu par Camille Lemée

Michel Bitbol, La Conscience a-t-elle une origine ? Des neurosciences à la pleine conscience : une nouvelle approche de l’esprit, éd. Flammarion, "Bibliothèque des savoirs".
L’objet de ce livre est l’expérience consciente prise dans toute sa radicalité au sens où elle ne saurait se contenter d’une réponse externalisée et exige que le sujet questionnant soit pris avec la question. En effet elle engage sans doute une reconfiguration du soi, l’identité du sujet étant fabriquée. Visant à montrer la plasticité du je-sujet, l’auteur prend le parti d’interpeller le lecteur, quitte à le déstabiliser.

Sommaire

Question 1. Quel langage pour la conscience ?

Question 2. Peut-on « définir » la conscience ?

Question 3. Comment changer d’état de conscience ?

Question 4. Les questions sur la conscience sont-elles auto-référentielles ?

Question 5. La conscience est-elle le présupposé de la nature ?

Question 6. Comment classer les thèses métaphysiques au sujet de la conscience ?

Question 7. Que faut-il être pour adhérer à une thèse métaphysique ?

Question 8. Qu’est-ce que ça (ne) fait (pas) d’être un Zombie ?

Question 9. Les théories neurologiques et évolutionnistes de la conscience : qu’expliquent-elles ?

Question 10. Anesthésie, sommeil, coma : que suspendent-ils ?

Questions 11. Quel genre d’unité a le moment présent ?

Question 12. Comment la nature est-elle nouée par et avec la conscience ?

Question 13. L’introspection est-elle possible ?

Question 14. Que voudrait dire « vivre sa propre mort » ?

Lecture du livre partie par partie

Question 1. Quel langage pour la conscience ?

L’expérience consciente est ce Là, sans déhiscence, elle adhère à la présence et ne peut s’opposer à rien ; du coup elle échappe à la signification qui suppose distance et dispositif différentiel. Pour autant, ce dont on ne semble pas pouvoir parler sera dit par une modalité réflexive ou auto-locutoire du langage. L’acte auto-locutoire ne décrit rien, il réorganise nos dispositions, il nous change.

Question 2. Peut-on « définir » la conscience ?

L’auteur opère une distinction sémantique de la « conscience » : la conscience primaire ; la conscience réflexive ; la conscience de soi. Cette analyse ternaire est ensuite dépassée par les avancées de la psychologie cognitive expérimentale : les passages d’états de conscience élémentaires à des états de conscience réflexifs sont plus flous. Enfin, sont comparées les différentes significations de la conscience et de la connaissance dans les langues occidentales, mais aussi chinoise et sanskrite.

Question 3. Comment changer d’état de conscience ?

Le changement consiste à quitter la conscience ordinaire par la réduction phénoménologique qui n’est pas une démarche naturelle ; elle suppose une crise aiguë de l’infamiliarité du monde (angoisse chez Heidegger, Camus ou Sartre). L’aboutissement qu’est le laisser-être est comparé aux états d’absorption spirituelle (Eckart, Thérèse d’Avila, hassidisme) ou de contemplation et méditation (tradition bouddhique, zen et pratique du yoga). Ce laisser-être se retrouve dans de nouvelles psychothérapies telles le MBCT (en français : Théorie Cognitive Basée sur la Pleine Conscience).

Question 4. Les questions sur la conscience sont-elles auto-référentielles ?

L’autoréférentialité est inhérente à l’état de conscience de celui qui élabore un discours sur la conscience. Les altérations de la conscience (expérience de mort imminente, drogues, accidents cardio-vasculaires) engagent une réexploration de la conscience. L’auteur montre les limites d’une approche naturaliste des états mentaux qui propose une identification objective des vécus conscients à des causes neurologiques opérant ainsi une démentalisation des états mentaux.

Question 5. La conscience est-elle le présupposé de la nature ?

L’auteur oppose l’état de conscience naturel à l’état de conscience réflexif pour ensuite trouver un troisième état de conscience où « la conscience se révèle à elle-même en tant que pouvoir d’auto-projection ». Le sol du vécu est indépassable même si l’approche scientifique a cherché à réduire l’ensemble de l’expérience sous sa seule juridiction. La réduction scientifique se fait entre des propriétés objectives (par exemple thermodynamiques) et d’autres propriétés objectives (moléculaires), mais le contenu expérientiel est laissé de côté.

Question 6. Comment classer les thèses métaphysiques au sujet de la conscience ?

Ces thèses sont réparties en général en deux catégories : monistes matérialistes et dualistes. Cette catégorisation évince le panpsychisme ou des positions alternatives qui tentent de dépasser le dualisme (le monisme neutre d’inspiration spinoziste et les différents idéalismes). L’auteur propose de revenir à une attention plus élargie, celle de la phénoménologie ou d’un monisme vécu et des commencements (W. James).

Question 7. Que faut-il être pour adhérer à une thèse métaphysique ?

La posture moniste matérialiste a été érigée en valeur morale et sociale au nom de son efficience technique indéniable Cependant, l’auteur relève ses faiblesses logiques et épistémiques. C’est pourquoi il reprend la thèse du panpsychisme (Fechner, au XIXe siècle et chamanisme). Entre ces deux postures, se dessine la voie de la neurophénoménologie (Varela) qui établit une circulation permanente entre l’expérience en première personne du vécu et les structures objectivantes de la science.

Question 8. Qu’est-ce que ça (ne) fait (pas) d’être un Zombie ?

L’auteur discute trois expériences de pensée : celle du zombie (être-sosie de l’humain mais dénué d’expérience consciente – Chalmers, Dennett) ; celle de la chercheuse Mary (n’ayant d’autre expérience du monde qu’en noir et blanc ; F. Jackson) ; celle de ce que cela fait d’être une chauve-souris (Nagel).

Question 9. Les théories neurologiques et évolutionnistes de la conscience : qu’expliquent-elles ?

L’auteur montre que les théories neurologiques et évolutionnistes de la conscience ont pour présupposé méthodologique de ne pas faire intervenir le contenu conscient dans leur explication de l’origine de la conscience. Cependant, il est inévitable que le lien soit rétabli en fin d’explication sinon on ne verrait pas ce qu’elles expliquent ; ce qui implique une tension interne à leur démarche. Enfin, ces théories divergent pour dire quand il y a conscience, allant d’une définition de la conscience rare (attention, métacognition supposant la verbalisation et l’adaptation du comportement sensori-moteur) à une conscience abondante coextensive à la simple capacité de sentir et d’agir.

Question 10. Anesthésie, sommeil, coma : que suspendent-ils ?

Les mesures d’électroencéphalogramme montrent des similitudes entre le sommeil et l’état anesthésique mais sans qu’il y ait identité. Les données électromagnétiques, ne nous donnent pas la certitude qu’il n’y ait pas du tout de conscience sous anesthésie générale. Des expériences montrent la présence d’une conscience en dépit d’une incapacité à verbaliser ou à se remémorer l’état dont il est question. Deux interprétations divergent sur ce qu’est l’état anesthésique : soit une conscience diminuée ; soit une conscience à la fois fragmentée et dissociée de ses possibilités expressives.

Questions 11. Quel genre d’unité a le moment présent ?

A partir de la thèse de Dennett (qui dénie toute conscience à ce qui n’est pas verbalisé ; thèse désaturée de la conscience) et la thèse de Zeki (qui associe une conscience élémentaire à chaque événement neurophysiologique local ; thèse saturée de la conscience), l’auteur soutient la thèse de la théorie des ébauches conscientes multiples, la narration non effectuée demeurant toujours en droit possible.

Question 12. Comment la nature est-elle nouée par et avec la conscience ?

L’auteur revient sur le nœud qui unit l’expérience au tissu nerveux, le mental au cérébral en l’interprétant non en termes de causalité mais de signification établissant un chiasme neuro-expérientiel. En effet, les expériences de neurofeedback montrent qu’un sujet peut, par une intention consciente, agir sur ses propres processus neuronaux. Dès lors, il n’y a aucune raison d’affirmer que le cerveau est la cause de la conscience préférablement à la thèse inverse (la conscience est la cause de processus neuronaux). Les deux mouvements s’entrelacent sans que l’on puisse trancher.

Question 13. L’introspection est-elle possible ?

Entre la position d’infaillibilité et celle de faillibilité radicale, l’auteur soutient un statut intermédiaire de l’introspection en prenant pour critère la cohérence performative et non une hypothétique correspondance avec un objet (l’expérience « en soi »), correspondance qui n’est pas même identifiable dans les sciences de la nature. Par la méthode d’entretien d’explicitation de l’expérience, on pourrait parvenir au cœur de la conscience.

Question 14. Que voudrait dire « vivre sa propre mort » ?

Les récits de mort imminente donnent lieu à deux interprétations qui donnent toutes deux un fondement objectif à la narration : celui d’une transcendance (l’au-delà), ou celui d’un processus altéré de la physiologie neuronale. Par-delà ces interprétations, l’auteur propose une suspension du jugement qui laisse advenir la narration subjective en elle-même.

Conclusion

L’auteur ne cherche pas à résoudre ce qui est insoluble – la question de l’origine physique de la conscience – mais assume l’inactualité d’une position qui reconnaît que celui qui a cherché à se rendre comme maître et possesseur de la nature, n’est en réalité pas même possesseur de lui-même.

Commentaire personnel sur l’intérêt du livre et de son projet

Ce livre est d’une richesse foisonnante et relie des domaines souvent séparés (philosophie analytique, phénoménologie, sagesses orientales, neurosciences, mécanique quantique, psychologie expérimentale). Les notes en bas de pages très précises permettent de prolonger la recherche. L’écriture rigoureuse, se fait aussi poétique, poésie qui invite le lecteur à faire sienne cette « initiation au monde et à soi ».

Camille Lemée