Perceval le Gallois : les origines du graal

Perceval est un tout jeune homme élevé par sa mère dans la Déserte(1) Forêt dans le  Pays de Galles. Pour éviter qu'il ne meure comme ses frères et son père, sa mère l'a maintenu dans l'ignorance du monde extérieur et plus spécialement des chevaliers. Lorsqu'un jour cinq d'entre eux, tout en armure, entrent dans la forêt à la recherche de personnes disparues, Perceval les prend pour des anges et les assomme de questions. Ce passage parmi les plus connus a contribué à donner de Perceval l'image d'un jeune homme naïf, presque niais (c'est ainsi qu'il est représenté dans la série Kaamelott de Alexandre ASTIER ou dans la bande dessinée Peredur le naïf de J. LERECULEY et D. CHAUVEL). Dès lors, Perceval n'a pas d'autre objectif que de devenir à son tour chevalier. Il écoute les derniers conseils de sa mère, avant de se précipiter à l'aventure, sans se soucier de la voir s'évanouir. Il lui faut trouver le roi Arthur, qui, dit-on est celui qui fait les chevaliers. Son ignorance des règles de bonne conduite font sourire plus d'une fois le lecteur : il embrasse de force une jeune femme, il ignore comment défaire l'armure du Chevalier Vermeil qu'il vient de vaincre... Son histoire est racontée par exemple dans le film Perceval le Gallois (1979) de Eric ROHMER, avec Fabrice LUCHINI et André DUSSOLLIER. Pour donner l'aspect d'un conte, les décors sont volontairement ceux d'un théâtre, les acteurs déclament leur texte avec un vocabulaire moyenâgeux... Dans le roman, il faudra toute la sagesse et la bienveillance du vieux Gornemant de Goort pour faire de Perceval un vrai chevalier (voir la cérémonie de l'adoubement).

Il  met ensuite son talent au service de la belle Blanchefleur dont le domaine de Beaurepaire est assailli par les armées de Clamadieu des Îles. Jusque-là, le texte a tous les aspects d'un roman d'apprentissage où le héros, étape par étape, gagne en expérience. Mais le point central du récit est celui qui le mène au mystérieux graal, faisant ainsi de cette histoire un roman d'initiation. Perceval croise sur sa route un homme qui pêche à la ligne dans une barque et qui lui indique un château non loin de là. A sa grande surprise, Perceval entre en effet dans un château pourtant invisible de loin. Le merveilleux est en marche. Il y est fort bien reçu et découvre que le pêcheur est en fait le roi qui a perdu l'usage de ses jambes : le roi Pêcheur. Au cours du dîner, il est alors témoin de nombreux événements mystérieux.  Un chevalier apporte au roi une épée richement travaillée "de si bon acier qu'elle ne pourrait se briser" (v. 3078-3079). Il n'en existe que trois et celle-ci est destinée Perceval. Ensuite un jeune homme entre, porteur d'une lance blanche, "il sortait une goutte de sang du fer, à la pointe de la lance" (v.3136-3137). Deux autres jeunes gens entrent avec des chandeliers, mais surtout "d'un graal tenu à deux mains était porteuse une demoiselle, qui s'avançait avec les jeunes gens, belle, gracieuse, élégamment parée. Quand elle fut entrée dans la pièce, avec le graal qu'elle tenait, il se fit une si grande clarté que les chandelles en perdirent leur éclat comme les étoiles au lever du soleil ou de la lune. Derrière elle venait une autre qui portait un tailloir en argent. Le graal qui allait devant était de l'or le plus pur. Des pierres de toutes sortes étaient serties dans le graal, parmi les plus riches et les plus rares qui soient en terre ou en mer." (v.3156-3175). Toutes ces personnes passent sans que Perceval n'ose demander la raison de ces mystères. Il suit en cela les conseils pourtant avisés de Gornemant. Qu'est-ce donc que le graal que le narrateur ne prend ni la peine de décrire ni de définir ?

Au matin, Perceval se réveille seul et quitte les lieux sans avoir rencontré personne, les portes de ferment seules derrière lui et la demeure disparaît. Cela prouve d'une part que les lieux sont réellement magiques  mais aussi que Perceval a échoué. L'échec du héros est un motif récurrent [=qui revient] dans l’œuvre de Chrétien DE TROYES (la charrette pour Lancelot  : voir Le meilleur chevalier du monde ; la folie pour Yvain : voir Les chevaliers errants). Ce n'est qu'une étape, le chevalier finit toujours par surmonter les difficultés et sort vainqueur de l'histoire. Or le roman de Perceval est demeuré inachevé à la mort de Chrétien DE TROYES. Ce hasard a permis à d'innombrables auteurs de proposer des continuations, autrement dit des suites qui permettaient d'offrir un dénouement. Très vite, les romanciers et poètes sont allés jusqu'à réécrire le texte de Chrétien en l'amplifiant, le modifiant, lui donnant une autre signification.  Impossible de tous les citer, mais en voici quelques uns.

Les transformations du Saint Graal

Il existe de nombreuses mises en musique, comme par exemple "La complainte de Perceval" interprétée par Gabriel YACOUB pour le collectif Excalibur, l'opéra rock celtique : "A pied ou à cheval / La Quête est mon seul idéal" ; "Gens de terre gente animale /Avez-vous vu le Saint Graal ?".

Ce qui au départ n'était qu'une pièce de vaisselle, le graal devient au fur et à mesure un objet lié à la Bible et à la religion chrétienne : le Saint Graal. La lance qui l'accompagnait devient la Sainte Lance, une relique avec laquelle le Romain Longin aurait blessé le Christ sur la croix [Evangile de Jean : chapitre XIX, verset 34 : "Mais un des soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau"]. La scène est représentée par FRA ANGELICO (vers 1395-1435) et est visible dans le cloître de San Marco, à Florence.

Fra Angelico 027

Le poète allemand Wolfram von ESCHENBACH (XIIe s.- XIIe s.), à ce qu'on dit était installé au château de Wertheim en Allemagne lorsqu'il a composé sa version de l'histoire de Perceval : Parzifal (voir MILTENBERG 5 : un voyage à travers le temps). Selon lui, le graal a d'abord été une pierre précieuse. Elle servait à décorer la couronne de Lucifer, avant qu'il ne devienne le chef des anges rebelles puis le Diable. Ayant changé de fonction, elle est remise à Joseph d'Arimathie et reste à la garde des Chevaliers du Graal en les nourrissant.

Le texte sera repris et critiqué mais aussi magnifié par son compatriote le compositeur Richard WAGNER (1803-1883) dans l'opéra Parsifal (notez le changement d'orthographe).  La scène s'ouvre à Monsalvat dans le sud de la France, au château du Graal, dans lequel règne le roi Amfortas (voix de baryton basse) qui souffre d'une blessure magique infligée par la lance sacrée. Gurnemanz (voix de basse), le plus sage des chevaliers du Graal qui vivent auprès de lui confie au roi une vision dans laquelle une voix divine déclare : "Pitié rend sage le chaste Fol, sache attendre qui j'ai choisi". Parsifal (voix de ténor), selon une étymologie fantaisiste défendue par Wagner, signifie le "fou pur". Son arrivée au château laisse croire qu'il  pourrait être celui-là. Mais il reste insensible au rituel du Graal alors il est chassé. Il devra connaître de nombreuses aventures et  déjouer les pièges du maléfique Klingsor (voix de baryton basse), résister aux tentations causées par la redoutable et énigmatique Kundry (voix de mezzo soprano) avant de guérir Amfortas et de devenir à son tour le nouveau Roi du Graal :

"Une arme seule est sûre : la plaie ne cède qu'au fer seul qui la fit ! Sois sauf, sans crime et guéri ! Car moi, je prends ici ton rang. Bénie soit ta peine, qui mit pitié puissante et pur savoir d'amour au cœur du Fol craintif !" (acte III, traduction de Alfred ERNST).

Comme toujours la musique de Wagner est grandiloquente. L'opéra commence en douceur avec les cordes et les cuivres qui suggèrent une aube naissante. Le deuxième acte, qui présente le château de Klingsor, génère cette fois une atmosphère plus terrible au moyen de sons graves et de percussions plus appuyées.

La somme romanesque du Lancelot Graal (qui n'est plus en vers mais en prose) dont nous avons déjà parlé trouve donc une cohérence avec cet objet magique. Il est la pierre de touche de cette vaste architecture et c'est grâce à lui que tous les textes deviennent cohérents. Une première trilogie s'intitulant l'histoire du Saint Graal voit le jour  : Joseph d'Arimathie, Merlin, puis Perceval. Au terme de ces récits, le jeune homme surmonte son échec et devient le roi du Graal. Néanmoins, d'autres écrivains, écarteront le Perceval pour raccrocher les deux premiers romans au reste de la "saga". Joseph d'Arimathie expose clairement ce qu'est le graal. Joseph récupère les quelques biens ayant appartenu à Jésus, dont une écuelle utilisée lors de son dernier repas (la dernière Cène) autour d'une table ronde. Il se charge aussi de descendre de croix le corps de Jésus puis "il recueillit tout ce qu'il put de gouttes de sang et les mit dans l'écuelle qu'il rapporta chez lui ; Dieu en a manifesté depuis maints beaux miracles en Terre promise !" (traduction de Gérard Gros). Cette écuelle (d'autres diront un vase, un calice ou un ciboire) arrive en France après de nombreuses péripéties, disparaissant et réapparaissant au gré des générations, entre les mains d'une lignée d'hommes qui le méritent.

Lorsqu'il apparaît à la cour du roi Arthur, on voit les assiettes et les verres se remplir des mets les plus délicieux. En cela, le graal est à rapprocher des objets mythiques comme la corne d'abondance grecque, le chaudron magique celtique ou d'autres qui ont avant tout une fonction nourricière. Lisez cet extrait pour comprendre comment débute la Quête : Pourquoi les chevaliers entament la Quête du Graal, d'après Thomas MALORY

Galaad, l'élu du Graal

Dans le roman Lancelot, on apprend qu'Hélène la fille de Pellès Roi Pêcheur a trompé Lancelot pour passer la nuit avec lui au château de La Casse. Celui-ci, croyant retrouver Guenièvre, agit comme il le souhaite. MALORY (Livre XI, chapitre 2) raconte : "Le roi eût bien voulu trouver un moyen de faire partager à messire Lancelot la couche de sa fille Elaine. C'était dans le but que voici : Pellès savait bien que messire Lancelot devait de sa fille engendrer un enfant, lequel serait nommé messire Galaad, le valeureux chevalier". On sait aussi que Pellès est de la même famille que Joseph d'Arimathie, le lignage sacré doit être préservé. Cela ressemble fort à la naissance merveilleuse d'Arthur (voir l'article Le Roi Arthur). Et l'utilisation d'un vin magique par une enchanteresse n'est pas sans rappeler le philtre d'amour de Tristan et Iseut (voir LES AMANTS ÉTERNELS 2/3 Cœurs amants et amour interdit). Longtemps après, une nuit de pleine lune, il croise dans la forêt un cerf blanc, une chaîne d'or au cou et entouré de six lions. On lui explique peu après que ce prodige annonce la naissance de celui "qui devait accomplir les aventures du Saint Graal, il est issu du meilleur chevalier du monde et de la fille du Roi Pêcheur" (traduction de Marie-Geneviève GROSSEL). Cette affirmation  et prouve aussi définitivement que ni Perceval (qui a laissé mourir sa mère), ni Lancelot (coupable d'adultère) ne sont les héros qui pourront dévoiler le mystère. Il faut quelqu'un ayant leurs qualités mais pas leurs défauts.

L'enfant qui vient de naître est appelé Galaad (on dit parfois que c'est aussi le nom de naissance de Lancelot). Une place lui est réservé auprès de la Table Ronde : le siège périlleux et quiconque s'y assied sans être autorisé se voit englouti par la terre ou brûlé par les flammes. De nombreux prodiges accompagnent cette prophétie.

Chez Thomas MALORY (XVe s.) dans Le Morte d'Arthur  (Livre XIII, chapitres 2 à 4) on voit d'abord cette inscription en lettres d'or : "Quatre cent cinquante-quatre années après la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce siège doit recevoir son occupant". Par magie, l'inscription se change en "Ceci est le siège de Galaad". Ensuite les chevaliers voient une épée plantée dans une pierre qui flotte, et on y a gravé : "Jamais homme ne m'ôtera d'ici que celui au côté duquel je dois prendre, et ce sera le meilleur chevalier du monde". Seul Galaad parvient à la retirer. On retrouve l'épisode glorieux d'Arthur avec une épreuve permettant d'identifier un élu.

Le roman anonyme La Quête du Saint Graal, est consacré à cette recherche démesurée qui fait prendre conscience à chacun de sa vraie valeur. On voit ainsi disparaître de nombreux chevaliers, qui, soumis à de toutes sortes de tentations, finissent au mieux humiliés, au pire tués. Rejoint par Perceval et Bohort (un cousin de Lancelot), Galaad les surpasse tous, il est en effet celui qui met fin à tous les prodiges qui avaient obstacle aux autres chevaliers lors de la quête du Graal : une fontaine arrête enfin bouillir, un saint homme peut enfin mourir, une tombe cesse de brûler, une épée brisée est réajustée, le Roi Méhaignié, blessé aux jambes, est guéri... Au château de Corbénic, douze survivants de la quête qui ont été jugés dignes se trouvent attablés autour du Graal et de la lance. "Recueillis, les compagnons voient sortir du Vase sacré un homme aux mains, aux pieds et au corps sanglants" (traduction de Gérard Gros). Cette incarnation du Christ leur donne des conseils et rejoue en quelque sorte la scène de son dernier repas avec ses douze apôtres (la dernière Cène). Galaad est chargé de porter le Saint Graal pare delà la mer dans la cité de Sarras et confie à ses amis : "Au moment où j'ai vu ces secrets, mon cœur  s'est trouvé dans un bien-être et joie […]rares". Après avoir régné quelque temps sur la ville de Sarras, Galaad meurt, ses deux compagnons voient une main jaillir du ciel "elle vint directement au Vase et le prit, ainsi que la lance, et les emporta vers le ciel, si bien qu'il ne fut par la suite personne d'assez hardi pour oser prétendre avoir vu le saint Graal".

Une révélation

Dans les récits médiévaux, la quête du Graal est bien une quête initiatique, elle permet de découvrir non seulement Dieu, mais aussi soi-même. La vision de l'objet magique est réservé à une élite heureuse, il s'agit d'une révélation au même titre que ce qu'on voit dans l'apocalypse (voir C'EST L'APOCALYPSE 1/3 : Jour de colère). 

René BARJAVEL dans L'Enchanteur (1984) va dans ce sens : "Le Graal devint pure lumière […] Galaad s'avança  vers le Graal, qui descendit à hauteur de sa poitrine. Il saisit les deux coins du voile, les souleva  et regarda. Il fut comme foudroyé […] - Mère j'ai vu...je comprends..., je sais...". Toutefois, cette connaissance a un prix car celui qui voit le Graal se trouve coupé du reste du monde : une ville lointaine, un château isolé ou pire... l'au-delà. Accéder à la lumière reste un acte dangereux et la lucidité devient mortelle (voir le DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 3/4 : Tout feu tout flamme, b. Le feu céleste). La romancière Marion ZIMMER BRADLEY dans Les Brumes d'Avalon (1982), donne sa vision du moment sacré, assez peu positive :   "Alors de mains invisibles élevèrent la coupe et elle se mit à étinceler comme mille soleils illuminant la nuit.

- La lumière... La lumière ! s'écria Lancelot mettant les mains devant ses yeux comme s'il voulait  se protéger d'un insoutenable éclat.

" Et tous en seront qu'un dans la lumière de l’Éternel..." clama encore la voix. C'est alors, au même moment, que Morgane vit, tout proche d'elle, Galaad radieux, triomphant , métamorphosé par l'extase, tendre les bras, prendre la coupe entre ses mains, boire s'écrouler foudroyé au pied de l'autel. Ainsi payait-il le prix de sa témérité, frappé à mort après avoir porté les mains sur la coupe sacrée, trop vite, trop tôt, sans y avoir été véritablement préparé". Lancelot effondré par la perte de son fils déclare ensuite : "Maintenant nous savons que nul ne peut poser les yeux sur la coupe sacrée sans mourir. La quête est donc achevée et le Graal pour toujours, à l'abri de la rapacité des hommes."

Pour d'autres, le Graal offre la vie éternelle à celui qui y boit. Indiana Jones et la Dernière Croisade (1989) de Steven SPIELBERG reprend cette version en donnant au Graal l'humble aspect d'un gobelet de charpentier. Pour terminer des théories encore plus poussées laissent entendre que la Saint Graal n'est pas un objet, mais quelqu'un. Dans le film Excalibur (1981) de John BOORMAN, le Graal est étroitement lié à la personne du roi Arthur. Si le roi est malade, le royaume aussi ;  retrouver le Graal, c'est faire retrouver son unité au chef. Da Vinci Code (2003), roman policier à succès de Dan BROWN, va encore plus loin en reprenant des théories plus surprenantes sur l'identité du Saint Graal.

La quête permet de dévoiler la vérité. C'est également une façon de s'attarder sur les individualités des chevaliers. Seuls, ils se révèlent à nous parfois sous un jour inattendu.

Découvrez-les dans SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 3/4 : Chevaliers solitaires, a. Les chevaliers errants.


Le mois prochain, vous lirez BAS LES MASQUES, l'art de la dissimulation...

N. THIMON

 

NOTES :

1:  Gaste ou Vaste, selon les traductions, c'est-à-dire Dévastée.

2 : Dans Joseph d'Arimathie, un certain Moyse s'assied à la table sans autorisation, le sol s'ouvre et il est englouti aux enfers. Ce motif reprend un passage de la Bible (Nombres, chapitre XVI, versets 23-33) : Dâtan et Abiram qui refusent l'autorité de Dieu subissent le même sort. Puis dans Lancelot, c'est Brumant qui désobéit et qui se voit totalement brûlé.