Pouvez-vous définir précisément votre métier ?
Dans l'animation, en tant que réalisateur et directeur artistique, je vais poser les bases d'un projet, d'un univers ou d'une idée, que ce soit scénaristiquement ou artistiquement. Ensuite je vais m'entourer d'une équipe qui va me permettre de développer ce projet dans les bonnes conditions. Mon rôle de réalisateur et directeur artistique prend tout son sens puisque je vais devoir trouver les personnes qui vont le mieux répondre à ce projet et les encadrer pour qu'ils respectent ce projet.
Concernant la bande dessinée, je suis dessinateur et coloriste. Je dessine les planches que me seront envoyées par le ou les scénaristes. Je les mets en scène, les découpe, les mets en couleur avant de les envoyer à mon éditeur
Quelles sont les études ou la formation requises pour y parvenir ?
Au lycée, j'ai suivi une formation littéraire option arts plastiques A l'époque, il y avait malheureusement très peu de lycées qui formaient en arts appliqués.Je pense qu'aujourd'hui encore c'est compliqué d'y accéder. Cela permet d'avoir un apprentissage théorique de l'art. D'un point de vue pratique, c’est plus difficile d'apprendre réellement à dessiner. L'essentiel est d'avoir un très bon dossier scolaire ainsi que de bonnes notes au bac pour pouvoir accéder à un enseignement supérieur intéressant.
J'ai fait l'école Olivier-de-Serres, à Paris (ENSAAMA, l'École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d'Arts : http://www.ensaama.net/HTTP/OdS_HTML/Index.html). C’est une école publique au début de laquelle on passe un concours d'entrée, une fois le dossier scolaire acquis. Ce sont de très bonnes écoles, mais je recommande vraiment l'enseignement privé et quelques écoles en particulier :
l'École Émile Cohl à Lyon — dont je suis issu — se fait en 5 ans et forme au dessin dans sa vision la plus large : « qui peut le plus peut le moins », c'est-à-dire que plus vous êtes fort en dessin plus vous êtes capable de vous adapter aux médias différents : illustration, BD, dessin animé, web jeux vidéo,etc. À partir de mes 24 ans, j'y ai suivi la formation de dessinateur concepteur. J'ai également enseigné dans cette école pendant huit ans.
J'interviens encore dans certaines écoles en France : l'École ArtFx à Montpellier (http://www.artfx.fr/), Georges Méliès à Paris (http://www.ecolegeorgesmelies.fr/) ; et en Europe : The Animation Workshop qui se trouve à Viborg au Danemark (http://www.animwork.dk/en/), une école d'animation dans laquelle j'interviens aussi en bande dessinée.
Combien de temps y consacrez-vous ? / Quels sont les horaires ?
En tant que réalisateur et directeur artistique dans le dessin animé, je fais en sorte d'avoir des horaires assez fixes, par respect pour ma famille. Je commence à 10h, je finis vers 17h30-18h avec une heure de pause. Évidemment, quand on est en production, en retard, dans la précipitation, ces horaires peuvent se transformer en 9h-22h, ou plus récemment une ou deux nuits blanches, pour la réalisation d'un pilote pour mon long-métrage — ce n'est pas rare. C’est un métier dans lequel on fait beaucoup de « charrettes », c'est-à-dire que l'on peut finir très tard.
En bande dessinée, c'est assez différent. Je m'impose des horaires assez stricts parce que c'est un métier moins bien rémunéré qu'en animation et l'on se retrouve parfois à vouloir faire beaucoup d'heures pour finir l'album plus vite et gagner plus d'argent sur une période donnée. Étant donné que j'ai ma casquette de réalisateur directeur artistique dans le dessin animé, j'ai une vie financière un peu plus « confortable » (je ne suis pas riche, loin de là!) mais cela me permet de travailler plus sereinement en bande dessinée. Je travaille chez moi, ce qui est une donnée importante également, de 8h30 à 18h, je peux faire une journée d'une dizaine d'heures à peu près. Cependant beaucoup d'auteurs BD font beaucoup plus d'heures, travaillent le week end et ne prennent souvent pas de vacances.
Quelles sont les principales contraintes selon vous ?
Nous faisons des métiers passions ; les contraintes ne viennent pas forcément de notre travail. Dans le milieu de l'audiovisuel, les contraintes, ce serait d'avoir beaucoup d'interlocuteurs pour permettre de faire aboutir vos projets en animation — en long-métrage ou en série — des diffuseurs, des distributeurs dans les cinémas. C'est en même temps un processus qui peut être long, fatigant et fastidieux, on peut parfois aller là où on n'a pas envie d'aller. Il faut apprendre quelquefois à « mettre de l'eau dans son vin » pour les projets qui nous tiennent à cœur.
En bande dessinée, les contraintes sont liées principalement à des plannings. Il faut réussir à tenir des délais donnés pour pouvoir livrer en temps et en heure et tout cela dans un budget limité. Les contraintes sont temporelles et financières. En termes de travail pur, vous en aurez à chaque poste : le décorateur devra s'adapter à la vision d'un réalisateur ou d'un directeur artistique ; un animateur devra s'adapter au type d'animation qu'on lui donne... à l'arrivée cela se transforme en challenge artistique, c’est donc souvent intéressant.
Quels sont les plaisirs ?
Le plaisir, c'est de faire ce qu'on aime. De mon point de vue, c'est de me donner des challenges en fonction de mes projets, pour m'améliorer, de faire des projets différents à chaque fois. Les vrais plaisirs étant à la fin d'avoir la bande dessinée dans ses mains, envoyée par l'éditeur ou de voir son film passer à la télévision et d'avoir des retours et des réactions du public...
Je fais de la peinture et je suis très content de pouvoir utiliser ce que je connais en aquarelle dans l'animation ou dans la bande dessinée, alors que ce n'est pas un support facile à utiliser pour ces médias-là. En étant mon propre « patron », je peux me permettre d'utiliser des choses que je ne ferais pas dans des productions dont je ne suis pas le réalisateur ou le dessinateur.
Quels sont les principaux métiers associés à votre profession ?
En animation, vous en avez beaucoup. Cela va de la production jusqu'à la post-production.
Dans les premières étapes créatives, vous avez :
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les scénaristes avec lesquels vous travaillez pour mettre en place le projet.
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des designers qui vont vous aider à mettre en place vos personnages et vos décors.
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des story-boarders qui vont mettre en images comme en bande dessinée le film que vous avez en tête.
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les animateurs,
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les personnes qui vont faire vos décors
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les personnes qui font du compositing, qui regroupent toutes les couches : l'animation, les décors, les effets spéciaux... pour en faire une image finale dans les logiciels spécialisés.
La post-production :
- avec les personnes qui vont vous faire les bruitages ;
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la musique ;
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les acteurs.
Tout cela est encadré par la production :
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le producteur qui va faire les montages financiers,
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le directeur de production qui va encadrer financièrement le projet pour voir si l'argent est placé là où il faut et que tout fonctionne par rapport au planning, qu'on en dépasse pas le budget donné,
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les chargés de production qui sont au quotidien auprès du réalisateur, du directeur artistique et des équipes pour voir si tout se passe bien, si nous sommes dans les temps et régler d'éventuels problèmes.
A cela s'ajoutent différents interlocuteurs comme les chaînes :
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les responsables d'écriture qui vont lire vos scénarios et vous dire ce qui fonctionne ou pas,
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les responsables des chaînes : les directeurs de programme de jeunesse avec qui le travail se fait de manière régulière.
En bande dessinée, je travaille avec
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un scénariste.
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Je fais moi-même le dessin et la couleur, mais on peut parfois travailler avec des coloristes qui récupèrent votre encrage et vos planches pour les mettre en couleur,
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l'éditeur,
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l'assistant d'édition qui vérifie que ta production du livre se passe dans de bonnes conditions,
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les relecteurs qui vérifient vos pages,
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la maison d'impression qui va tester vos pages pour voir si le rendu des pages correspond à ce que vous aviez au départ.
Puis vous avez les services :
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les attachés de presse qui vont faire le marketing autour de l'album pour qu'il se vende bien, qui vont vous proposer des dates pour aller en festival ou en librairie, pour que l'album vive et que le public puisse vous rencontrer.
Pouvez-vous raconter un bon souvenir ?
En animation, c'était ma rencontre avec Monsieur RINTARO(1), un très grand réalisateur d'animation japonaise., avec qui j'ai eu la chance de travailler pendant deux ans et demi. Ce monsieur — alors qu'on se connaissait peu — m'a fait confiance pour être assistant réalisateur sur son film Yona la Légende l'oiseau-sans-aile. Je n'étais qu'un junior, avec très peu d'expérience. Un jour que nous étions au restaurant, il m'a donné une serviette sur laquelle il avait écrit en japonais : « deux corps, un même esprit ». C'est très rare que les Japonais fassent de telles déclarations de confiance envers des Européens. Cela avait été très touchant et m'avait donné beaucoup d'énergie pour travailler sur son film qui avait été très dur.
En bande dessinée, c'était mon premier festival d'Angoulême, il y a deux ans, où j'ai été invité à aller signer le premier tome du Chant du cygne. Je me suis retrouvé à côté de Coyote, le dessinateur de Litteul Kevin — décédé depuis — je découvert un homme formidable, un biker un peu loubard qui buvait whisky sur whisky qui s'amusait à fumer des cigarettes sous la table alors que le vigiles lui demandaient d'éteindre. C'était vraiment quelqu'un d'adorable et qui pendant les quatre heures où nous avons dédicacé ensemble, s'est comporté avec moi comme si nous nous connaissions depuis toujours. Même si je le connaissais peu, j'avais été très touché par son décès quelques mois plus tard.
Un mauvais souvenir ?
Après le long-métrage d'animation Yona avec le Japon, j'étais tellement fatigué d'avoir travaillé à ce rythme que j'ai fait un burn-out [effondrement dû à l'épuisement professionnel]. J'en conserve des séquelles physiques, au niveau du cou, devenu un vrai baromètre et qui me dit quand ça ne va pas.
L'autre mauvais souvenir, cela a été après la diffusion de notre film Houdini, produit avec mes associés de Dandelooo. Nous avons appris que nous pourrions pas produire la série avec France Télévisions comme nous pensions et espérions le faire. C'était un coup dur d'autant plus qu'en France ou à l'étranger, beaucoup de personnes attendent de voir la série, car le film que nous avons fait pour France 3 a beaucoup plu, on nous en parle très régulièrement. Nous ne désespérons pas de pouvoir monter le projet malgré tout. Sur le coup, cela a été un très gros choc et un très mauvais souvenir.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune qui voudrait faire ce métier ?
La première chose : si on aime dessiner, il ne faut jamais arrêter de dessiner. Au collège, il faut si possible prendre des cours à côté car l'approche du dessin que l'on a n'est que scolaire, avec un heure de dessin. A cet âge-là on ne développe pas ses capacités d'observation. On dessine beaucoup d'imagination, beaucoup à partir de BD, de mangas... Ce qui est une bonne chose parce que cela permet de développer son imaginaire et ce que j'appelle son « musée imaginaire ». Mais pour devenir un vrai bon dessinateur (et il y en a déjà beaucoup dans la profession) il faut avoir un dessin juste ; plus on a un dessin qui est fort, plus le reste devient « simple ». Pour cela, il faut dès que possible prendre des cours en extérieur, faire du dessin d'observation, des natures-mortes, aller dehors, faire des croquis, observer et dessiner les gens... C'est le premier bon conseil : observer, dessiner autant que se peut.
Ensuite, quand on est au collège, il faut rapidement se renseigner, savoir quel cursus prendre au lycée, car selon le choix de la formation, du type de bac que vous déciderez de suivre, vous serez plus motivés pour avoir un bon dossier scolaire et ce sera d'une importance capitale pour l'enseignement supérieur en public ou en privé.
Il faut vraiment définir ce que vous avez envie de faire comme métier. Si vous avez avez envie d'être vraiment dessinateur, plus que quelque chose de théorique lié au dessin —là, c’est mon avis — je pense que l'enseignement public n'est pas adapté à une vision et une approche professionnelles de nos métiers.
Quand je suis sorti de l'Ecole Olivier-de-Serres, je n'étais pas prêt à travailler. J'ai eu une formation tout à fait correcte mais qui n'était pas du tout lucide par rapport au monde extérieur. Des retours que j'ai (à quelques exceptions près, puisqu'il y a de très bonnes écoles publiques : les Arts Déco de Strasbourg (www.hear.fr/), Estienne (www.ecole-estienne.paris/ ), Boulle (www.ecole-boulle.org) ou Duperré (http://duperre.org/), je conseille d'aller dans le privé pour avoir une formation plus en adéquation avec le monde professionnel.
Si c'est la bande dessinée, il y a plusieurs écoles en France, mais je reviens souvent à l'École Emile Cohl parce que je l'ai faite et qu'actuellement, énormément de dessinateurs de bandes dessinées reconnus sont issus de cette école.
En animation, il y en a plusieurs : les Gobelins (www.gobelins.fr/ ), Méliès, à Paris, ArtFx à Montpellier, l'EMCA à Angoulême (www.angouleme-emca.fr/), la Poudrière [près de Valence] (http://www.poudriere.eu/fr). Toutes ces écoles sont privées mais elles sont reconnues parce qu'elles forment de manière professionnelle. Evidemment, on n'est jamais prêt quand on sort mais on l'est largement plus que si on avait suivi un cursus public, à mon sens.
Pourriez-vous présenter en quelques mots votre film Little Houdini ?
Little Houdini, sur un scénario de Francis LAUNAY et François TURQUETY, est un projet réalisé pour France 3 il y a maintenant un an et demi. C’est un film d'animation en 2D, un peu à l'ancienne, dans l'esprit des Sherlock Holmes de MIYAZAKI dont je suis extrêmement fan. Cela raconte l'histoire fictive du petit Harry qui va devenir le grand magicien Houdini et qui a été la première grande star internationale du show-business. C'est lui qui a inspiré et continue d'inspirer les plus grands magiciens qui ont vécu jusqu'à présent. Nous avons profité d'un période de vide dans ses biographies, entre ses dix et quinze ans. Nous savions qu'il avait pris la route pour devenir l'athlète et le magicien qu'il est devenu par la suite et nous avons utilisé cette période très peu documentée de sa vie pour pouvoir imaginer un univers fictif qui raconterait sa vie. Little Houdini montre la rencontre entre Harry et le magicien Tesla — qui est aussi inventeur — et qui va lui donner les bases pour devenir le plus grand des magiciens.
Et votre bande dessinée Le chant du cygne ?
Le chant du cygne est une bande dessinée en deux tomes, dont j'ai fait les couleurs en aquarelle et qui a été scénarisée par Xavier DORISON(2) et Emmanuel HERZET, publiée aux éditions du Lombard dans la collection Signé. C'est basé sur une histoire vraie : une pétition qui a tourné dans les rangs de l'Armée française en 14-18 et qui consistait, non pas à arrêter la guerre — puisqu'ils savaient très bien qu'ils ne le pourraient pas —, mais à demander qu'on arrête de faire la guerre aussi bêtement. Ces soldats, lorsqu'ils se réveillaient et qu'on leur disait de sortir des tranchées, ils savaient que dans 90% des cas ils allaient mourir, parce qu'à l'époque, sortir des tranchées, c'était mourir. Ils savaient qu'il y avait d'autres manières de combattre, mais ils étaient envoyés bêtement au front par leurs supérieurs et ils voulaient se battre contre ça.
C'est donc l'histoire d'une escouade qui va récupérer cette pétition et décider de l'emmener directement à l'Assemblée Nationale à Paris. Pour cela, elle va se retrouver hors la loi et poursuivie par un officier dont la spécialité est de retrouver les mutins et de le remettre dans le droit chemin. Ces hommes, menés par le lieutenant Katz et le sergent Pat Sabiane, vont faire tout leur possible pour amener cette pétition à Paris, au péril de leur vie.
Vous trouverez plus d'informations sur les sites officiels :
Je remercie très chaleureusement Cédric BABOUCHE d'avoir pris le temps de présenter ses multiples activités. Les images sont reproduites avec son aimable autorisation.
N. THIMON.
NOTES :
1 : Sur RINTARO, voir aussi notre article SCIENCE ET FICTION 4/5 : A l'image de l'homme ?
2 : Sur Xavier DORISON, voir LE POINT SUR LES ÎLES 3/4 : L'île au pirates, b. Des îles et des trésors.
Commentaires
reportage absolument passionnant a tous égards
Journot Claudebravo et merci pour les informations !!
@Journot Claude : Bonjour, merci de votre enthousiasme et merci pour les compliments. Le mérite en revient surtout à Cédric Babouche qui a eu le talent et la gentillesse de répondre.
Cordialement,
N.T
N.T.