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Un thème antique entre mythe et philosophie
Dès l’Antiquité grecque, le philosophe PLATON (Ve-IVe s avt J.C.) dans sa République (1) et l’historien HÉRODOTE (Ve siècle avt J.C.) ont raconté l’histoire de Gygès. Ce personnage légendaire entre en possession d’un anneau d’or qui le rend invisible et grâce auquel il prend la place de son roi. Découvrez le texte en suivant le lien ci-dessous :
Un extrait de la République de PLATON
L’intérêt de ces récits est de demander à chacun s’il agirait de façon juste s’il avait des pouvoirs exceptionnels. Des poètes grecs évoqueront quant à eux le casque d’Hadès, le dieu des Enfers, fabriqué par les Cyclopes pour l’aider à lutter contre les Titans. Dans certaines versions, ce casque sera ensuite remis au héros Persée pour le faire disparaître de la vue de tous. La célèbre sculpture de Benvenuto CELLINI (1500-1571) exposée à Florence, donne un aperçu mémorable du vainqueur de la Gorgone Méduse. L’histoire sera reprise plus tard notamment par Nathaniel HAWTHORNE (1804-1864) dans « La Gorgone » issue de son recueil pour la jeunesse Le Premier Livre des Merveilles (1852) ; mais aussi dans les film Le Choc des Titans (1981) de Desmond DAVIS (mais il est absent dans son remake, Le Choc des Titans (2010) de Louis LETERRIER). L’objet magique fait partie des éléments d’origine divine et sert un propos mythologique.
Par ailleurs, la mythologie scandinave(2) avec l’ Edda poétique, mais aussi la poésie épique germanique (qui concerne l’Allemagne) avec la Chanson des Nibelungen mettent en scène un héros : Sigurd/Siegfried, fils de Siegmund. Il est connu pour son combat contre le dragon Fafnir/Fafner après lequel, dans certaines versions tardives du mythe, il gagnera l’invulnérabilité (voir AUTOUR DU HOBBIT 3/3 : la représentation symbolique du dragon dans la culture occidentale) en se baignant dans le sang du monstre vaincu. Au cours de ses aventures, il entre en possession de la tarnkappe, une cape d’invisibilité fabriquée par les Nains et gagne ainsi un atout considérable sur ses ennemis : "Alors Siegfried, dans sa Tarnkappe, franchit la porte donnant sur le sable, où il trouva un petite navire. Invisible y monta le fils de Siegmund" (Chanson des Nibelungs, Huitième aventure, traduction de Jean Amsler). On pourra également se reporter au film de Fritz LANG (1890-1976) Les Nibelungen (1924) (muet, en noir et blanc, en deux parties) dans lequel le héros disposera du tarnhelm, un casque d’invisibilité. Une fois de plus, le pouvoir accordé au héros sert à le démarquer et montrer son lien avec les forces surnaturelles.
"Illustration pour L'Or du Rhin de Richard Wagner"" par Arthur Rackham - http://www.artpassions.net/cgi-bin/rackham.pl?../galleries/rackham/ring/ring10.jpg Publié dans le livre: Wagner, Richard (traduit par Margaret Amour) (1910). L'Or du Rhin et la Walkyrie. London:William Heinemann, New York: Doubleday, Page 40.. Licensed under Public domain via Wikimedia Commons.
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Un objet du merveilleux médiéval
Plus tard, au Moyen-Âge, l’auteur champenois Chrétien de TROYES (vers 1135-1185) s’inspire d’anciennes légendes celtiques et de ce qu’on nomme la « matière de Bretagne » qui sont des sources inépuisables de mystères et de féérie. Nous donnerons l’exemple de l’un de ses romans : Yvain, le chevalier au lion. Le héros, après avoir vaincu le gardien de la fontaine, est enfermé dans un château. Une suivante, Lunette, en récompense de son courage lui remet un anneau d’invisibilité qui l’aidera à échapper à ses ennemis.
" En revanche vous prendrez cet anneau qui m'appartient, et, s'il vous plaît, vous me le rendrez quand je vous aurai délivré. Alors elle lui a vite remis l'anneau en lui disant qu'il a le même pouvoir que le bois qui est sous l'écorce qui le recouvre, de telle sorte qu'on ne le voit point. Seulement il faut qu'on le prenne en sa main de manière à enfermer la pierre dans son poing ; même si on se trouve entre ses ennemis. Jamais ils ne pourront faire du mal à celui qui porte l'anneau à son doigt, car nul homme, même les yeux grands ouverts, ne pourra le voir, pas plus que le bois qui est masqué par le bois qui le recouvre." (traduction de D.F. Hult).
Ce bijou magique vient rendre concret le monde merveilleux si souvent dépeint dans les récits médiévaux.
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Un sujet de science-fiction
Gagnons ensuite le XIXe siècle avec le roman L’Homme invisible (1897) de Herbert George WELLS (1866-1946). C’est l’auteur britannique à qui l’on doit les œuvres de science-fiction majeures comme La Machine à explorer le temps (1895), ou La Guerre des mondes (1898). Vous pouvez en trouver un extrait représentatif ci-après :
Un extrait de L'Homme invisible de H.G. WELLS
Comme chez les auteurs grecs cités plus haut, le romancier explore les aspects négatifs de la découverte scientifique : le protagoniste, Griffin, un physicien britannique, heureux de sa formule, ne cherche que son propre intérêt :
"réaliser cela, ce serait dépasser la magie" dit-il."J'apercevais déjà, dégagé des ténèbres du doute, le tableau magnifique de tout ce que l'invisibilité pouvait représenter pour un homme : le mystère, le pouvoir, la liberté" (chapitre 19).
Plusieurs réalisateurs ont porté à l’écran les aventures de cet homme (par exemple James WHALE en 1933). L’invisibilité n’est plus l’apanage des dieux, elle devient un phénomène reposant sur l’avancée technologique et les connaissances scientifiques à la portée des humains.
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Un élément de fantasy
Avant de terminer, évoquons, les romans de John Ronald Reuel TOLKIEN (1892-1973) : Bilbo le hobbit (1937) et Le Seigneur des Anneaux (1954-1955). Il faut préciser que TOLKIEN était, entre autres, un spécialiste des langues et mythologies germaniques ; c’est donc là qu’il a puisé la majeure partie de ses inspirations. Dans Le Seigneur des Anneaux, il écrit que chaque membre de la communauté se voit offrir par les Elfes de Lorien une cape qui agit comme un camouflage. On y devine une forme de magie qui rappelle la cape d’invisibilité. Dans Bilbo, un récit clairement à destination des plus jeunes, l’auteur montre comment le héros trouve dans une grotte un anneau d’invisibilité qui l’aidera dans sa quête au trésor à se tirer d’un grand nombre de mauvais pas.
"Cet anneau avait certain pouvoir : en le glissant à son doigt, on devenait invisible ; on ne pouvait être vu qu'en plein soleil et encore seulement à son ombre, faible et mal dessinée" (chapitre 5 : énigmes dans l'obscurité, traduction de Francis Ledoux).
L’objet magique est plus énigmatique qu’il n’y paraît et il révélera tous ses secrets dans la suite destinée à un public plus âgé : Le Seigneur des Anneaux. Il redevient l’élément constitutif d’un genre à part entière : la fantasy .
Ce sont ces deux derniers ouvrages qui ont été adaptés au cinéma en deux trilogies par Peter JACKSON (1961-) dans Le Seigneur des Anneaux (2001-2003) puis Le Hobbit (2012-2014). Les films montrent comment le destin du monde se trouve lié à cet anneau d’invisibilité dont les pouvoirs sont terrifiants.
Le succès immense au cinéma, prolonge le plaisir des millions de fans qui mettent en ligne leur production personnelle. C'est le cas ici avec l’œuvre non officielle de Hill, un internaute :
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Et aujourd'hui ?
Le thème de l’invisibilité est donc un sujet fascinant que les artistes se plaisent à réemployer. D’autres œuvres en tous genres ont abordé ce pouvoir. La femme invisible parmi Les Quatre Fantastiques (comic book publié à partir de 1961) de Stan LEE et Jack KIRBY, la cape d’invisibilité dans les romans Harry Potter (1997-2007) de J.K. ROWLING, ou encore la voiture invisible de James BOND dans le film Meurs un autre jour (2002) de Lee TAMAHORI sont là pour prouver combien l’art alimente notre quotidien.
L’invisibilité, mythe ou réalité ? Je vous invite à découvrir dans les revues et magazines(3) spécialisés ce qu’en disent les scientifiques... Conférence du CNRS sur l'invisibilité
La suite dans AUTOUR DU HOBBIT 2/3 : Enchanteur, magicien ou sorcier : les trois visages d’un personnage emblématique
- Vous pourrez également compléter avec les articles SURNATUREL 3/4 : La fantasy, au-delà du réel et SURNATUREL 4/4 : Mondes enchantés.
NOTES :
1 : République, II, 359-360.
2 : Qui concerne les pays nordiques : Norvège, Suède, Islande et Danemark.
3 : Science et vie junior N°275, paru le 18 juillet 2012.
N. THIMON
Commentaires
Sans disparaître à proprement parler, on peut aussi évoquer le cas de ceux qu'on ne voit plus parce qu'ils sont devenus... trop petits ! En 1957, le film de Jack Arnold, L'homme qui rétrécit, (http://vincentmullerdop.free.fr/mus...) lui-même inspiré du roman de Richard Matheson, The Shrinking Man, imagine la situation dramatique d'un homme qui, à la suite d'un contact avec un nuage radioactif, se met à rétrécir jusqu'à disparaître aux yeux de tous et qui se trouve confronté bien sûr à de terribles dangers (un chat, une araignée...).
Cette idée a été à son tour reprise et déclinée au cinéma avec par exemple :
Pierre Méra- Le voyage fantastique, film dramatique de Richard Fleisher en 1966 (des savants miniaturisés à l'extrême sont injectés dans le corps d'un homme pour tenter de le sauver) ;
- L'aventure intérieure, comédie dramatique de Joe Dante en 1987 (un savant miniaturisé se retrouve par erreur injecté dans le corps d'un employé de supermarché dépressif) ;
- Chérie, j'ai rétréci les gosses, comédie dramatique de Joe Johnston en 1987 (un savant miniaturise par erreur ses enfants qui se retrouvent perdus dans la terrible jungle... du jardin !).
@Pierre Méra : Merci Monsieur Méra pour ces précieux commentaires. Cela prouve que même pour l'infiniment petit, les champs d'exploration restent vastes.
N.T.Je trouve cette explication autour du Hobbit super.
ogotek14J'aime surtout la manière avec laquelle on parle d'objets différents dans des œuvres différentes mais qui pourtant ont la même capacité.
Dans cet extrait il aurait pu être évoqué aussi Harry Potter car toujours dans la notion d'invisibilité, il possède lui aussi une cape d'invisibilité.
ogotek14@ogotek14 : Bonsoir, merci beaucoup pour le compliment. Le but est en effet de créer des liens entre les œuvres. C'est toujours intéressant de remarquer que des auteurs très différents vont puiser leur inspiration à la même source. C'est aussi ce qui montre qu'un auteur classique a eu une grande idée quand des siècles après on la reprend. Grâce à cela on se crée une culture et des références communes.
N.T.@ogotek14 :Très bonne référence, mais en regardant plus bas, on peut voir que j'ai évoqué le personnage, en fin d'article. La cape d'invisibilité est - je pense - directement inspirée des mythologies nordiques que J.K. ROWLING connaît bien. Une bonne idée comme celle-là on aurait tort de ne pas s'en servir, non ? A travers le blog, en suivant le tag "Harry Potter", on pourra découvrir les œuvres parfois très anciennes qui ont pu inspirer la romancière britannique. Bonne lecture !
N.T.