Dès la fin du XVIIIe et début du XIXe siècle, les artistes s'attachent à représenter la nature, parfois exotique (voir la thématique DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS). Celle-ci devient le lieu d'expression des sentiments des personnages. Entre romantisme et exotisme, plusieurs textes proposent des schémas semblables. C'est le cas avec Paul et Virginie (1787) de Jacques-Henri BERNARDIN DE SAINT-PIERRE (1737-1814) et Atala (1801) de François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848). Dans les deux cas, on retrouve une narration emboîtée, c'est-à-dire une histoire dans l'histoire. A chaque fois c'est le récit qu'un vieillard fait à un étranger qui vient d'arriver en des contrées lointaines. C'est cette transmission qui permet aux amants de vivre encore, par delà les siècles et les lieux.

 

a) Paul et Virginie

Le récit se déroule sur L'Île de France qui deviendra plus tard l'Île Maurice. Les héros sont à peu près du même âge et sont absolument inséparables. Durant leur enfance, on les voit toujours ensemble. Élevés comme frère et sœur par leurs mères respectives, Mme de la Tour et Marguerite, les deux jeunes gens connaissent sur cette île des jours heureux. Le début de leur histoire est largement développé dans un article précédent LE POINT SUR LES ÎLES : L'île aux enfants.

 

  • Un amour sincère

Le vieux narrateur a bien connu les deux amants et c'est avec émotion qu'il raconte leur histoire :

" Quelquefois seul avec elle (il me l’a mille fois raconté), il lui disait au retour de ses travaux : « Lorsque je suis fatigué ta vue me délasse. Quand du haut de la montagne je t’aperçois au fond de ce vallon, tu me parais au milieu de nos vergers comme un bouton de rose. Si tu marches vers la maison de nos mères, la perdrix qui court vers ses petits a un corsage moins beau et une démarche moins légère. Quoique je te perde de vue à travers les arbres, je n’ai pas besoin de te voir pour te retrouver ; quelque chose de toi que je ne puis dire reste pour moi dans l’air où tu passes, sur l’herbe où tu t’assieds. Lorsque je t’approche, tu ravis tous mes sens. L’azur du ciel est moins beau que le bleu de tes yeux ; le chant des bengalis, moins doux que le son de ta voix. Si je te touche seulement du bout du doigt, tout mon corps frémit de plaisir".

Le vocabulaire de l'amour est largement déployé ici et donne une poésie certaine au texte. La première et la deuxième personne sont présentes à chaque phrase pour illustre le lien indissociable des deux protagonistes (personnages principaux). L'un ne peut exister sans l'autre.

Plus tard, Virginie est envoyée en Europe auprès d'une tante fortunée qui se charge de refaire son éducation.  Paul, pour tromper l'ennui, plante en souvenir de celle qu'il aime des plantes européennes et des plantes africaines afin de symboliser l'union des êtres éloignés. Suite à des malheurs que vous devez découvrir en lisant le texte, Virginie rentre en Île de France.

  • La mort de Virginie

Malheureusement, le navire qui la ramène est pris dans une tempête et fait naufrage. La jeune fille, malgré son courage, ne peut pas être sauvée et son corps échoue sur le rivage : 

"Elle était à moitié couverte de sable, dans l’attitude où nous l’avions vue périr. Ses traits n’étaient point sensiblement altérés. Ses yeux étaient fermés ; mais la sérénité était encore sur son front : seulement les pâles violettes de la mort se confondaient sur ses joues avec les roses de la pudeur. Une de ses mains était sur ses habits, et l’autre, qu’elle appuyait sur son cœur, était fortement fermée et roidie. J’en dégageai avec peine une petite boîte : mais quelle fut ma surprise lorsque je vis que c’était le portrait de Paul, qu’elle lui avait promis de ne jamais abandonner tant qu’elle vivrait !"

 

"Tous les lieux qui lui rappelaient les inquiétudes, les jeux, les repas, la bienfaisance de sa bien-aimée ; la rivière de la Montagne Longue, ma petite maison, la cascade voisine, le papayer qu’elle avait planté, les pelouses où elle aimait à courir, les carrefours de la forêt où elle se plaisait à chanter, firent tour à tour couler ses larmes ; et les mêmes échos, qui avaient retenti tant de fois de leurs cris de joie communs, ne répétaient plus maintenant que ces mots douloureux : « Virginie ! ô ma chère Virginie !  »"

 

Le vieillard veut convaincre Paul que grâce au souvenir d'une vie vertueuse, "Virginie existe encore". Il imagine les propos qu'elle pourrait tenir :"Soutiens donc l’épreuve qui t’est donnée, afin d’accroître le bonheur de ta Virginie par des amours qui n’auront plus de terme". Paul répond : "Puisque la mort est un bien, et que Virginie est heureuse, je veux aussi mourir pour me rejoindre à Virginie". Il meurt deux mois après elle et on l'enterre à ses côtés.  Depuis, on a donné des noms à  "quelques parties de cette île des noms qui éterniseront la perte de Virginie".

Même disparus, quelque chose reste des amants : les noms, les souvenirs, les lieux... C'est pourquoi la sculpture de Louis HOLWECK (1861-1935) au Jardin des plantes de Paris vient immortaliser les deux amants et les lier à jamais.

 

 

 

b) Atala  de CHATEAUBRIAND :

  • Une histoire romantique

Le récit appartient à un cycle plus important consacré aux Natchez, une tribu indienne. Il présente l'Amérique au XVIIIe siècle. La description des lieux avec des animaux sauvages et une végétation luxuriante rappellent les visions du Paradis chez de nombreux peintres (voir AU MATIN DU MONDE 2/3 : Le Paradis terrestre b. L’Éden, un jardin idyllique). C'est aussi une célébration des peintres paysagistes. Pour mieux vous en rendre compte, voyagez à peu de frais en visitant cette page : Albert Bierstadt - The complete works - Page 1



D'autre part, le cadre exotique - du point de vue européen - se montre propice à une histoire d'amour dans le même genre que celle de Paul et Virginie. Chactas appartenait à la tribu des Natchez ; devenu vieillard,  il fait le récit tragique de se jeunesse à René, un jeune Européen adopté par les Indiens. Âgé de vingt ans, il est capturé par le peuple ennemi des Muscogulges, il doit être brûlé selon les rites des guerriers. Alors qu'il attend bravement son sort, il fait la connaissance d'Atala, la fille du chef. Convertie au christianisme, elle vient le voir chaque soir et tente de le sauver.

"Moi qui avais tant désiré de dire les choses du mystère à celle que j'aimais déjà plus que le soleil, maintenant interdit et confus, je crois que j'eusse préféré d'être jeté aux crocodiles de la fontaine, à me trouver seul avec Atala. La fille du désert était ainsi troublée que son prisonnier ; nous gardions un profond silence ; les Génies de l'amour avaient dérobé nos paroles. " (chapitre "les chasseurs").

Les hyperboles (exagérations) du texte viennent illustrer la puissance de l'amour ressenti par les personnages. Comme il se doit, le pacte est scellé par un baiser : "Comme un faon semble pendre aux fleurs de lianes roses, qu'il saisit de sa langue délicate dans l'escarpement de la montagne, ainsi je restai suspendu aux lèvres de ma bien-aimée". La comparaison vient accentuer l'effet de douceur et l'idée de suspens donne cet aspect aérien qui pourrait être une autre "scène du balcon"(1).

"Oubliant mon pays, ma mère, ma cabane et la mort affreuse qui m'attendait, j'étais devenu indifférent à tout ce qui n'était pas Atala". Malgré la différence de religion, elle consent à fuir avec lui dans la nature. Commence le récit d'une longue errance qui voit se confirmer leur amour et pourtant, l'inquiétude de Chactas grandit. On comprend mieux pourquoi en lisant cet extrait : 

"Ô mon jeune amant ! je t’aime comme l’ombre des bois au milieu du jour ! Tu es beau comme le désert avec toutes ses fleurs et toutes ses brises. Si je me penche sur toi, je frémis ; si ma main tombe sur la tienne, il me semble que je vais mourir. L’autre jour le vent jeta tes cheveux sur mon visage, tandis que tu te délassais sur mon sein, je crus sentir le léger toucher des Esprits invisibles. Oui, j’ai vu les chevrettes de la montagne d’Occone ; j’ai entendu les propos des hommes rassasiés de jours ; mais la douceur des chevreaux et la sagesse des vieillards sont moins plaisantes et moins fortes que tes paroles. Eh ! bien, pauvre Chactas, je ne serai jamais ton épouse !" (chapitre "les chasseurs").

Le spectacle de la nature est d'une beauté sublime, pareille à ce qu'ont peint les Romantiques : de grands espaces, des plaines à perte de vue, des montagnes majestueuses, et parfois un ciel en furie, des éclairs qui foudroient des arbres... Ces descriptions représentent aussi la contradiction des passions qui animent les personnages principaux. Les deux amants finissent par être recueillis par un missionnaire religieux, le père Aubry, qui a établi en pleine nature une sorte de société idéale.

  • La mort d'Atala

Malheureusement, les secrets de la naissance d'Atala ressurgissent et mettent un terme à sa vie, vous pourrez en trouver les détails en lisant le texte de CHATEAUBRIAND.

Sur son lit de mort, Atala dit  : "Quand je songe que je te quitte pour toujours, mon cœur fait un tel effort pour revivre, que je me sens presque le pouvoir  de me rendre immortelle à force d'aimer" (chapitre "le drame").

Le tableau de Anne Louis GIRODET DE ROUSSY-TRIOSON (1767-1824)  : Atala au tombeau (1808) exposé au Musée du Louvre illustre de façon exacte la mort de l'héroïne.

 

 

 

Le texte de CHATEAUBRIAND nous le raconte ainsi : "A peine a-t-il prononcé ces mots qu'une force surnaturelle me contraint de tomber à genoux, et m'incline la tête au pied du lit d'Atala. [...] La grotte parut soudain illuminée".

Chactas qui serre désespérément son amante est plongé dans l'ombre. Au contraire,  Atala, les mains jointes autour d'un crucifix est baignée dans un lumière presque surnaturelle qui met en évidence sa beauté. Une inscription apparaît sur la paroi : "J'ai passé comme la fleur, j'ai séché comme l'herbe des champs". La notice du Louvre explique le sens et l'origine de cette inscription. La grotte est symbolique, c'est un lieu naturel, un lieu de protection, en même temps c'est la terre-mère qui reprend Atala dans son ventre.

 

La suite dans une semaine, avec la légende de Tristan et Iseut dans   LES AMANTS ÉTERNELS 2/3 : Cœurs amants et amour interdit.

 


Le mois prochain, assistez à la fin du monde dans C'EST L'APOCALYPSE !

 

N. THIMON

 

NOTES :

1 : Scène du balcon en référence à Roméo et Juliette ; à ce sujet, voir LES AMANTS ÉTERNELS 3/3 : Âmes soeurs et pères ennemis.