Lettres d'Arts, littérature et histoire des arts

a. Les ailes du génie

Ce très vaste sujet peut démarrer avec un rappel du mythe d'Icare. La mythologie grecque nous rapporte que Minos, le roi  de Crète fit enfermer l'architecte Dédale car il était le seul à connaître le secret du Labyrinthe qui venait d'être construit (voir LABYRINTHES 1/4 : L'ombre du Minotaure). Dédale, parfait exemple du savant, se fabriqua pour lui et son fils une paire d'ailes en plumes maintenues entre elles par de la cire.

Comme souvent, c'est l'auteur latin OVIDE qui en donne le récit le plus connu et le plus abouti dans le huitième livre des Métamorphoses :

Un extrait des Métamorphoses d'OVIDE : Dédale enseigne son "art périlleux" à son fils Icare
 

Dans l'extrait, on peut voir le génie du maître inventant le bon outil, ses efforts pour dompter les airs, et aussi le regard des autres hommes qui les prennent pour des dieux. Enthousiasmé par le procédé, Icare oublia les recommandations de son père (comme Phaéton, voire article précédent DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 3/4 b. Le feu céleste), il se rapprocha trop du soleil, la cire fondit et il mourut  noyé. Les interprétations de ce récit peuvent être simples comme : il faut toujours écouter ses parents car ils ont de l'expérience, ou plus élaborées comme : l'homme ne doit chercher à dépasser sa condition. Quoi qu'il en soit, cette image a considérablement marqué les esprits des artistes autant que des savants.

 
Vous pouvez en voir quelques exemples en vidéo :

Un autre exemple mythologique montre que la volonté de s'élever est souvent comparée à une forme d'orgueil. Citons l'exemple du héros Grec Bellérophon, vainqueur de la Chimère, monté sur Pégase, le cheval ailé. Il voulut un jour atteindre le royaume céleste des dieux, mais Zeus l'en empêcha et le précipita au sol.

Le symbole attaché à Pégase est aussi celui de l'élévation spirituelle. L'animal est souvent représenté auprès des Muses, le  neuf Déesses des arts et des sciences. Dans le tableau de Gustave MOREAU (1826-1898), Le poète voyageur (vers 1891) on peut voir le poète au pied du cheval, sa source d'inspiration, la petite étoile ai-dessus de la tête de Pégase vient rappeler son caractère céleste.

 Le Poète voyageur  (1891) par Gustave Moreau — http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0002/m504104_87ee18_p.jpg. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Dans la Bible, les hommes cherchent à construire la tour de Babel  pour que son sommet touche le ciel. L'entreprise est mise en échec car Dieu dit "Maintenant, rien de ce qu'ils pourront faire ne leur sera inaccessible ! Allons, descendons et brouillons ici leur langue, qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres" (traduction œcuménique de Bible, Genèse 11 versets 6 et 7). Le savant Léonard de VINCI (1452-1519) est connu pour ses nombreux travaux dans des domaines très divers. Il a fait des recherches sur différentes machines volantes. Ses carnets nous permettent de connaître ses souhaits. Sa vis aérienne, qui annonce l'hélicoptère, s'inspire des travaux d'Archimède pour monter de l'eau.

« Léonard de Vinci : vis aérienne (hélicoptère) et levage d'une aile ». Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Sur le modèle d'Icare et des oiseaux on a longtemps pensé qu'il fallait battre des ailes pour s'élever dans l'air. Dans son Codex sur le vol des oiseaux (1505) , DE VINCI propose donc des machines qui utilisent ce mode de mouvement. Même si aucune d'entre elles n'a pu connaître d'aboutissement concluant, elles ont permis à l'humanité de franchir une étape dans la réflexion de la conquête des airs.

A travers les siècles, les inventeurs ont travaillé sur des systèmes disposant d'une voile leur permettant de planer ou de ralentir la chute : les cerfs-volants, les parachutes, les parapentes, les deltaplanes, auxquels parfois on ajoute des moteurs pour donner des paramoteurs, des ULM... Pour assouvir votre désir d'ailes, et faire comme eux, découvrez la Coupe Icare, à Saint-Hilaire du Touvet en Isère, un festival annuel et international, vivifiant et ludique, qui mêle les pilotes de toutes plumes

 La cometa  par Francisco de Goya —Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Sur ce tableau du peintre espagnol Francisco GOYA (1746-1828), Le cerf-volant, observez la structure en pyramide des personnages, qui fait un contraste avec les ciel plus clair. Le cerf-volant est loin au-dessus et attire les regards vers le ciel.

L'aviation prend un nouveau tournant avec les travaux de Clément ADER (1841-1925) qui crée de nombreux prototypes d'avions.

Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918) lui dédie ce beau poème dans son recueil Poèmes retrouvés (1910):

L'avion

Français, qu'avez-vous fait d'Ader l'aérien?
Il lui restait un mot, il n'en reste plus rien.

Quand il eut assemblé les membres de l'ascèse
Comme ils étaient sans nom dans la langue française
Ader devint poète et nomma l'avion.

Ô peuple de Paris, vous, Marseille et Lyon,
Vous tous fleuves français, vous françaises montagnes,
Habitants des cités et vous, gens des campagnes,
L'instrument à voler se nomme l'avion.

Cette douce parole eût enchanté Villon,
Les poètes prochains la mettront dans leurs rimes.

Non, tes ailes, Ader, n'étaient pas anonymes.
Lorsque pour les nommer vint le grammairien
Forger un mot savant sans rien d'aérien,
Où le sourd hiatus, l'ange qui l'accompagne
Font ensemble un mot long comme un mot d'Allemagne.

Il fallait un murmure et la voie d'Ariel
Pour nommer l'instrument qui nous emporte au ciel.
La plainte de la brise, un oiseau dans l'espace
Et c'est un mot français qui dans nos bouches passe.

L'avion! L'avion! qu'il monte dans les airs,
Qu'il plane sur les monts, qu'il traverse les mers,
Qu'il aille regarder le soleil comme Icare
Et que plus loin encore un avion s'égare
Et trace dans l'éther un éternel sillon
Mais gardons-lui le nom suave d'avion
Car du magique mot les cinq lettres habiles
Eurent cette vertu d'ouvrir les ciels mobiles.

Français qu'avez-vous fait d'Ader l'aérien?
Il lui restait un mot, il n'en reste plus rien.

Louis BLÉRIOT (1872-1936) réussit le premier la traversée de la Manche, en 1909, dans un avion de sa conception, le Blériot XI, faisant environ 9 mètres sur 8 et pesant 300 kilogrammes à vide. Des engins plus lourds que l'air sont donc employés pour voler et connaîtront le succès que l'on sait. Plus tard, Antoine de SAINT-EXUPERY (1900-1944)  dans son récit Vol de nuit (1931), met en valeur le courage des pilotes de l'Aéropostale. Une visite au Musée de l'air et de l'espace, dans la ville du Bourget vous permettra de découvrir les maquettes, les copies et ou les vrais appareils qui ont jalonné l'histoire de l'aéronautique.

Lorsqu'en 1947, le pilote de chasse américain Chuck YEAGER franchit le mur du son à bord du Bell-X1, il ouvre ainsi la voie aux vols supersoniques. C'est le point de départ du film L’Étoffe des héros (1984) de Philip KAUFMAN, qui s'est attaché à représenter du point de vue américain l'histoire de la conquête de l'espace.

Le Concorde, mis en service de 1976 à 2003, a été le seul avion de ligne qui emmenait ses passagers à plus de 1000 km/heure. Mais de nombreux projets plus ou moins aboutis sont prêts à assurer la relève (voir galerie d'images de l'article Futuroscope, une vision du futur). Ces engins témoignent parfois de la part de leur concepteur d'une volonté esthétique qui permet de joindre l'utile à l'agréable.

Faut-il des ailes pour être beau ? Vous le saurez en lisant la fin dans DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 4/4 : À tous les vents, b. Voler sans ailes ?

Le mois prochain, retrouvez AUTOUR DU HOBBIT, Tolkien et les mythes d'hier à aujourd'hui...

En janvier, vous lirez AU MATIN DU MONDE, l'art du commencement...

N. THIMON