Lettres d'Arts, littérature et histoire des arts

Celui-ci en devenant plus chaud devient moins dense que l'air extérieur, donc plus léger, la lampe peut alors s'élever. Ce principe a été officiellement perfectionné par les frères Joseph-Michel (1740-1810)  et Jacques-Etienne (1745-1799) MONTGOLFIER. Le deux hommes ont constaté qu'en brûlant l'air contenu dans le ballon, ils lui permettront de s'envoler. Cela s'appuie sur un principe mis en évidence par Archimède, qui a vécu au IIIe siècle avant notre ère. Ce savant grec a démontré que lorsqu'un corps est plongé dans un liquide ou un gaz, il est attiré vers le fond à cause de la gravité. Le fluide qui reçoit ce corps résiste et exerce alors une pression. Cette pression fait flotter plus ou moins le corps, c'est ce qu'on appelle la "poussée d'Archimède". La légende veut que le savant ait fait cette découverte alors qu'il se trouvait dans son bain, il  en serait sorti précipitamment en criant "Eurêka !" ("J'ai trouvé !").

« Montgolfiere 1783 ». Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Les gravures qui représentent la scène montrent à la fois la taille de la montgolfière, la force qu'elle exerce, nécessitant plusieurs hommes pour la maintenir. On peut voir également que l'aérostat est très décoré, dans un cadre privilégié, il constitue une attraction pour les plus favorisés.

En 1783, Charles et Robert atterrissent à Nesles-la Vallée, dans le Val d'Oise, depuis le premier ballon gonflé à l'hydrogène. Une stèle commémorative est toujours visible, près de l'endroit de leur arrivée.

Par la suite, Louis Joseph GAY-LUSSAC (1778-1850) découvre la loi de dilatation des gaz. Il démontre ainsi que lorsqu'on chauffe un gaz, il augmente de volume, il explique et mesure précisément le phénomène observé par ses prédécesseurs.

Plus tard, une autre figure vient susciter un grand intérêt. Gaspard-Félix TOURNACHON (1810-1920) plus connu sous son pseudonyme NADAR est un homme aux multiples talents. Il est l'auteur de nombreuses photos d'artistes du XIXe siècle. Il a été l'ami de Jules VERNE (qui lui rendra hommage avec son personnage de Michel ARDAN dans ses romans De la Terre à la Lune et Autour de la Lune voir  SCIENCE ET FICTION 1/5 : La tête dans la Lune b. la face cachée de la Lune). Passionné par le monde des airs  il est le fondateur de la Société d’encouragement de la navigation aérienne au moyen du plus lourd que l’air  et en 1863, il fabrique même un ballon énorme nommé Le Géant. Pendant plusieurs années, malgré des hauts et des bas, il tente de prouver toute la pertinence de l'emploi des engins volants. Nadar élevant la photographie à la hauteur de l'art, le dessin du célèbre caricaturiste Honoré DAUMIER (1808-1879) montre avec ironie le double travail de l'artiste. Il laisse apparaître aussi qu'à l'époque, la photographie n'a pas pleinement le statut d'un domaine artistique.

Nadar Élevant la Photographie à la Hauteur de l'Art par Honoré Daumier - Online Collection of Brooklyn Museum; Licensed under Public domain via Wikimedia Commons.

La littérature s'est pleinement emparée du sujet avec Cinq semaines en ballon, voyage de découvertes en Afrique par trois Anglais (1862) , le premier roman à succès de Jules VERNE. Il ouvrira la voie à la série des "Voyages extraordinaires" publiés par l'éditeur HETZEL. Le romancier  y raconte le voyage incroyable, pour l'époque, de trois courageux hommes. 

Cinq Semaines en ballon par Édouard Riou —  Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

La couverture du roman, illustrée par Édouard RIOU résume les grands moments du récit.

Tout commence à la Société royale géographique de Londres où le Docteur Fergusson révèle son projet de découvrir les sources du Nil (1). Pour cela, il compte traverser l'Afrique en ballon d'est en ouest, accompagné de l’Écossais Dick Kennedy, son meilleur ami et de son domestique Joe. Son ambition est résumée dans un mot qu'il ne cesse de répéter, comme une devise :  "Excelsior", qui en latin signifie "plus haut".

L'extrait ci-dessous, tiré du chapitre VII,  révèle avec précision les calculs nécessaires pour rendre son engin capable de voler :

Un premier extrait de Cinq semaines en ballon de Jules VERNE : les calculs de Fergusson

L'enjeu est donc de créer un aérostat, un véhicule plus léger que l'air. C'est cette théorie qui est défendue dans ce roman. Un corps plus léger serait censé mieux flotter.

Pour répondre à d'évidentes questions de mobilité, Fergusson explique au chapitre X : "Mes moyens d’ascension et de descente consistent uniquement à dilater ou à contracter par des températures diverses le gaz renfermé dans l’intérieur de l’aérostat".

La préparation du ballon prend de nombreuses heures.

Un second extrait de Cinq semaines en ballon de Jules VERNE : le gonflement de l'aérostat

Le ballon, baptisé Victoria (en hommage à la reine d'Angleterre), après avoir été gonflé, décolle de Zanzibar.

Dans ce récit scientifique qui est aussi est un roman d'aventures, les héros devront parfois lâcher du lest, c'est-à-dire vider la nacelle pour alléger le ballon et lui permettre de s'élever davantage en cas de danger, ils affrontent aussi un ouragan (chapitre XXVIII) et des rapaces (chapitre XXXII).

Toutefois, Jules VERNE reviendra quelques années plus tard sur sa théorie du "plus léger que l'air" dans un autre roman :  Robur-le-Conquérant (1904).  Robur, un ingénieur fait irruption au Weldon Institute. Il se présente comme un personnage sûr de lui et solide(2).  Il vient s'opposer à Uncle Prudent et Phil Evans, deux "ballonistes" défenseurs de la théorie évoquée dans Cinq semaines en ballon : selon lui un engin volant doit être plus lourd que l'air, "car il faut être plus lourd que lui pour être plus fort que lui".

Un extrait de Robur-le-Conquérant de Jules VERNE : le héros se présente ainsi que sa nouvelle théorie

Il disparaît de façon inexpliquée dans la fumée des coups de feu qu'il a tirés. Peu après, il enlève Prudent et Evans pour les convaincre du bien-fondé de sa théorie.

Au chapitre VI, Le récit fait référence aux frères Montgolfier, à Icare, Léonard de Vinci et dresse une liste complète des inventeurs à laquelle on se reportera avec profit :

Un deuxième extrait de Robur-le-Conquérant de Jules VERNE : la liste des inventeurs

L'engin de Robur est ainsi décrit, Il se nomme l'Albatros(3), c'est un aéronef et non plus un aérostat qui fonctionne à l'électricité, "cet agent qui sera un jour l'âme du monde industriel". La machine est également comparée à une "locomotive aérienne", construite en "papier, devenu métal sous la pression" et incombustible. "Et avec lui, ainsi que Robur-le-Conquérant eut bientôt l'occasion de le dire à ses nouveaux hôtes - hôtes malgré eux - avec lui, je suis maître de cette septième partie du monde, plus grande que l'Australie, l'Océanie, l'Asie, l'Amérique et l'Europe, cette Icarie aérienne que des milliers d'Icariens peupleront un jour !"

Un troisième extrait de Robur-le-Conquérant de Jules VERNE : le fonctionnement précis de l'aéronef
 

Les illustrations d'époque par Léon BENETT permettent de voir s'opposer l'ancien et le nouveau, avec, à l'arrière-plan l'Albatros de Robur.

Robur-le-Conquérant  par Léon Benett — http://jv.gilead.org.il/rpaul/Robur%20le%20conqu%C3%A9rant/. Sous licence Public domain via Wikimedia Commons.

Pour confirmer la supériorité de son engin volant, Robur le fait traverser non plus l'Afrique seulement, mais aussi les continents et les océans

Fidèle à son style, Jules VERNE raconte encore les multiples dangers qui menacent l'aéronef Albatros, parfois les mêmes que ceux rencontrés par l'aérostat Victoria : des rapaces (chapitre XII) et un ouragan (chapitre XIV). Le lecteur aura aussi droit à une chasse à la baleine (chapitre IX) et au rayon vert (chapitre XIII).

L'idée que le ballon était l'engin qui pourrait partir à la conquête de l'espace peut faire sourire mais elle constitue néanmoins une grande source d'inspiration au XVIIIe siècle (voir le baron de MUNCHHAÜSEN  dans SCIENCE ET FICTION (1/5 : La tête dans la Lune, a. les lunatiques) comme de nos jours. Nous pouvons citer le travail du talentueux Alex ALICE  : Le château des étoiles 1869 : la conquête de l'espace (2014). Ce premier volume en bande dessinée est une véritable explosion de références dont certaines correspondent très exactement à notre sujet. L'une des éditions affiche en couverture des décorations qui rappellent celles des romans de Jules VERNE, la dédicace de l'auteur confirme la ressemblance.

Au début du récit, dans un XIXe siècle uchronique (voir notre article  SCIENCE ET FICTION  3/5 : A tous les temps, b. l'irréel du passé), la savante exploratrice Claire Dulac part à l'assaut de l'éther à bord d'un ballon. L'éther est l'un des éléments fondamentaux (voir l'article à venir AU MATIN DU MONDE), le cinquième dont a parlé Aristote, censé remplir l'espace au-delà de l'atmosphère terrestre. La jeune femme se compare à Christophe COLOMB, selon une habitude observée chez d'autres aventuriers de l'impossible (voir SCIENCE ET FICTION 1/5: La tête dans la Lune, b. la face cachée de la Lune). Le titre lui-même évoque un lieu élevé, mystérieux et surnaturel qui peut faire penser au Château dans le ciel  (1986) ou au Château ambulant (2004) deux dessins animés de Hayao MIYAZAKI.  Hans, l'un des protagonistes, porte l'influence du dessin japonais ; son chien s'appelle Manometer. Le manomètre est un appareil qui mesure la pression des fluides, il indique par exemple la quantité d'oxygène disponible dans un espace donné. D'autre part, le héros se nomme Séraphin, comme les anges ailés proches de Dieu, ceux dont le nom rappelle le feu. Accompagné de son père, il suit les traces de sa mère Claire Dulac, disparue lors de son aventureuse expédition. En toile de fond, le conflit entre la France et la Prusse se prépare(4), ce qui justifie des vues aériennes d'un magnifique et célèbre château de Bavière. Cet ouvrage mérite toute l'attention des lecteurs et constitue un objet d'étude et de divertissement particulièrement approprié.

A la fin du XIX e siècle, le comte allemand Ferdinand von ZEPPELIN (1838-1917) fait construire un ballon dirigeable qui finit par porter son nom : le zeppelin. A la différence des montgolfières, le zeppelin est construit sur une armature rigide de forme allongée, plus aérodynamique, qui contient de l'hydrogène, il porte une compartiment fermé pour les voyageurs et dispose d'un moteur. Pendant quelques années, l'engin servira à la fois au transport de passagers aux applications militaires, d'autres pays que l'Allemagne vont en produire. Mais la concurrence des avions et les nombreux risques d'accident vont le clouer au sol.

Aujourd'hui, les dirigeables sont gonflés à l'hélium, moins dangereux que l'hydrogène. Le zeppelin peut donc être un véhicule de tourisme depuis l'aérogare de Pontoise-Cormeilles-en-Vexin, dans  le Val d'Oise, pour en savoir plus, suivez ce lien.

Pour terminer, il faut citer les exploits de celui qui se surnomme le "savanturier", Bertrand PICCARD, qui est le premier à avoir accompli le tour du monde en ballon en mars 1999. Ce passionné d'aéronautique a participé à de nombreux projets et vols en tous genres. Vous en apprendrez plus en visitant son site officiel.
 

Ainsi, l'art défie la nature, cherche à la dominer, invente les moyens de la surpasser. Grâce à leurs travaux, les artistes prouvent qu'ils ne manquent pas d'air !

NOTES :

1 : Il s'agit d'une énigme scientifique qui verra naître de nombreuses expéditions et s'affronter de nombreux explorateurs comme Richard BURTON (1821-1890) et John SPEKE (1827-1864) jusqu'au XXIe siècle.

2 : En latin, "robur" désigne le rouvre, une sorte de chêne très dur, mais aussi la force, la solidité (comme dans "robuste").

3 : L'albatros est un oiseau très réputé pour sa grande envergure et la majesté de son vol. Au sol, il perd de sa splendeur "ses ailes de géant l'empêchent de marcher". Retrouvez cette citation tirée du célèbre poème de Baudelaire "l'Albatros".

4 : Il s'agit de la guerre de 1870-1871.

Le mois prochain, retrouvez AUTOUR DU HOBBIT, Tolkien et les mythes d'hier à aujourd'hui...

En janvier, vous lirez AU MATIN DU MONDE, l'art du commencement...

N. THIMON