Mais la version la plus connue est celle qui nous parle de celui de Cnossos, en Crète. On trouve même à la Bibliothèque Nationale de France, pour les plus rêveurs d'entre nous, un prétendu plan de ce labyrinthe qui aurait été découvert par l'abbé Katalanopoulos. 

Labyrinthe de Crète, bâti par Dédale. (Ce plan a été découvert dans les ruines du Parthénon / par M. l'abbé Katalanopoulos). Document BNF Gallica

Labyrinthe de Crète, bâti par Dédale. Document BNF Gallica

La mythologie situe dans cette prestigieuse ville antique le palais du roi Minos et son célèbre Labyrinthe, sur lequel plane l'ombre du Minotaure. Comme toujours, de très nombreuses versions du mythe sont en concurrence, nous choisirons celles qui semblent les plus connues. Pour se venger de la mort de son fils, Minos, le roi de Crète, demande aux Athéniens de lui livrer à intervalles réguliers sept jeunes filles et sept jeunes gens. Il les oblige ensuite à entrer dans le Labyrinthe, un palais aux innombrables salles.

"Dédale(1), célèbre entre tous par son talent dans l'art de travailler le métal, est l'architecte de cet ouvrage. Il brouille tous les indices et induit en erreur le regard déconcerté par les détours de voies toutes différentes [...]. Ainsi Dédale multiplie avec d'innombrables routes les risques de s'égarer ; et c'est avec peine qu'il put lui-même revenir jusqu'au seuil, tant la demeure est pleine de pièges". (Ovide, Métamorphoses, Livre VIII, traduction de Joseph Chamonard).

Thésée et le Minotaure ©Glénat 2016 Bruneau/De Luca

Thésée et le Minotaure

©Glénat 2016 Bruneau/De Luca

Le principal piège est le Minotaure, un monstre à corps d'homme et tête de taureau qui tue tous ceux qui se présentent à lui. C'est Thésée, un jeune héros athénien qui, grâce à la pelote de fil remise par la princesse Ariane, parvient à retrouver son chemin après avoir terrassé le monstre. Le mythe en a été adaptée en bande dessinée notamment dans Thésée et le Minotaure (2016) par Clotilde BRUNEAU et Mauro DE LUCA, sous la direction de Luc FERRY. L'ancien Ministre anime ainsi une série intitulée "La Sagesse des mythes" pour rappeler les grande histoires du patrimoine culturel mondial.

La langue française se souviendra de l'histoire. C'est pourquoi "dédale" est devenu synonyme de "labyrinthe" et sert à nommer une enchevêtrement de ruelles, de détours, d'impasses ; c'est pourquoi aussi on parle de  "fil d'Ariane" pour désigner les points communs dans le déroulement d'une œuvre ou d'une pensée, mais aussi un procédé révélant le chemin à parcourir — notamment en informatique pour indiquer l'emplacement d'un fichier.

En 1947 le compositeur américain Elliott CARTER (1908-2012) crée un ballet intitulé Le Minotaure. Durant une trentaine de minutes, il met en musique l'histoire du monstre de ses origines à sa mort.  Il fait intervenir des bois (flûtes, hautbois, clarinettes), des cuivres (trompettes, trombones, cors), des cordes (violons...), des percussions. Dans la deuxième scène, l'un des morceaux montre Thésée qui affronte le Minotaure, dans le même temps, l'agitation gagne le fil qu'il tient et se transmet jusqu'à Ariane. Les cuivres au son grave et éclatant illustrent la violence du combat tandis que le rythme répétitif et aigu des violons représente le fil agité.

Mais qui est ce monstre hybride ? Le mythe raconte que Pasiphaé, la femme de Minos, poussée par le dieu vengeur Poséidon, tomba amoureuse d'un taureau blanc. De cette union contre nature naquit un monstre, Astérion. Minos, honteux et fou de rage décida donc de faire construire le labyrinthe pour y cacher l'ignoble créature.

 

Thésée et le Minotaure, Maître des Cassoni Campana (vers 1510-1515)
Thésée et le Minotaure, Maître des Cassoni Campana (vers 1510-1515) -  Cliquez pour agrandir

Dans le tableau anonyme que l'on attribue au mystérieux Maître des Cassoni(2) Campana (XVIe siècle) vous pourrez voir que toute l'histoire de Thésée est racontée. Il 'agit d'une peinture sur un panneau en bois de peuplier, conservée au Petit Palais d'Avignon. L'auteur ne cherche pas à rendre l'aspect antique des personnages et les habille comme à sa propre époque. Thésée a donc l'aspect d'un chevalier en armure, signe de noblesse et de vaillance. Dans la partie droite du tableau, observez le labyrinthe de forme circulaire. A l'entrée, vous pourrez même voir le fil accroché par Ariane pour guider le héros. Au centre, Thésée affronte le monstre ici représenté davantage comme un centaure (mi-homme mi-cheval) que comme la créature à tête de taureau que nous connaissons bien.

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Thésée combattant le Minotaure 
(entre 1855 et 1874)

Antoine-Louis BARYE

En revanche, la sculpture réalisée par Antoine-Louis BARYE (1795-1875), exposée au Musée du Louvre, se montre plus réaliste. En effet, cet artiste, spécialiste des représentations d'animaux sauvages ou de combats violents, rend ici toute la vigueur de la lutte. Le bronze a été réalisé d'après une version en plâtre qui a été refusée au Salon de 1843(3). Observez les lignes dynamiques, les muscles saillants. Il parvient à figer le combat et montre la supériorité du héros sur le monstre dont la chute ne fait plus de doute.

Un monstre violent et avide de chair humaine, c'est en partie ce que retiendra l'auteur de bande dessinée TARDI (1946-) dans Adèle Blanc-Sec et le labyrinthe infernal (2007), neuvième tome de sa série. Dans le dédale parisien, avec un scénario labyrinthique peuplé de revenants et de fausses pistes, l'héroïne y suit les traces d'un monstre mi-homme mi-vache. La créature est un ancien policier (en argot, le terme insultant pour désigner un policiers est "vache"), transformé par les potions du mystérieux docteur Chou. C'est donc un humour un peu acide qui anime cet album.

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Adèle Blanc-Sec, Le labyrinthe infernal (2007)

TARDI

Il existe une version du Minotaure bien plus subtile et énigmatique, c'est celle de George Frederic WATTS (1817-1904). Le Minotaure (1885), une huile sur toile exposée au Tate Britain à Londres, montre la créature tournée vers la mer, semblant attendre son futur vainqueur. Avant de sourire face à la mine presque ridicule du monstre, remarquez sous sa patte l'oiseau brutalement écrasé, un symbole de pureté et d'innocence qui rappelle le sort réservé aux jeunes enfants qui lui seront livrés. A travers cette peinture, WATTS dénonce une sombre réalité de son époque qui voit les enfants victimes de monstres humains(4).  

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Le Minotaure (1885)

George Frederic WATTS

 

Pour terminer ce rapide tour d'horizon, il faut signaler le travail de l'artiste espagnol Pablo PICASSO (1881-1973). Peintre et sculpteur, il accorde une très grande importance à la figure du taureau, un des symboles de l'Espagne. L'animal apparaît sur un très grand nombre de ses peintures ou dessins. Le motif de la corrida rappelle celui de la lutte de Thésée contre le monstre, aussi PICASSO représente-t-il très souvent des minotaures, mais en ajoutant d'autres symboles... Il réalise en 1930 des dessins pour une version illustrée des Métamorphoses  d'OVIDE, puis la couverture du premier numéro de la revue artistique Minotaure (fondée par Georges BATAILLE) à partir de 1933. Un autre artiste surréaliste qui aime ce sujet, André MASSON (1896-1987), avec son dessin Le Minotaure et le Labyrinthe (1950) inverse les valeurs. Cette fois c'est le monstre géant qui contient le labyrinthe comme pour révéler une complexité interne plus vaste.

Un poème de Robert DESNOS (1900-1945) nous montre aussi une image plus pitoyable de la créature : 

À manger son propre sang

En tartine sur du pain

À boire l’eau de l’étang

Où les morts prennent leur bain

À prononcer des paroles

Nées de cœurs empoisonnés

À fréquenter les écoles

Des esprits emprisonnés

À marcher sur le chemin

On l’on marche avec les mains

Le Minotaure a vieilli

Loin des siens et du pays

Il va retrouver les sphinx

Les licornes et les lynx

Qui lui disent il est tard

Déjà l’on ferme l’enceinte

L’homme salera ton lard

Dans un coin du labyrinthe

Mugis encore si tu peux

Minotaure de rien, Minotaure de peu.

Destinée Arbitraire (1975, posthume)

Grâce à  lui et aux versions modernes du mythe, le monstre devient un être torturé, une créature triste. Avec le temps, le Minotaure perd son simple rôle de monstre, ennemi du gentil héros. Les artistes s'en servent pour montrer que l'être humain combat ou bien assume à travers lui sa part sombre d'animalité.

Dans une semaine, accompagnez les jeunes héros et tentez de trouver la sortie en lisant LABYRINTHES 2/4 : Un jeu d'enfants ?

 

N. THIMON

 

NOTES : 

1 : Sur la suite des aventures de Dédale et de son fils Icare, voir DÉPEINDRE LES QUATRE ELEMENTS 4/4a.

2 : Les cassoni (mot italien) sont des coffres décorés datant de la Renaissance.

3 : Le Salon de Peinture et de Sculpture est une organisation officielle, créée au XVIIIe siècle. Il expose, juge et récompense ou non les œuvres des artistes qui appartiennent à l'Académie des Beaux-Arts.

4 : C'est une référence à un scandale de l'époque en Angleterre, lié à la prostitution des enfants.