Après deux ans passés dans le ventre de ma mère, mon
instinct commençait à me presser de sortir, lui qui rêvait d'aventures et de
gloires dans le monde des humains. Il négociait donc chaque soir ma sortie...et
chaque soir je refusais catégoriquement: j'étais bien dans le ventre ma mère et
je possédais tout le confort dont un nourrisson pouvait rêver. Je restai donc deux ans dans le ventre de ma
mère, bien que, dès la première année, je me sentis à l'étroit. Ne pouvant plus
me contenter de si peu de place, je partis à la recherche d'un lieu plus spacieux. Je commençai mon ascension en remontant par l'œsophage, lieu très étroit pour un
enfant de deux ans, et me retrouvai à l'air libre...
Pour la première fois de ma vie, je voyais le jour, le vrai,
pas la lumière de ma bougie, ni celui
dont les bactéries nouvelles me faisaient le récit, non, le vrai.... Ce soir- là,
mes parents étaient comme à leur habitude, en train de se goinfrer de chips
devant le télé, et moi qui les croyais de courageux héros comme me l'avaient dit les bactéries... Quelles chipies ! Une fois de plus je n'avais pas écouté mon instinct,
qui, lui, avait compris la provenance de toutes ces cochonneries dans l'organisme
de ma mère.
La première image que j'eus de mes parents ne fut guère
bonne. Par contre, dès mon arrivée, ma mère poussa un cri de joie qui se mêlait
à un cri de libération, car après deux ans de gestation, il est normal d'être
heureux que cela finisse. Mon père, lui, ne dit rien, et après douze ans
d'expérience, j'ai compris qu'il ne disait jamais rien et qu'il ne dirait rien cette fois encore.