Jour de fête, Eva G. (4e3pablo)
Par 4e3 Pablo Picasso (Montesson, 78) le 30 juin 2018, 11:38 - Archives - Lien permanent
C’était un grand jour au Mexique, le plus important de toute l’année ! C’était le jour de la fête des morts…
C’était un grand jour au Mexique, le plus important de toute l’année ! C’était le jour de la fête des morts… Toutes les familles étaient réunies sur les tombes des anciens avec des offrandes. María, elle aussi avec ses proches, effectuait les rituels : les mêmes depuis des siècles. La jeune femme, grande, élancée, sportive, avait des cheveux aussi noirs qu’un geai et lisses comme les feuilles des caoutchoucs qui ombrageaient le mausolée, sa peau avait une belle teinte cuivrée. La fête se déroulait comme chaque année dans la joie et la bonne humeur grâce aux retrouvailles de tous les membres de chacune des familles présentes. Le cimetière de Los Almas était au bout de la ville : il s’étendait jusqu’à la limite de la rivière. Les tombes et les mausolées étaient répartis de part et d’autre de belles allées bien dessinées, ponctuées d’arbres aux formes fantasmagoriques. Chacune des sépultures étaient recouvertes d’offrandes, de paniers de fruits, de pétales de roses odorants. Les frêles flammes des bougies vacillaient dans l’agitation générale. On riait, on se racontait des anecdotes, on chantait. Régnait cette nuit-là en ces lieux une atmosphère de recueillement et de bienveillance mêlée de hâte… Malgré que le soleil ne soit pas encore couché, il faisait sombre, humide chose rare au Mexique. Lorsque l’on se trouvait dans des lieux reculés du cimetière, l’inquiétude pointait derrière les airs enjoués de la population.
Après un long et périlleux trajet, à cause des gens en pleine festivités, tous, du jeune au plus ancien, se retrouvèrent dans la grande maison de famille. Le frère de María, Eduardo, alluma la musique pendant que certains allaient en cuisine pour rapporter les tapas et que les autres se ruèrent sur la piste de danse. La soirée se profilait sans imprévu, tout le monde semblait heureux : on dansait, mangeait, et buvaient au rythme de la musique. Petit à petit, la musique se mit à grésiller, Eduardo tenta de comprendre ce qu’il se passait sans trouver d’explication. Sur la piste, les danseurs commençaient à s’agacer de la musique qui s’entrecoupait. Ils proposèrent de changer le disque supposant que l’antique vinyle était rayé.
A l’extérieur, le jour faisait place au crépuscule et les arbres obombraient les alentours, rendant indistinct les contours de la maison. Le feuillage noir dansait dans le ciel, des feuilles s’envolaient dans les rafales d’un début de tempête…. Les volets claquaient, les fenêtres tremblaient dans leur encadrement comme possédées. Les jours de tempête étaient rares au Mexique. Il était 22h quand María décida de descendre à la cave pour vérifier les branchements et le disjoncteur. La cave était lugubre et froide : la peur commençait à poindre au cœur de ses entrailles. Elle entama la descente raide et interminable du vieil escalier de bois, craquant sous chaque pas pourtant légers de la jeune femme. A la lueur de sa lampe d’effrayantes ombres se profilaient le long des murs nourrissant son imagination. Plus la jeune femme progressait dans sa descente, plus la crainte la tenaillait. Arrêtée au pied des marches, María jeta un coup d’œil autour d’elle : s’amassait ici des années de souvenirs recouverts d’une épaisse couche de poussière. Seules les araignées dans leur toiles trouvaient un intérêt dans l’enchevêtrement de chaises cassées, tables bancales et autres cartons mystérieux. Le sol en terre battue ressemblait à toutes les caves des maisons avoisinantes. La jeune femme, résolue à passer le moins de temps possible dans ce lieu inhospitalier, se dirigea vers le disjoncteur. Elle remarqua alors que l’un des commutateurs mal positionné impactait vraisemblablement le passage du courant de façon intermittente, ce expliquait probablement le disfonctionnement des enceintes. Elle le repositionna correctement lorsque la lumière de sa torche s’affaiblit. Eduardo l’avait pourtant prévenue que sa lampe ne brillerait plus longtemps. Par chance, un nuage qui masquait la lune s’écarta laissant passer un halo de lumière depuis l’encadrement de la porte et elle put ainsi voir la direction à suivre sans prendre le risque de trébucher. Elle s’apprêtait à gravir les escaliers lorsqu’elle entendit une voix qui semblait lointaine l’appeler. Elle appela à son tour mais personne ne lui répondit, elle n’avait pourtant pas rêvé ! Un souffle glissa sur María dont les mains se crispèrent sur la rampe vermoulue. L’odeur de soufre qui se répandait alentour la convainquit de ressortir au plus vite du sous-sol. Elle entendit de nouveau l’appel, cette fois légèrement plus fort. Arrivant sur le pas de porte, elle s’attendait à voir Eduardo… Mais il n’y avait personne : personne en haut de l’escalier, personne à la cuisine, personne sur la piste de danse… la musique s’était tue. Mais où étaient-ils donc tous passés ? Qui donc l’avait appelé ?
Elle monta à l’étage et entendit des respirations régulières. Mal à l’aise elle poussa la première porte du palier et découvrit, surprise, ses cousins assoupis dans la grande chambre. Dans l’obscurité, elle distingua l’heure grâce aux aiguilles phosphorescentes du vieux réveil à cloche : 5h30… Comment est-il possible que le temps se soit écoulé aussi rapidement ? Est-elle restée si longtemps dans la cave ? Que c’était-il passé pendant tout ce temps ? Pourquoi personne n’était-il venu la chercher ? De nouveau, elle sentit comme un souffle glacial lui traverser le corps.
C’était un sentiment de crainte qui habitait María, car ses questions restaient sans réponses. Cependant, la curiosité qui l’animait la poussait à trouver une explication à cette distorsion du temps. Elle ne se sentait pas le courage d’affronter seule ce qu’elle ne comprenait pas, elle se dirigea donc vers le lit de son frère qui dormait à poings fermés près de ses cousins. Sa lente respiration montrait le sommeil profond dans lequel il était plongé. Elle hésita, car elle savait à quel point il détestait qu’on le réveille. Elle l’observa un instant : ce frère, c’était son repère depuis que ses parents n’étaient plus là, emportés dans un glissement de terrain lorsqu’ils étaient encore bien jeunes. Eduardo était plus qu’un frère, il était non seulement l’épaule sur laquelle elle pouvait pleurer, l’oreille qui l’écoutait quand elle en avait besoin, mais aussi son conseil quand elle doutait. Quand María avait décidé de se lancer dans ses longues études d’architecte, il l’avait encouragée et n’avait pas hésité à prendre un deuxième travail le soir pour pouvoir lui offrir le petit ordinateur dont elle avait tant besoin.
Ce frère, c’était aussi son ami, son repère. Il ne lui en voudrait pas, elle allait le réveiller, il fallait qu’elle le réveille. Elle secoua doucement son épaule… pas de réaction. Elle réitéra de façon un peu plus pressante… toujours rien. Elle renonça et s’apprêta à quitter la chambre quand elle entendit son frère lui demander d’une voix rauque ce qu’elle voulait. Elle se retourna pour lui répondre et vit qu’il dormait toujours. Pensant à une farce, elle s’approcha de lui et lui secoua gentiment l’épaule en lui disant que la blague avait suffisamment duré. Il ne bougea pas davantage, sa respiration régulière démontrait son sommeil profond.
Elle se résigna à quitter le dortoir de fortune, puis, hésitante, regagna le rez-de-chaussée. María se servit un verre d’eau et s’assit à la petite table de formica vert pâle de la cuisine. Pensive, elle se demandait s’il elle aurait le courage de redescendre dans la cave. Elle sentait que le nœud du mystère ne pourrait se dénouer qu’en y retournant et en bravant sa peur. Elle se leva et après avoir pris une autre torche sur le buffet, se dirigea lentement vers l’escalier du sous-sol. Le même souffle glacial lui balaya le visage alors qu’elle descendait les premières marches, à mi-parcours elle entendit de nouveau une voix l’appeler, cette même voix qu’elle avait cru être celle de son frère lors de sa première expédition en bas. Décidée, elle continua sa progression.
Arrivée en bas des marches, elle balaya avec sa lampe l’espace poussiéreux : la cave ne semblait pas avoir de fin, plus elle avançait plus son impression semblait se confirmer. Sur le côté, elle vit une étagère, dont les planches, alourdies par des livres s’affaissaient. La curiosité prenant le dessus, elle y jeta un œil et découvrit de vieux albums photos. L’un deux attira son attention car, bien qu’ancien, il n’avait aucune trace de poussière. En l’ouvrant elle y trouva les visages familiers de ses grands-parents, de ses parents et de son frère tout petit, bien avant qu’elle ne vienne agrandir la famille. Elle le feuilleta une première fois, émue de revoir un père et une mère qui lui manquaient tant désormais. Il lui semblait qu’ils lui souriaient et qu’ils allaient se mettre à lui parler. Elle allait le remettre en place quand elle se sentit obligée de le rouvrir. Elle découvrit en y regardant de plus près qu’une petite fille figurait sur chacune des photos jaunies : elle n’en faisait pas vraiment partie, elle était plutôt le regard extérieur des scènes familiales. Cette petite fille lui rappelait un visage familier, en cherchant dans ses souvenirs elle se dit qu’elle-même petite ressemblait beaucoup à cette enfant. Il fallait qu’elle montre l’album à son frère, il trouverait peut être une explication. Il est vrai que le halo de sa torche n’était pas des plus éclairants ! Elle déposa l’album sur le coin d’une vieille table qui se trouvait là et poursuivit sa quête. Plus elle s’enfonçait dans le cellier, plus l’air était froid, elle ne trouvait que des entassements d’objets hétéroclites qui avait été conservés par des générations pour qui il était impensable de jeter quelque chose qui peut être resservirait un jour. Elle ne trouverait rien de plus, elle en était convaincue.
En retournant sur ses pas, elle s’approcha de la table mais eut un pincement au cœur quand elle vit que l’album qu’elle s’apprêtait à remonter ne s’y trouvait plus. Elle vérifia dans l’étagère au cas où elle l’y aurait rangé machinalement, sans succès. Elle se retrouva très vite en bas de l’escalier. C’était curieux car elle avait eu l’impression d’un long parcours sous la maison.
En s’approchant de la première marche, elle entendit de la musique… cette musique ? Elle gravit quatre à quatre les marches et se trouva face à la tente qui abritait le petit groupe de jeunes qui dansaient et chantaient à tue-tête. Les anciens étaient attablés et discutaient de façon animée de tout et de rien. Cette musique ? C’était celle qu’il y avait quand elle avait quitté la piste de danse afin de résoudre le grésillement. Elle avait dû pâlir, car Eduardo s’approcha d’elle pour lui demander si tout allait bien, en guise de réponse elle lui demanda l’heure. « 22h 05, pourquoi ? Tu as trouvé le disjoncteur ? Tu es géniale ! »
Commentaires
J'ai pris beaucoup de plaisir à lire ta nouvelle, de part pour son originalité mais aussi pour ses descriptions très précises. J'ai aimé le moment au début de la nouvelle où tu décrivais le lieu ainsi que Maria,"La jeune femme, grande, élancée, sportive, avait des cheveux aussi noirs qu’un geai et lisses comme les feuilles des caoutchoucs qui ombrageaient le mausolée, sa peau avait une belle teinte cuivrée". La description de la jeune femme est si précise qu'on arrive à l'imaginer dans nos têtes. Egalement, la fin est inattendue, et le sentiment de doute est toujours présent,"Comment est-il possible que le temps se soit écoulé aussi rapidement ? Est-elle restée si longtemps dans la cave ?". La fin est très bien écrite car on ne sait pas si Maria est vraiment restée toute la nuit dans la cave où si quelque chose de surnaturelle a eu lieu. Ceci est une très bonne fin pour une nouvelle fantastique.
Bravo ! Ton récit est très bien écrit. Le choix du Mexique est original et maîtrisé. J'ai particulièrement apprécié les descriptions précises que tu fais des lieux. Le vocabulaire et les images choisis créent une atmosphère à la fois inquiétante et poétique : "Seules les araignées dans leur toiles trouvaient un intérêt dans l’enchevêtrement de chaises cassées, tables bancales et autres cartons mystérieux."
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