Portrait hanté

Nous étions lundi, dehors l’aube pointait déjà le bout de son nez, il n’était pourtant pas huit heures, heure à laquelle le soleil commence à apparaître depuis ces derniers jours.
En effet, l’hiver dans lequel je me trouvais depuis maintenant cinq jours était déjà froid, la neige tombait du matin au soir et le soleil se levait tard et se couchait très tôt.
Des fois, il arrivait même qu’on ne le voit pas pendant des jours, même parfois des semaines ou même des mois...
Mais enfin, nous, habitants de la Norvège, avions l’habitude.

Pour en revenir à mon récit, je me promenais de long en large dans mon grand mais humble manoir, la demeure de mes ancêtres comme celle de mes descendants, si un jour je me marie.
J’habitais ici depuis ma naissance, je connaissais donc parfaitement les salles et les couloirs de mon château, pourtant je ne crus pas reconnaître l’allée dans laquelle je me trouvais, longue infiniment longue, un grand et étendu tapis rouge en velours s’étendait devant moi, les murs recouverts de papier peint bordeaux et agrémentés de beaux ornements sculptés dans le marbre ou étaient disposés tous les portraits de mes ancêtres , jamais je n’avais remarqué ma famille aussi grande, je n’avais connu que mes parents, Louise et Mark, ainsi que mon petit frère, Lysandre qui avait disparu subitement sans laisser de trace et sans avoir quitté le château, il y a sept ans, le dix septembre.

Après m’être arrêté à chaque tableau dans l’espoir de reconnaître un de mes ancêtres, j’eus l’impression que leurs yeux me suivaient, me dévisageaient, qu’ils m’épiaient. Une goutte de sueur aussi froide que la neige qui tombait dehors à présent coula le long de mes tempes : peut-être les avais-je connus dans un lointain passé, dans une autre vie... Je ne le saurai jamais sauf si j’avais le pouvoir de remonter le temps, et ainsi aurais-je peut-être pu revoir mon frère et découvrir le mystère de sa disparition.

Après ma frayeur, j’étais enfin arrivé au bout du couloir et à présent se dressait devant moi une grande porte en bois entourée de métal, un imposant cadenas en acier était accroché à la porte et m’empêchait de l’ouvrir pour que je puisse voir ce qui s’y cachait, peut être un trésor, ou bien de l’or, non je ne puis y penser car sinon mes parents m’en aurait parlé.
Toujours est-il qu’il fallait que je découvre ce que cette porte cachait, ou ce que la pièce qui se trouvait derrière renfermai (si c’était une pièce).
Je me mis donc à réfléchir et je commençai à chercher tout autour de moi quelque chose qui pourrai l’ouvrir, peut-être une clef ou un instrument.
Une idée me vint, je commençai à revenir sur mes pas pour accéder aux jardins pour que je puisse récupérer une scie et ainsi revenir découper la porte.

 Une fois arrivé à la fin du couloir se dressait à ma droite le portrait de mon frère, il devait avoir quinze ans quand il fut peint ; je me mis à me remémorer les moments que j’avais passé avec lui, bons comme mauvais, quand soudain je crus entendre sa voix venir du bout du couloir, elle m’appelait, me demandait de l’aider...
Une phrase me perturba tout particulièrement, elle me murmura (ou peut-être était-ce le vent) à l’oreille comme une énigme, la phrase suivante :
« Marche jusqu’à ma chambre je t’attends, je veux te revoir, sortir de mon cauchemar »
Et plus elle me parlait, plus elle murmurait, jusqu’à ce que je ne puis plus l’entendre.
J’étais tétanisé, essayant de me raisonner, je sentais mes jambes flageolantes, se dérober sous moi, le couloir de velours se referma et je sombrais dans un sommeil profond.

Je me réveillai subitement dans une ancienne chambre délabrée et poussiéreuse, une brise légère s’échappait par la fenêtre ouverte.
Les rideaux s’envolaient de part et d’autre de l’ouverture, et des araignées sortaient où plutôt fuyaient la pièce, des centaines de mites comblaient le sol, sur le parquet de bois flotté de chêne ou d’hêtre, j’essayais de poser mon pied, dans l’espoir de me lever ; en effet je m’étais réveillé sur un lit où la poussière et les acariens avaient pris une place importante, le lit possédait une structure en bois également grignoté par les mites. Les tissus troués qui pendaient le long du sommier avaient dû être autrefois de beaux rideaux de soie blancs qui protégeaient l’intimité du dormeur.
En face du matelas se trouvait de grands tableaux, encore un portrait qui représentait mes parents et mon frère, Lysandre, décidément mes ancêtres me suivaient, peut-être voulaient-ils que des souvenirs me reviennent, ou peut-être un seul en particulier.
Il y avait un bureau disposé juste au-dessous de celui-ci, lui ne paraissait pas abîmé, une plume, de l’encre et le début d’une lettre à moitié brûlée y était disposée.
Je me levai et me dirigea donc vers celui-ci, mais le tapis visiblement ancien, déchiré et poussiéreux, et ayant comme motifs ceux qui me faisaient penser au Moyen-Age, disposé juste devant le lit semblait vouloir me retenir, m’enrouler pour ne pas que j’approche le secrétaire. Mais cela était impossible, les objets ne peuvent pas bouger !

Pendant que je me faisais tordre par un bout de tissu, un corbeau vint croasser sur le rebord de la fenêtre, une brume épaisse l’accompagnait, blanche et qui ne permettait plus de distinguer le moindre objet de la pièce dans laquelle je me trouvais, l’angoisse commença à monter en moi, mes poils se hérissèrent, et mon cœur se mit à battre tel un tambour déchaîné.
Un personnage translucide, sans aucune once de vie vola par la fenêtre, tout mon corps se mit à trembler car je cru d’un coup reconnaître mon frère !
Bloqué à l’âge de sa disparition comme transformé en fantôme, il paraissait plus vieux, plus fatigué que sur le tableau, deux autres spectres l’accompagnaient, Louise et Mark, mes parents !

Ma mère vêtue d’une longue robe de fumée vierge et opaque. Mon père quant à lui portait un costume de la même blancheur, leurs yeux lumineux, vides et sans pupilles me dévisageaient, me punissaient horriblement, un regret si immense s’empara de moi de tout mon corps, de toute mon âme.
Ils se mirent à me parler, non, à m’annoncer ma mort et à me lire le début de cette étrange lettre qu’ils prirent délicatement du bureau, elle disait :
« N’as-tu pas reconnu la chambre de ton humble frère disparu subitement du jour au lendemain, de la seconde à la minute, celle dans laquelle tu avais joué autrefois avec celui qui portait le même sang que toi, n’as-tu pas cherché à le retrouver, à cause de toi notre fils ne pourra jamais revenir à la matière d’humain ».

D’un coup plus rien puis craquement, cris, soufflements et même hurlements se mirent à m’oppresser et je tombais dans le noir complet, la nuit la plus totale.

Je me réveillais dans mon vaste salon, derrière moi se trouvait la grande cheminée de pierre où brûlait un feu doux et où reposait le tableau familial de la chambre de mon frère, je me dis que tout cela n’était qu’un rêve, un cauchemar.
Devant moi reposait une assiette bien garnie de viande, de légumes et de pommes de terre, à droite de celle-ci était disposée un bon verre de vin rouge datant de sept ans et juste en face la bouteille où ne restait plus que la lie reflétait mon visage.
Je me levai pour aller voir l’heure et je sentis tomber quelque chose, je me baissai et ramassa l’objet.
La lettre !
C’était bien la lettre brûlée et trouée, celle de mon cauchemar, celle qui me faisait regretter d’avoir laissé, abandonné mon frère et qui m’annonçait ma mort le dix septembre de l’an prochain...
Mais comment était-elle arrivée là ?
Je n’avais que rêvé, c’était juste et tout bonnement impossible !

Avais-je vraiment rêvé ?...

Commentaires

1. Le 15 mars 2022, 23:09 par Melvin Caldas 4°5

Je trouve que ce récit fantastique est bien écrit et original.

Il y a un cadre spatio-temporel réaliste précis car le manoir est isolé et c'est une nuit hivernale en Norvège. Il y a également la présence d'événements étranges qui montent crescendo au fil de l'histoire.

Le texte utilise des modalisateurs et le personnage se pose beaucoup de questions sur le fait que cela soit réel ou non ainsi que sur la mort de ses ancêtres et sur sa propre mort.

On ressent bien le sentiment de peur extrême du personnage ainsi que ses moments de doutes. L'écrivain a utilisé beaucoup de détails et des adjectifs sur les choses qui l'entoure pour que le lecteur s'imprègne mieux du récit. Le personnage cherche des réponses sur la mystérieuse disparition de son petit frère Lysandre et en les cherchant, on lui annonce sur une lettre brûlé et troué que sa mort surviendrai le dix septembre de l'an prochain.

2. Le 23 mars 2022, 10:40 par R P-P 4e5

Ton texte m'a particulièrement plu. Il s'y trouvait une montée crescendo des évènements étranges : l'impression que le personnage a eu de ne pas reconnaître le couloir, les tableaux qui le suivaient du regard, une porte fermée, entendre des voix, se réveiller dans un autre endroit, des objets qui bougent seuls et les spectres qui parlent.

J'ai remarqué aussi une comparaison "mon coeur se mit à battre tel un tambour déchainé."

3. Le 24 mars 2022, 11:20 par HD 4e5

Ton texte est vraiment effrayant, beaucoup d'éléments dans ta nouvelle sont angoissants. En particulier l'immense quantité d'insectes dans la deuxième partie. Me mettre à la place de ton personnage me terrifie.

Ton cadre spatio-temporel est parfait. Il est chargé d'histoire et isolé.

Le fait que le personnage principale ait perdu son frère rationnalise le fantastique en faisant penser que cela la rend folle et laisse planer le doute jusqu’à la fin.

J'ai adoré l'utilisation du vin de sept ans d'âge qui laisse penser qu'il s'agit du sang de son frère.

La seule remarque que je puisse faire est que les prénoms ne sont pas très cohérents avec l'origine norvègienne.

4. Le 24 mars 2022, 11:20 par lf4e5

J'ai beaucoup aimé cette nouvelle pour plusieurs raisons:

Tout d'abord nous avons un questionnement tout au long de la nouvelle et surtout à la fin grâce à l'utilisation de questions et de modalisateurs tels que: " Avais-je vraiment rêvé ?" ou encore "ne paraissaient pas abîmés"

Ensuite, j'ai beaucoup aimé comment on ressent les sentiments du narrateur, voici quelques exemples: "m'a oppressé", " j'étais tétanisé" ou alors " un regret si immense s'empara de mon corps, de toute mon âme"

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