La nuit des nuages

Je m’avançais dans une allée bondée de monde dans l’aéroport.

15h30. Encore une heure avant d’embarquer dans l’avion qui m’emmènera en vacances dans l’Etat du Maine, aux Etats-Unis. Mon cousin Tommy m’y attendait avec impatience, ainsi que ma tante Chelsea et mon oncle Stephen. 

Enfin les grandes vacances ! Je venais de finir mon année de terminale, prêt à m’orienter dans le secteur littéraire, pour devenir auteur, comme mon oncle. Nous étions le treize Juillet, je venais de fêter mon anniversaire le sept. Dix-huit ans ! Enfin majeur ! Et je pars aux U.S.A. ! Tout seul ! En avion ! Tout, absolument tout dans ma vie allait bien. J’avais envie de le crier au monde entier : « Moi, Peter je suis le plus heureux du monde ! » ! Bien sûr, je ne l’ai pas hurlé et j’ai continué ma balade dans la grande allée de l’aéroport où s’alignaient une multitude de magasins.

Cinquante minutes après, j’étais dans la queue pour embarquer pour le vol 4321. J’avais passé les contrôles de sécurité et tout ce qui allait avec. Enfin… j’étais tout seul pour embarquer pour l’instant. Il y avait toujours autant de monde dans la grande artère de l’aéroport et je me senti soudain seul au milieu de tous ces gens, eux de l’autre côté de la petite barrière qui délimitait la file d’attente, moi, dans celle-ci.

Je sortis le cookie au caramel que j’avais acheté un peu plus tôt, pris d’une petite faim. 16h25. Des personnes arrivèrent derrière moi dans la file : un couple du troisième âge qui arborait de grands chapeaux et des lunettes de soleil, une famille avec trois enfants et c’était tout. On nous fit entrer à 16h27.

Je m’assis à ma place, côté hublot. Il n’y avait personne sur les deux autres sièges à ma droite. Je m’installais donc à mon aise. Le bruit de la foule de l’aéroport avait laissé place à un calme serein. Une mère et sa fille arrivèrent bientôt, suivies d’une jeune femme blonde et de son chien, qu’elle avait mis dans son sac en fourrure synthétique rose bonbon. Les trois hôtesses de l’air nous expliquèrent les règles de sécurité et tout le tralala.

16h30. L’avion s’avançait sur la piste de décollage. Je sortis une petite bouteille de jus d’orange que j’entamais.

16h32. Comme j’étais anxieux à l’idée de m’envoler tout seul en avion ! Enfin, pas totalement, il y avait quelques autres passagers, mais j’étais stressé… Mes parents étaient très protecteurs et n’avaient jamais voulu que je prenne l’avion seul, c’était donc pour moi une première ! 

16h37. On avait décollé ! J’avais déjà fini mon jus d’orange.

16h41. Nous étions maintenant en plein ciel. Je sortis le roman d’Agatha Christie « La mort dans les nuages », qui, je dois le dire, n’est pas très recommandé lorsqu’on voyage en avion. Absorbé par ma lecture, je ne vis pas passé l’heure. En même temps, aucune importance, car le vol durait 9h…

17h13. Je sortis mes écouteurs et j’écoutais du Nirvana suivi de Chopin pendant un certain temps. La famille et ses trois enfants étaient installée sur les sièges du milieu sur deux rangées. Le couple de vacanciers étaient deux rangées derrière moi. La femme avec son petit chiwawa se trouvait trois rangées devant et, la mère et sa fille sur la rangée de siège de l’autre côté de l’avion, sur la même rangée que moi. Je remarquai soudain un homme que je n’avais pas vu lors de l’embarquement, il s’était levé pour prendre quelque chose dans sa valise qu’il avait mise dans le petit compartiment au-dessus de lui.  Il me semblait bizarre, habillé tout en noir, un horrible rictus déformant son visage pâle et mal rasé. Il était placé de l’autre côté de l’avion, une rangée devant la mère et sa fille. 

Curieux de constater comment le temps passe vite, je sortis ma montre. 17H13…17H13 ? mais tout à l’heure, il…il était déjà 17H13 ! Je regardais alors le mécanisme de ma montre, mais, non, tout allait bien… J'attendis 5 minutes… dubitatif. Je regardais à nouveau ma montre :17H13 ! je…je…je ne comprenais pas… impossible…illogique…cette situation ! 

Je me résolus donc à aller voir le couple avec leurs enfants, je leur demandais s’ils avaient la même heure que moi. La réponse fût affirmative ! Et eux non plus ne comprenaient pas ce qu’il se passait. La jeune femme et son chien vinrent à ma rencontre pour me poser la question que je venais de demander. 

Bientôt, tous les passagers se regroupèrent pour tenter de trouver une explication à cet évènement quelque peu étrange. Tous les passagers, sauf l’homme en noir…

Je l’observais d’un œil intrigué pensant qu’il ne me voyait pas. Soudain, il se retourna, me fixant de ses petits yeux noirs arrogants. Pris de peur, je détournais le regard.   Pourquoi ? Pourquoi avais-je été angoissé face à l’homme en noir, comme je l’appelais à présent ? Je sentais les battements de mon cœur s’accélérer à mesure que l’anxiété montait en moi.

Le climat étrange avait rapidement laissé place à une atmosphère anxiogène. Il était toujours 17H13… tout le monde était retourné s’asseoir à sa place, semblant attendre quelque chose. Quelque chose ? Quoi ? Une annonce du commandant de bord ? Des hôtesses de l’air ? On ne savait même pas. Personne des membres de l’équipage ne se montrait !

Si l’heure ne s’était pas “figée” ainsi, il serait certainement déjà 19H…ou je ne sais combien… La peur m’envahissait peu à peu… Le silence abominable, l’heure qui restait sur les mêmes chiffres, l’inaction du personnel… j’avais peur.

L’obscurité pris soudain possession de l’avion. Des cris d’angoisse s’élevèrent et je m'agrippai à mon siège.  Il faisait noir également à l’extérieur et nous avions l’impression de ne plus nous trouver dans l’avion mais, dans le ciel obscur lui-même. 

Soudain, la lumière devant la porte de l’avion clignota. Je me tournais lentement côté couloir pour essayer de distinguer ne serait-ce qu’un passager… J’aperçus le couple, leurs trois enfants dans leurs bras, avec les yeux terrifiés. Tous les passagers devaient être affolés, j’en faisais partie. Et si c’était l’avion qui n’avait plus de carburant ? Non ! Impossible ! Les mécaniciens avaient dû vérifier le niveau avant le décollage. Si c’était le pilote qui voulait se crasher, se suicider ? bon ça se tenait, mais je n’étais pas prêt à mourir… J’en avais la chair de poule rien que d’y penser…

J’étais tellement plongé dans mes pensées que je ne vis pas les magazines, les prospectus et le menu de l’avion flotter en lévitation dans l’allée.  Quand je les vis, je sursautai. A présent, des assiettes au nom de la compagnie aérienne arrivaient par dizaines, de l’arrière de l’avion.  La petite lumière clignotait toujours, les cris s’étaient tus, le silence régnait à présent, tous les objets étaient encore suspendus dans les airs, comme s’ils étaient attachés à un fil transparent. Ce silence n’était que plus pesant et je tremblais d’horreur face à cette situation.

Cette situation dura plusieurs heures jusqu’à ce que les lumières reviennent. Les assiettes et l’argenterie tombèrent sur la moquette des allées et tous les passagers, y compris moi, se regardèrent. 

L’heure n’était plus bloquée à 17H13, il était désormais 02H36, heure des USA. On apercevait par le hublot les nuages baignés de la douce lumière de l’aube. On commença à descendre doucement à travers les nuées de coton du ciel, le commandant de bord annonça enfin :

« Nous allons bientôt atterrir à Augusta, capitale du Maine. Merci d’attacher vos ceintures. L’équipage et moi tenons à nous excuser car nous avons eu un problème avec les annonces, les hauts parleurs, l’avion ayant subi un court-circuit. De plus, quand nous avons voulu les réparer, les lumières de l’avion se sont éteintes… merci aux mécaniciens et aux hôtesses pour leur aide et excusez-nous pour ces désagréments. Les hôtesses, nous ayant assistées lors de la réparation, n’ont pu être présentes pour vous donner les consignes de sécurité, mais heureusement, il n’y a eu aucune perturbation météorologique. Sur ce, l’équipage et moi-même vous souhaitons un agréable séjour dans le Maine et espérons vous revoir prochainement sur nos lignes. Attention à l’atterrissage ! ».

Les lumières de la ville d’Augusta nous parvinrent. Enfin arrivés. 3h00. Nous venions de nous poser. Les hôtesses étaient enfin sorties de la petite salle réservée au personnel et les passagers commençaient à descendre de l’avion. J'ai pris ma valise et fait la queue pour partir. L’homme en noir était derrière moi. L’aura d’horreur -incompréhensible- que je ressentais en sa présence m’assaillit. Je me dépêchais de sortir de l’avion en disant au revoir aux hôtesses de l’air et je me retrouvais devant un petit escalier. Je le descendis avec les autres passagers et me retrouvai sur la piste.

Je me retournais, l’homme en noir était toujours là. Je me rendis à l’aéroport qui était grand et me semblait très haut. Je vis mon oncle, ma tante, et mon cousin. Ils m’attendaient avec des grosses pancartes colorées à mon nom et je les rejoignis. Je regardais une dernière fois derrière moi, l’homme en noir me suivait. Soudain, il disparut, comme ça, d’un seul coup. Il était là et la seconde d’après, il ne l’était plus. Je me retournais vers ma famille avec de grands yeux horrifiés et je leur demandais s’ils avaient vu la même chose que moi. Ils me répondirent par la négative et tous me dirent :« tu dois être fatigué ». Je partis avec eux et les vacances furent géniales.

Cette histoire date de vingt-cinq ans, je ne l’ai jamais racontée à personne. Je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé, les objets volants, l’homme en noir… Maintenant, j’en suis à me demander si ce n’était pas un fantôme, ma famille ne l’ayant pas vu quand il a disparu. Je ne le saurai sans doute jamais. 

 Vois-tu Jim, dans la vie, il y a souvent des choses inexpliquées, des étrangetés auxquelles on ne sait pas donner d’explications rationnelles. Cette histoire en est la preuve. C’est la chose la plus incompréhensible que j’ai jamais vécue. Profite de ta jeunesse mon fils, car la vie te réservera des joies… et des frayeurs. 

 

Commentaires

1. Le 23 mars 2022, 10:25 par H.B 4e5

"La nuit des nuages" m'a particulièrement plu pour différentes raisons.
J'ai trouvé ta nouvelle très originale : un vol d'avion banal pour rejoindre ses cousins et ses oncles et tantes qui se transforme en vol angoissant avec plein d'évènements étranges (l'homme en noir qui est en réalité le fruit de son imagination, les objets qui volent en l'air..)

Le cadre spatio-temporel a également été bien choisi : l'aéroport avant d'embarquer dans un avion en direction des USA, la nuit vers minuit.

Juste un conseil à te donner : mets un peu plus de figures de style et de modalisateurs dans ton récit.

2. Le 23 mars 2022, 10:31 par C.C. 4e5

La nouvelle "La nuit des nuages" m'a beaucoup intéressée car l'étonnement du personnage y est clair, notamment grâce aux nombreux points de suspension mais aussi aux adjectifs ("anxieux", "intrigué", "angoissé"). Les évènements étranges apparaissent petit à petit, ce qui rajoute de l'intérêt au texte en donnant l'envie au lecteur de savoir ce qui va se passer après.

Toutefois, le vocabulaire utilisé n'est pas très compliqué à comprendre, il aurait pu être plus complexe. De plus, il pourrait y avoir plus de modalisateurs quand le personnage se rend compte que l'heure est figée.

3. Le 23 mars 2022, 10:34 par OH 4e5

Dans ta nouvelle, la façon dont tu fais parler le personnage m'a beaucoup plu. La psychologie est très travaillée chez le personnage, on comprend tout de suite quand il a peur ou, au contraire, est soulagé (Citations : "Je me retournais vers ma famille les yeux horrifiés.") On sent qu'il a peur.


J'ai aussi aimé l'originalité de ton texte. En premier temps, ce qui m'a surpris c'est que la scène se passe dans un avion donc dans le ciel. Dans un deuxième temps j'ai adoré le fait que ton personnage raconte,  25 ans plus tard, quelque chose qui lui est déjà arrivé, pour donner une leçon à son fils.

4. Le 23 mars 2022, 10:36 par MB2

J'ai beaucoup apprécié ta nouvelle fantastique "la nuit des nuages" pour ton style. En effet, tu as utilisé des figures de styles comme : "les nuées de coton du ciel". Mais attention, cependant, le mot "stressé" est un terme pour le travail.

J'ai apprécie aussi ta nouvelle pour toute la psychologie et le questionnement de ton personnage. On comprend tout ce qu'il ressent. De plus tu as réussi à faire de l'avion qui est un objet banal un objet inquiétant. Néanmoins, ta nouvelle est relativement longue.

5. Le 23 mars 2022, 10:36 par vpr 4e5

J'ai particulièrement aimé ton texte car il est très précis, sur l'heure et les détails :" 16h30.L'avion s'avançait sur la piste. " ; " 16h32.Comme j'étais anxieux de m'envoler tout seul en avion ".

J'ai aussi beaucoup aimé le questionnement du personnage et du lecteur sur " l'Homme en noir " ou encore les objets suspendus dans les airs ," le menu de l'avion flotter en lévitation ".

6. Le 23 mars 2022, 10:52 par zm4e5

Dans la nouvelle fantastique  "La nuit des nuages", on a un cadre spatio-temporel réaliste. De plus, il est original car l'histoire se passe dans un aéroport.

Et puis, il y a des événements étranges : l'heure se fige, le personnage principal angoisse en voyant l'homme en noir, les assiettes volent...

Mais certains verbes sont conjugués au présent et d'autres au passé simple, ce qui donne une certaine incohérence. C'est dommage !

7. Le 23 mars 2022, 10:52 par OD 4e5

J'ai particulièrement aimé ta nouvelle pour plusieurs raisons :

   Tout d'abord, le fait d' indiquer l'heure à chaque début de paragraphe ajoute quelque chose d'intéressant, similaire à un journal de bord. Par exemple : "16h41"; "17h13" ...
   Ensuite, la psychologie du personnage a été beaucoup développée, notamment les questions qu'il se pose. Par exemple: "Quelque chose ? Quoi ? Une annonce du commandant de bord ?".
   Enfin, malgré le vocabulaire riche et les descriptions des personnages intéressantes, il n'y avait pas beaucoup de figures de style. Je pense qu'il pourrait y en avoir plus.
8. Le 23 mars 2022, 10:55 par M.P 4e5

Bonjour,

   J'ai tout particulièrement adoré ta nouvelle fantastique pour différentes raisons:
   J'ai aimé l'originalité du cadre spatio-temporel qui se passe dans un avion mais aussi l'originalité des évènement étranges: "Curieux de constater comment le temps passe vite, je sortis ma montre. 17h13... 17h13? mais tout à l'heure, il était déjà 17h13!"
   J'ai aussi très apprécié la montée crescendo des évènements étranges: une personne étrange habillée en noir intrigue le narrateur, l'heure qui se fige puis l'obscurité totale dans l'avion.
   Enfin, le questionnement chez le lecteur m'a beaucoup plu: "je remarquai soudain un  homme que je n'avais pas vu à l'embarquement, il s'était levé pour prendre quelque chose dans sa valise qu'il avait mise dans le petit compartiment au-dessus de lui."
9. Le 24 mars 2022, 11:45 par M;b1

Ton texte m'a particulièrement plu, l'histoire est claire. On comprend bien la psychologie du personnage au cours de l'histoire:
"J'était anxieux à l'idée de m'envoler tout seul en avion"
"j’étais stressé… "

On comprenait bien l'histoire, tout était bien formulé, c'était structuré. On avait par exemple les heures des événements:

"15h30. Encore une heure avant d’embarquer dans l’avion qui m’emmènera en vacances dans l’Etat du Maine"
" On nous fit entrer à 16h27"
"16h41. Nous étions maintenant en plein ciel."

10. Le 24 mars 2022, 11:48 par HM 4e5

Ce texte m'a beaucoup plu pour plusieurs raisons.
Il y a des évènements étranges ( l'homme en noir, le fait que l'heure se bloque ). Le personnage principal se questionne souvent:
Pourquoi l'heure est-elle bloquée ? Pourquoi un homme en noir regarde le narrateur ?
Quant au cadre spatio-temporel, il est réaliste et précis ( dans un avion et à l'aéroport ). Ce texte est très réussi, selon moi.

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