L'odeur de la fratrie

Il était sept heures du soir lorsque je rentrai chez moi à Ribeauvillé. Etudiant en médecine Strasbourg j’étais de retour chez ma mère pour les fêtes de fin d’année. J’avançais dans une obscurité mordante et oppressante qui caractérise ces nuits d’hiver dans les Vosges. J’arrivais bientôt à la lisière de la forêt par les lacets qui serpentent dans la région. C’était là que j’avais perdu mon père et deux frères dans un accident de voiture. 

    Les pins qui d’habitude m’étaient familiers semblaient me jeter des regards menaçants. En effet, cette période me rendait mélancolique car les absences des êtres chers et perdus étaient plus douloureuses. Cette multitude vide des arbres provoquait en moi une profonde tristesse. Je décidai de me rendre chez mon ami Benjamin qui venait d’emménager dans un grand manoir qui surplombait la ville. Cette perspective me plongea à la fois dans une profonde tristesse car cela me faisait mal au cœur de laisser ma mère toute seule, mais aussi dans une folle joie à l’idée de revoir mon meilleur ami. 

         Arrivé sur les lieux, je sentis brusquement une odeur de verveine, ce qui me surprit à cette période de l’année. L’édifice était extraordinairement grand :la forêt lui donnait un aspect imposant et effrayant.  A l’intérieur, je fus intrigué par les tableaux de style Renaissance. D’immenses portraits des ancêtres de sa famille me jetaient de regards inquisiteurs. J’eus la sensation étrange que l’un d’eux tournait ses yeux de mon côté pour me saluer. Etait-ce le fruit de mon imagination ? décidément je devais être harassé.

    Après le souper, Benjamin me proposa d’aller nous promener dans la forêt de conifères qui entourait la demeure. Une fois dehors, je sentis de nouveau ce parfum de verveine m’encercler étrangement :

« Comment se fait-il que l’on sente cette effluve en cette saison ? » Dis-je avec étonnement.

« Je ne sens rien ! dit-il sèchement. Tu es sûr que ça va ? ».

Je compris que je n’allais pas bien et qu’il fallait que je dorme. 

        Nous allions nous coucher lorsque j’entendis un bruit en provenance de ma chambre. Je remarquai que la tapisserie avait bougé. La fenêtre était ouverte. Sans doute était-ce le vent. J’étais convaincu d’avoir entendu une voix s’échapper d’une de ses toiles suspendues au mur. Un des jeunes hommes représentés sur cette dernière sembla bouger un bras, puis une jambe jusqu’à ce que tout son corps sorte du cadre. J’avais l’impression qu’il ne m’avait pas remarqué. Il s’avança et vint se mettre dans le lit avec moi. Il semblait s’être endormi paisiblement. Je m’approchai de lui pour voir si je pouvais le toucher, lorsqu’il se retourna et se mit à rire aux éclats. Une peur m’envaillit puis je me mis à hurler. Benjamin s’empressa de monter dans ma chambre et me demanda une explication. Je tentai de reprendre mon souffle pour lui raconter. Son regard interloqué me fit réaliser que j’avais certainement rêvé cette scène puisqu’il n’y avait que moi dans mon lit.

          Lorsque je fus de nouveau dans ma chambre, je repensai à l’inquiétante sensation qui s’était emparée de moi. N’était-ce pas un de mes frères que je venais de voir ? La ressemblance était bouleversante ! J’observai la toile de plus près : elle représentait une famille unie et joyeuse en train de boire un thé ou plus certainement de la verveine comme le laissaient supposer les feuilles peintes sur les tasses et rependues au sol. 

          Il me semblait sentir le doux parfum du goûter pris avec mes frères au coin du feu. Je me remémorais le goût sucrée de la tisane préparée avec la verveine du jardin. J’avais l’impression d’entendre les rires de mes frères. Cette sensation était si intense que je me mis à pleurer. Le personnage du tableau était revenu à sa place sur le tableau. C’était impossible ! Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. Tout mon corps tremblait et je croyais perdre la tête. C’en était trop ! Il fallait que je m’en aille. Le lendemain matin, j’expliquai à Benjamin que je ne pouvais pas laisser ma mère toute seule plus longtemps.

        Dans l’allée qui me séparait progressivement du manoir, l’odeur m’enveloppa comme un filet qui cherchait à me retenir.


 

Commentaires

1. Le 10 mars 2022, 12:03 par Lalie Manon

Nous avons trouvé ton texte très bien construit. Nous avons l'impression de voir un texte d'écrivain car le vocabulaire est riche et soutenu: « Comment se fait-il que l’on sente cette effluve en cette saison ? » . Nous avons apprécié la fin, la chute était sublime. Par contre, il nous a semblé que le texte était un peu long, mais rien de grave...

2. Le 12 mars 2022, 09:01 par Timo

Selon moi ton histoire dégage une vrai atmosphère fantastique avec les personnes qui sortent des tableaux. Le vocabulaire utiliser enrichit énormément le récit et donne envie au lecteur de lire la suite. Les descriptions des lieux comme la chambre ou autre donne aussi une atmosphère angoissante. Ton travail a été réussi à merveille. Bravo

3. Le 13 mars 2022, 11:01 par Léonard

Lorsqu'elle doit se rendre chez sa mère, sans aucune raison, elle décide d'aller chez son meilleur ami, c'est incohérent. Néanmoins, tu instaures le doute avec des modalisateurs utilisés (avoir l’impression, sembler...) et les questions qu'elle se pose ("N’était-ce pas un de mes frères que je venais de voir ?"). Le personnage éprouve bien le sentiment de la peur. Cependant, quelques fois il n'y a pas assez de description de lieux (la chambre).

4. Le 13 mars 2022, 12:16 par Swann.C

J'ai beaucoup apprécié ce récit du début à la fin, dans un cadre réaliste, les descriptions sont très précises, par exemple : "A l’intérieur, je fus intrigué par les tableaux de style Renaissance. D’immenses portraits des ancêtres de sa famille me jetaient de regards inquisiteurs." Ce qui nous met directement dans l'ambiance. Il n'y avait pas forcément une intrigue qui nous faisaient vraiment douter, néanmoins l'histoire est très originale et celui ou celle qui a écrit ce récit a vraiment bien réussi à décrire les décors et sentiments du personnage avec un vocabulaire recherché ce qui a contribué à rendre le récit réussi."

5. Le 13 mars 2022, 13:05 par Lalie

J'ai trouvé ton texte très intéressant. J'ai beaucoup aimé le style d'écriture car j'avais l'impression de lire une vraie nouvelle de Maupassant. La fin était également inattendue et surprenante. Le texte était peut être un peu long mais sinon c'était vraiment bien.

6. Le 13 mars 2022, 17:23 par De pina Aminata

Dans le récit le doute entre l'éxplication surnaturelle et réaliste est bien présente ce qui donne l'envie de continuer:on ne sait pas si le narrateur devient fou ou s'il voit une peinture représentant un homme bouger.
Il y a beaucoups de descritions des sentiments ce qui nous donne l'impression de ressentir les émotions du narrateur.

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