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19 janvier 2015

Guillaume Carron, La désillusion créatrice, Merleau-Ponty ou l’expérience du réel, éditions MétisPresses, 2014, lu par Agathe Arnold

Les contradictions de la doxa contemporaine à l’égard de la philosophie – celle-ci serait aussi bien nécessaire et irremplaçable que stérile, aussi bien omniprésente et capable de parler de tout que réservée à une élite et éloignée du monde – sont pour Guillaume Carron un signe que le lien entre philosophie et réel a perdu de sa consistance, et invitent ainsi à réinterroger ce lien. Là où il pourrait sembler que cette interrogation a toujours déjà été le sens-même de la philosophie et de toute l’histoire de l’ontologie, Guillaume Carron insiste sur l’historicité du terme « le réel », en soulignant la rareté et la caractère tardif de son occurrence dans le vocable philosophique et ce jusqu’au 20e siècle, où il prendra au contraire une place prépondérante. Il faut alors remonter à son apparition dans la pensée hégélienne pour comprendre pourquoi nous avons tendance à avoir une foi spontanée dans la rationalité du réel et à occulter la résistance du réel au concept. L’enjeu revendiqué de l’ouvrage est de montrer la place particulière que tient la pensée de Merleau-Ponty dans l’histoire de la philosophie, dans la mesure où elle se confronte explicitement à cette résistance du réel et au bouleversement méthodologique qu’elle exige. Consciente des impasses de toute « pensée objective », qu’elle soit réaliste ou idéaliste, la philosophie qui interroge le réel et en accepte dès lors l’énigme devra se déployer hors des concepts rationalistes traditionnels et se faire « philosophie concrète (…) qui s’applique, chaque instant, à garder le contact avec l’expérience du réel ». Aussi l’ouvrage de Guillaume Carron insiste-t-il sur les dimensions critique et éthique de la philosophie de Merleau-Ponty, en ce que celle-ci montre les failles du réalisme et de l’intellectualisme, au fond deux manifestations d’une même incapacité à s’étonner devant le réel, à s’interroger sur la possibilité de son évidence, et à remettre en question le critère de l’évidence comme fondement premier du réel et de la vérité. Mais il s’agit également pour l’auteur de souligner l’apport philosophique de Merleau-Ponty par sa convocation du corps, de l’imaginaire et de la structure pour appréhender de manière inédite l’expérience de réel. A la faveur de l’exploration de la notion de réel, on suit l’évolution de la pensée de Merleau-Ponty, confrontée à diverses influences et forgeant peu à peu un nouveau type de discours philosophique. Ainsi sa « philosophie concrète » abordera d’abord le réel comme ce qui résiste à toute tentative d’arraisonnement : ni donné brut ni stricte construction subjective, il est une dimension originelle de l’expérience, « plénitude insurpassable ». Puis l’exploration de la possibilité de l’illusion l’amènera à réenvisager le réel et à reconnaître son rapport chiasmatique avec l’imaginaire, et enfin à l’inscrire « dans la structure charnelle si particulière de la réversibilité ».

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