Bernard Forthomme, La pensée franciscaine. Un seuil de la modernité, Les belles lettres, 2014, lu par Elisabeth Boncour
Par Cyril Morana le 30 mars 2015, 22:16 - Théologie - Lien permanent
Bernard
Forthomme, La pensée franciscaine.
Un seuil de la modernité, Paris, Les belles lettres, coll. « L’âne
d’or », 2014, 462 pages, 35 euros.
Bernard Forthomme, ofm, est professeur aux Facultés Jésuites de Paris (Centre Sèvres). Il a publié notamment : De l’acédie monastique à l’anxio-dépression (2000) ; L’Expérience de la guérison (2002) ; La Jalousie (2005) ; La Conversation et les écoutes difficiles (2007) ; Théologie des émotions — structurée par l’expérience théâtrale (2008) ; Les Aventures de la volonté perverse (2010), une Théologie de l’aventure (2013) et, récemment, La Voie libre, consacrée au franc-parler.
Le titre est l’indice adéquat du livre de B. Forthomme : il s’agit d’analyser les apports de la pensée franciscaine lorsqu’on entend se situer sur le « seuil de la modernité ». À savoir : faire halte dans le franciscanisme initié par François d’Assise et sa Regula, permettrait à l’homme moderne une distanciation salvatrice face à ses angoisses et sa déréliction endogène. L’ouverture et les deux derniers chapitres (VIII et IX) du livre sont prometteurs en leurs titres respectifs: « La pensée franciscaine en question » - qui laisse supposer un dialogue avec la modernité -, « La voie franciscaine : dépassement de la modernité par l’usage ouvert à la jouissance (fruitio), « L’acédie dans la civilisation : le volontarisme ? ».
La réflexion débute en effet dans une approche psychologique, voire psychanalytique de l’homme moderne, vue par la médiation du concept franciscain central de liberté, définissant Dieu comme libre volonté et l’homme, à son image, comme volonté libre au sein d’un monde défini par essence comme contingent. C’est cette intuition fondamentale de l’école franciscaine qui a été l’origine de tant de controverses, notamment avec l’école dominicaine à laquelle Thomas d’Aquin était formé : la contingence du monde et l’homme comme liberté essentielle ne remettent-elles pas en question la rationalité des lois divines ?
B. Forthomme entend montrer combien ces présupposés franciscains ne sont synonymes ni de pur nominalisme formel, ni de méontologie ; au contraire, ils engagent l’homme dans l’action volontaire et éclairée, au sens scotiste du terme : la pensée franciscaine est une « philosophie », une « science » pratique.
Sont alors convoqués tout au long de ces pages les penseurs franciscains à la suite du fondateur de l’ordre : Bonaventure, Alexandre de Hales, Roger Bacon, Duns Scot, Jean Olivi, etc. Le livre essaie de mener de front une présentation de la place historique de l’ordre en même temps que de la pensée des franciscains. Il est dommage que Bernard Forthomme n’y fassent que des renvois, sans les citer, ce qui eut assuré une lecture plus facile.
Il en va des auteurs comme des concepts : ceux-ci sont mobilisés et il est question de la liberté, de la contingence, de l’univocité de l’être, du nominalisme…, mais le souci d’exhaustivité de l’auteur a pour contrepartie un manque d’analyse conceptuelle serrée. Au lecteur de chercher laborieusement le fil d’Ariane pouvant l’extraire d’un labyrinthe philosophique.
Nous avons pu aussi remarquer une absence de bibliographie doublée d’une tendance à ne renvoyer qu’à ses écrits propres : quid des grands spécialistes ? Étienne Gilson, Alain de Libera, Mary Beth Ingham, Olivier Boulnois surtout, etc. Quid des textes fondateurs ?
Avant l’Index nominum et
le sommaire, Bernard Forthomme nous donne cependant une « chronologie
intellectuelle de la pensée franciscaine », véritable outil pour qui
voudrait approfondir l’étude de ce cette monumentale pensée.
Élisabeth Boncour
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Sommaire:
Ouverture
La pensée franciscaine en question
L'effroi de la liberté
Mutation des possibles
Une révocation de l'absolu
La genèse d'une angoisse radicale
Le déclin de la pensée ou son rebond libérateur
La modernité et ses métamorphoses : thérapie de l'angoisse ?
La libre volonté hostile au volontarisme
La portée civile de la liberté métaphysique
La volonté libre affranchie d'une appropriation de soi
La Règle franciscaine comme pensée et « spiritualité »
Le sens aigu des nécessités « rationnelles »
La liberté de ne pas vouloir sans refuser : le suspense
Le sensible voulu directement et médiatement par amour de soi
Le désir voyageur
La force symbolique, spéculative et mystérieuse du désir
Crise du désir appétitif et de l'image
L'affranchissement du monde, du sensible et du désir
Un désir réconcilié avec la mort librement configurée
La tension temporelle du désir et sa double perversion
Le suspense du désir universel de bonheur
Le désir ferme, lucide et apaisé
La vie, la loi et l'usage
La vie en tension avec la loi
Le pur amour affranchit de la tyrannie locale, de la vendetta et des vœux
Découverte du corps intérieur
La vie réglée par le travail et l'usage comme marteau sans maître
La vie comme usage simple
La voix de l'être, la science et l'avenir
La mise en cause philologique de la science théologique
Le regard théologique mesuré par la physique optique
La science expérimentale
Le retour à la voix de l’être réel, par delà les mots et les choses
Une déchristologisation de la science
L’être réel résiste au volontarisme comme au scientisme
Envoi
Note
I. Une modernité perplexe
La voie moderne de la contingence
Sécularisation ou légitimation
L'effroi provoqué par la volonté libre
L’artefact d’une modernité scotiste et occamiste
Interactions médiévales et baroques
Différenciations du scotisme
Changement d’optique, de dioptrie ou bévue
Roseraie franciscaine et dominicaine : entrelacs
Chiasme jésuite : critique scotiste du connexionnisme universel
La tradition scripturaire
La question de l’intention comme « intentio francisci »
Tradition patristique
Tradition philosophique
L’innovation théologique :
— Quitter la forêt obscure : la théologie comme scientia
— La théologie comme science pratique et crise de la science
— La vision béatifique particulière
— Mise en relief de l’expérience croyante et de la signifiance
— L’impact subversif de la puissance de Dieu
— Contestation de l’individualisme social
Notes
II. L’insécurité cosmologique et la fermeté de la volonté
La généalogie secondaire
Agnosticisme cosmogonique
L’itinérance de la liberté
La tautologie initiale
Crise de la liberté viscérale
Mise en cause du volontarisme
La plus grande rationalité de la volonté : le pur amour
De la méchanceté et de la perversion de la volonté pure
La contingence des lois
Pouvoir de possession et de juridiction
Notes
III. La configuration de l’homme nouveau
L’inédit d’un signe à surprendre : la « novitas »
Qu’est-ce qu’un « homo novus » ?
Nouvelle autorité iconographique
La crise des biens intermédiaires
L’affection avantageuse et le pur amour
Notes
IV. L’unique voix de l’être
L’univocité justifie les analogies et les excède
La raison du concept univoque d’être
Deux pommes différentes du même arbre
Le corps eucharistique
La réduction du monde
La vie comme usage du monde
La pluralité des mondes possibles
La mondialisation moderne
Notes
V. Logique et onto-logique : effets théoriques et pratiques de leurs rapports
De quoi relève la vérité ?
L’existible
L’être comme substance individuelle et qualité
Les effets doctrinaux : logique des hérésies
Les effets économiques, politiques et pastoraux
Conclusions premières
Notes
VI. Esquisse d’une anthropologie franciscaine
Une vulnérabilité provoquée par l’universalisation
Individuation distincte de l’individualisme
Le désir aventurier :
1) l’aventure éthique
2) l’aventure métaphysique
3) l’aventure ontologique
4) l’aventure épistémologique
5) l’aventure théologique
6) l’aventure eschatologique
7) l’aventure sociologique
8) l’aventure littéraire
9) l’aventure psychique
10) l’aventure christologique
11) l’aventure sanctorale
Le secret du vivre-ensemble
Le recueillement (recogimiento)
Notes
VII. De la théologie de la liberté à la théologie de la libération et du Libérateur
Une tradition théologique qui met en question les traditions fatalistes
L’articulation des cris de colère et d’espérance comme buisson ardent
La volonté inspirée : une théophanie humaine
La douceur éco-centrique
Le syncrétisme de refonte
Limitations internes ou hétérogènes de la théologie de la libération, et sa relance
Notes
VIII. La voie franciscaine : critique de la Modernité, et son remède par l’usage ouvert à la jouissance (fruitio)
Le côté fictionnel d’une certaine modernité
Ritualité et liturgie : lieu d’articulation du pouvoir souverain et de l’économie
L’opération efficace en elle-même et l’ontologie de l’efficacité
La liturgie comme conversation : société sanctorale et pas seulement communion sacramentelle
Le sujet vibratoire : l’être fait tout entier verbe ou prière
L’esprit de hardiesse
L’usage simple de la vie
L’usage, la jouissance et le droit
L’exception irréductible à l’efficacité et à l’économie
Une vie en beauté : forme d’existence voulue et instituée
Le voyage claustral
La paix face aux cultures de la colère et à la civilisation thymique
Eloge du droit comme procédure de confrontations
Nécessités raisonnables et volonté libre
Notes
IX. L’acédie dans la civilisation : le volontarisme ?
La mélancolie de la culture
La civilisation française construite contre la mélancolie
La mutation de la mélancolie médiévale : vers l’acédie
Du modèle thymique au paradigme érotique
La volonté libre : subversion des modèles
Eschatologie plurielle : présence et aventure
Notes
Chronologie intellectuelle franciscaine
Index Nominum