Laurence Perbal, Gènes et comportements à l’ère post-génomique, Vrin, 2011, lu par Jonathan Racine
Par Baptiste Klockenbring le 21 novembre 2014, 06:00 - Épistémologie - Lien permanent
Laurence Perbal, Gènes et comportements à l’ère post-génomique, lu par Jonathan Racine.
Présentation de l’ouvrage.
L’ouvrage part d’une question qui est maintenant devenue classique : « les comportements humains sont-ils déterminés par les contraintes génétiques ? » Il propose une approche résolument épistémologique ou historico-épistémologique, en laissant de côté à la fois la question très générale – disons métaphysique – du libre-arbitre, et la dimension idéologique de ce sujet (même si celle-ci n’est pas totalement absente). Il s’agit donc d’une analyse « des différents modèles explicatifs qui peuplent la génétique des comportements », du point de vue de l’histoire des sciences et de la philosophie de la biologie.
Le plan est simple : dans une première partie, historique et descriptive, l’auteur présente l’état de la question dans le cadre de ce qu’elle appelle « l’ère génomique ». Puis, dans la mesure où ce cadre conceptuel manifeste d’importantes limites, une seconde partie aborde le problème dans un cadre renouvelé (et en cours d’élaboration par la biologie du 21ème siècle) : « l’ère post-génomique »
Première partie : génétique des comportements et ère génomique
Chapitre 1 : mise en contexte
Il s’agit d’une très rapide histoire de la génétique et plus particulièrement de la génétique des comportements. Concernant cette dernière, le rôle de Galton est souligné, et le chapitre se conclut sur une incontournable mise au point sur le contexte idéologique. Celui-ci sera en un sens toujours présent, comme en filigrane, dans les études présentées, mais il ne constitue pas le cœur de l’ouvrage.
Chapitre 2 : l’ère génomique
On aborde ce qui est l’objet propre du livre, à savoir l’analyse épistémologique de la biologie moderne, à l’articulation du 20ème et du 21ème siècle : cette analyse repose sur la distinction de deux périodes, et ce chapitre entame la présentation de la première période, à savoir ‘l’ère génomique’. Celle-ci s’édifie à partir de l’élaboration de la théorie néodarwinienne de l’évolution (rencontre des théoriciens de l’évolution et de la génétique des populations, avec un concept central, celui de variation) et des importantes découvertes de la biologie moléculaire concernant le support et les mécanismes de l’hérédité (découverte de la structure de l’ADN, modèle de l’opéron permettant d’expliquer la régulation de l’expression des gènes). Un concept essentiel se dégage alors : celui de programme génétique. L’explication des comportements passe dès lors par la recherche des gènes correspondants.
Chapitre 3 : génétique des comportements
Le chapitre précédent a posé le cadre de ce que l’auteur appelle ‘ère génomique’ et il s’agit maintenant d’examiner la façon dont la question des rapports entre gènes et comportements est traitée à l’intérieur de ce cadre.
Le début de ce chapitre opère quelques rappels fondamentaux, notamment en ce qui concerne le concept d’héritabilité et les méthodes de la génétique quantitative des comportements (étude des jumeaux par exemple).
Les méthodes de la génétique quantitative sont progressivement complétées par des approches moléculaires : l’auteur s’arrête sur la figure de S. Benzer, qui approfondit l’étude de la liaison des gènes élaborée par Morgan : « Morgan s’intéressait à l’ordre des gènes sur les chromosomes mais Seymour Benzer étudie quant à lui l’ordre des nucléotides des gènes eux-mêmes » (p. 62). Il « développe ainsi ce qu’il appelle la théorie atomique du comportement ».
Ce chapitre aborde ensuite rapidement les méthodes plus modernes de la génétique des comportements (analyse de puces à ADN par exemple), avant de se consacrer à l’étude de cas plus concrets. L’auteur choisit de s’intéresser à l’intelligence, l’agressivité, l’addiction et l’homosexualité, dans la mesure où il s’agit de comportements particulièrement étudiés. Pour chacun de ces comportements, l’auteur fait une revue des théories et des polémiques, ainsi que des résultats des recherches menées (p. 72-108). Ces résultats se révèlent finalement peu concluants (p. 109), ce qui aboutit logiquement à une remise en question des modèles et théories sous-tendant la discipline.
Chapitre 4 : le projet génome humain, vers une nécessité post-génomique
Ce court chapitre de transition vise à confirmer la conclusion du chapitre précédent : le séquençage du génome humain a constitué un espoir et un symbole de l’ère génomique, « mais les résultats obtenus ont apporté quelques surprises qui éclairent l’insuffisance des approches géno-centrées pour l’étude complète des traits complexes » (p. 110). L’auteur cite notamment l’ouvrage de Roubertoux, Existe-t-il des gènes du comportement ? : « on rêvait […] d’une carte génétique des comportements normaux et pathologiques. Le séquençage des génomes devait répondre à toutes les questions, il en a fait naître d’autres. […] Une constatation s’est imposée très vite. Il était impossible de concevoir une relation linéaire entre gène et phénotype et non seulement la carte chromosomique des comportements était du domaine de l’utopie, mais elle était un non-sens »
Deuxième partie : génétique des comportements et ère post-génomique
Cette seconde partie suit le plan de la première : il s’agit dans un premier temps de présenter le changement de cadre épistémologique, et dans un second temps d’analyser les recherches en génétique des comportements menées à l’intérieur de ce nouveau cadre.
Chapitre 5 : l’ère post-génomique
Le début de ce chapitre est consacré à présenter rapidement l’idée de ‘biologie dialectique’, mise en avant par Lewontin dans sa critique du réductionnisme génétique – une biologie dialectique qui ne doit néanmoins pas être assimilée à une nouvelle forme de holisme.
Ce programme théorique a été mis en pratique à travers des recherches sur le phénomène de construction de niche, c'est-à-dire lorsqu’un organisme modifie la relation fonctionnelle entre lui et son environnement. Il y a implication active de l’organisme dans les processus évolutifs, ce qui a une conséquence importante pour notre problème, à savoir la place qu’il faut accorder aux gènes dans les modèles explicatifs en biologie : « quand les individus construisent leur niche ils sont plus que des véhicules passifs de gènes » (p. 125). Cette approche se prolonge dans la théorie des systèmes développementaux proposée par la biologiste S. Oyama, qui relativise la place des gènes parmi d’autres facteurs également nécessaires à la production des traits de l’organisme.
Ces recherches impliquent une « réinterprétation des concepts de gène et programme » (p. 128), en abandonnant notamment l’idée de localisation.
Chapitre 6 : génétique des comportements
Ce dernier chapitre tire les conséquences de ce qui précède au niveau de la génétique des comportements, en abordant d’abord l’aspect théorique, puis l’aspect pratique avec l’examen des recherches les plus contemporaines sur les traits comportementaux déjà étudiés en première partie.
En théorie, la génétique des comportements à l’ère post-génomique est conduite à renoncer à l’opposition de l’inné et de l’acquis, notamment du fait que l’expression des gènes peut être modulée par un environnement donné pour participer à l’émergence d’un comportement. La théorie doit alors s’accommoder d’un « pluralisme pragmatique », dans la mesure où il faut reconnaître que, « pour tout facteur causal, il n’est possible de l’appréhender qu’en termes de sa contribution relative à un comportement » (p. 141). L’ouvrage se termine par l’examen de recherches menées dans cet esprit de pluralisme à propos, à nouveau, de l’intelligence, l’agressivité, l’addiction et l’orientation sexuelle.
Commentaires
C’est un ouvrage important par les informations scientifiques précises qu’il apporte, sur une question qui est souvent abordée de manière trop générale. Il ne s’agit évidemment pas de minorer les enjeux idéologiques qui entourent cette question ; mais toute discussion de ces enjeux doit s’appuyer sur la connaissance des résultats scientifiques obtenus dans ce domaine – des résultats qui doivent, bien entendu, être analysés d’un point de vue épistémologique, pour éventuellement constater leur caractère peu concluant. Cet ouvrage contribue incontestablement à une telle analyse.
Jonathan Racine.