G. Larochelle & F. Courville, La course à la performance, Beauchesne 2016, lu par Gilles Barroux
Par Baptiste Klockenbring le 14 novembre 2017, 06:00 - Éthique - Lien permanent
Gilbert Larochelle, Françoise Courville, La course à la performance, Beauchesne, 2016, lu par Gilles Barroux.
Parmi les grandes thématiques contemporaines qui se situent à l’intersection de plusieurs champs disciplinaires – éthique, médecine et sciences, épistémologie, sociologie sans oublier la philosophie – figure en bonne place la performance, terme non exempt de fortes et sensibles ambivalences. La performance désigne en un sens un parcours de progression, individuel ou collectif, un projet, une ascension, mais aussi l’obsession de toujours plus : plus haut, plus loin, plus vite. Aurait-on affaire à l’histoire d’un processus de corruption d’une notion au départ noble et digne mais, au fur et à mesure des évolutions de nos sociétés, imprégnée d’exigences produites par une vision du monde avec comme seul et unique curseur le court terme ?
L’évocation de la dignité humaine dans le cadre du deuxième chapitre permet de revenir sur l’idée d’une fragilité humaine si souvent niée par les valeurs promues dans la dynamique du progrès des sciences et des exigences qui le motivent et qui s’en trouvent comme démultipliées. Il ressort de cette évocation de la dignité humaine trois dimensions générales : le statut non objectivable de la personnalité humaine, également l’idée que par essence la personne ne saurait être instrumentalisée et, enfin, le non-justiciable comme horizon dominant du droit et de la morale, sanctuaire d’un principe fondamental d’équité.
Les deux derniers chapitres infléchissent l’étude de la performance dans le domaine du soin : cure et care. Quand on se penche sur l’histoire et sur les évolutions de la médecine, en particulier de la relation patient-médecin, on est en effet frappé de voir comment s’exprime de manière récurrente un conflit entre le rationnel et le relationnel, thématique qui a fait l’objet de nombreux ouvrages d’éthique et de philosophie médicale. La parole issue des patients mais, peut-être plus encore des soignantes (en particulier infirmières et infirmiers), témoigne à quel point, dans de nombreux cas se trouve confirmée « La dérive de la raison médicale par le décalage entre le rationnel et le relationnel, entre l’information et l’attention accordée à la dignité des personnes » (p. 64). L’article « Patient » du Dictionnaire de la pensée médicale, sous la direction de Dominique Lecourt (Paris, Presses Universitaires de France, 2004) évoque cet infléchissement qui va du « patient » au « client », dérive sur laquelle se penche également le présent ouvrage en rappelant que l’origine du « patient », avec les idées d’attente, de temps long, appartiennent désormais à un passé, le même passé qui relègue le temps hippocratique) au musée des vieilleries, des valeurs désuètes. Pourtant, le célèbre Hippocrate de Cos enjoignait tout médecin à consacrer tout le temps jugé nécessaire à l’observation et au repérage de tous les signes liés à la maladie. Désormais prime l’urgence, laquelle « agit en précipitant la perception vers l’essentiel » (p. 76). Mais que sait-on vraiment de cet « essentiel », relève-t-il de la prouesse technique, de l’habileté et de l’ingénierie ? N’oublie-t-on pas, derrière l’entité nosologique même que constitue la maladie, la personne malade, question que posaient déjà les médecins des Lumières, et qui n’a rien perdu de sa pertinence.
Cet ouvrage se veut une synthèse plus qu’une étude approfondie. Sans se vouloir un pamphlet contre toute forme de progrès – précision rappelée à plusieurs reprises – il invite à une reprise critique d’une notion qui colle pleinement à la modernité, autre notion qui, du reste, n’est pas sans poser de nombreux problèmes d’interprétations et d’utilisations. Ce petit opuscule convoque un ensemble d’auteurs aussi hétéroclites que féconds, et l’on peut regretter l’absence d’une bibliographie à la fin, bien utile pour se livrer à des recherches et des études plus approfondies sur ce même thème, ce à quoi nous incite ce petit livre.
Gilles Barroux.