Max Weber, La Ville. Les Belles Lettres. Lu par Simon Rochereau.
Par Karim Oukaci le 06 janvier 2014, 06:00 - Sociologie - Lien permanent
Max Weber, La Ville, Édition de Philippe Fritsch, Les Belles Lettres. Lu par Simon Rochereau.
Il s’agit d’une réédition de La Ville de Max Weber - livre ici isolé du corpus auquel il est généralement rattaché. Après un rappel du contexte de publication de cette nouvelle édition, le texte est situé dans l’ensemble des œuvres de Max Weber.
Présentation à partir de la Préface de Philippe Fritsch
Rédigé dans les années 1910-1911, il est publié pour la première fois dans une revue en 1921, après la mort de l’auteur. Dès 1922, il est intégré à l’ouvrage Économie et société qui connaît plusieurs rééditions successives (1925, 1948, 1956, 1972) et au sein desquelles sa place évolue. Depuis la quatrième édition, il se trouve dans la seconde partie, plus précisément dans un chapitre consacré à la « sociologie de la domination ». C’est à partir de cet angle d’approche qu’il faut saisir la démarche de Weber. Avec la ville d’Occident se dessine progressivement « un type de souveraineté qui s’oppose de manière révolutionnaire aux formes de domination qui ont eu cours auparavant et ailleurs, tout en préparant et précédant tant l’État moderne que le capitalisme moderne ». En étudiant la genèse de la ville moderne, c’est bien la genèse de l’État moderne et du capitalisme que Weber contribue à mettre au jour. Afin d’isoler et de comprendre cette évolution contingente, que d’autres villes et d’autres civilisations n’ont pas connue, il faut s’efforcer d’en saisir la spécificité par un travail historique et sociologique minutieux, fondé sur la méthode comparative. Max Weber procède par opposition, en comparant moins des villes réelles – toujours complexes et mixtes dans leurs caractères – que des villes « idéal-typiques », fécondes pour l’analyse.
Sommaire
Chapitre 1 – Concept de ville et catégorie de ville
Chapitre 2 – La ville d’Occident
Chapitre 3 – La ville patricienne au Moyen Âge et dans l’Antiquité
Chapitre 4 – La ville plébéienne
Chapitre 5 – Démocratie antique et médiévale
Lecture
Remarque préliminaire : il est impossible de rendre compte du contenu exact des différents chapitres qui constituent un examen extrêmement détaillé et minutieux des différentes caractéristiques des villes. Tout résumé risquerait de figer de manière dogmatique tel trait spécifique, alors qu’il ne peut être compris qu’inséré dans l’examen qui le met aussitôt en doute. Nous nous contenterons donc d’extraire de chaque chapitre quelques points clefs.
Chapitre 1 - Concept de ville et catégorie de ville - L’examen de la très grande diversité des villes montre que la ville peut être caractérisée par un faisceau de critères – économiques (comme la présence d’un marché) ou politiques (comme la protection d’une citadelle). Pris séparément, ces critères sont tous contingents ; mais considérés ensemble, ils dessinent progressivement les spécificités et les contours de la ville, sans toutefois fixer des normes qui, au contraire, demeureront toujours fluctuantes. Afin d’affiner la compréhension des villes, on peut isoler des types (ville de consommateurs / ville de producteurs par exemple) dont les villes réelles constituent un composé mixte. Il convient particulièrement de saisir la spécificité de la « commune urbaine » en Occident et les raisons pour lesquelles elle ne s’est pas déployée ailleurs.
Chapitre 2 - La ville d’Occident - La ville occidentale s’affirme comme un espace de liberté conquis contre le droit féodal. « L’air de la ville rend libre ». Les citoyens y deviennent des associés de droit qui se soustraient aux formes anciennes de domination. La bourgeoisie y conquiert une autonomie par rapport à l’aristocratie et donne progressivement naissance à une commune. Le christianisme contribue à briser les liens tribaux et magiques, et à faire de la ville un lieu de fraternisation fondé sur le serment au-delà des liens du sang ou du lignage.
Chapitre 3 – La ville patricienne au Moyen Âge et dans l’Antiquité - Les notables (ou patriciens) monopolisent progressivement l’administration urbaine, gagnent en autonomie par rapport aux obligations anciennes (à l’égard des seigneurs ou du roi) et voient leur influence croître. Cette conquête progressive de la souveraineté par les patriciens est étudiée dans ses traits communs et ses spécificités en Italie, en Angleterre (dans ses rapports avec le pouvoir royal), ainsi qu’en Europe du Nord et dans l’Antiquité.
Chapitre 4 – La ville plébéienne - Sur les ruines de l’ancienne noblesse émerge le peuple (dème grec, plèbe romaine, popolo italien) comme groupement politique révolutionnaire, ainsi que les corporations qui financent les conjurations contre la domination patricienne. D’abord instance de lutte contre les dénis de justice dont sont victimes les non-nobles, le popolo devient une puissance publique coordonnée et s’empare de la ville ; la noblesse est progressivement exclue de certaines instances, puis, défaite. La cité n’est plus fondée sur les militaires et les patriciens, mais sur une corporation territoriale institutionnalisée. La loi se substitue à l’ordre charismatique ancien ; une administration se déploie. Malgré la variété des formes des villes de l’époque, cette période constitue une forme d’apogée de l’autonomie urbaine.
Chapitre 5 - Démocratie antique et médiévale – Si la cité antique est essentiellement orientée vers des buts politiques et militaires, les intérêts économiques pacifiques priment dans la cité médiévale. Alors que le citoyen antique - issu de la paysannerie - est homo politicus, le bourgeois médiéval - issu des couches industrielles et commerçantes - devient homo œconomicus. Même la pauvreté prend un visage différent : déclassé politique sans terre dans l’Antiquité, le pauvre est un professionnel sans travail au Moyen Âge. La ville médiévale, sous la domination des corporations, se bâtit sur un « modèle rationnel d’activité économique » unique qui prépare le capitalisme.
Commentaire
L’ouvrage de Max Weber constitue une plongée pleine d’érudition dans les villes d’hier (de l’Antiquité au monde moderne), dans les différentes civilisations (grecque, romaine ou orientale) et dans les différents pays (du nord ou du sud de l’Europe, etc.). Au delà du travail comparatif minutieux, il éclaire surtout, de manière originale, la genèse de l’État moderne et du capitalisme. Enfin, il constitue une mise en œuvre de la démarche sociologique de Weber. À ceux qui seraient tentés de réduire la sociologie à sa dimension descriptive, Max Weber oppose une approche vivante et mouvante qui progresse « à mesure du doute qui la nourrit » selon l’heureuse expression de Philippe Fritsch, dont la préface très éclairante permet non seulement de saisir la structure et les traits caractéristiques du texte, mais offre aussi l’occasion d’en percevoir la portée au sein de l’ensemble de l’œuvre de Weber.
Simon Rochereau.