Sébastien Labrusse, Au cœur des Apparences, Poésie et peinture selon Philippe Jaccottet, Les Editions de la Transparence, 2012, lu par Céline Lautredou

Sébastien Labrusse, Au cœur des Apparences, Poésie et peinture selon Philippe Jaccottet, précédé de En compagnie des peintres, Entretien avec Philippe Jaccottet, Les Editions de la Transparence, collection Essais d’esthétique, mai 2012.

Le livre de Sébastien Labrusse interroge l’œuvre de Philippe  Jaccottet à partir de son expérience de la peinture et de la poétique du paysage. Il est composé de deux parties et est illustré par des reproductions de tableaux (huiles ou aquarelles) de Nasser Assar, Claude Garache, Alexandre Hollan, Anne-Marie Jaccottet, Gérard de Palézieux et Jean-Claude Hesselbarth.  Une bibliographie très précise achève l’ouvrage et recense l’ensemble des œuvres de Philippe Jaccottet, les critiques littéraires-monographies et revues sur la poésie de Philippe Jaccottet - ainsi que les livres des artistes cités.

La deuxième partie du livre de Sébastien Labrusse est un essai sur  la poésie et la peinture selon Philippe Jaccottet. Il comporte trois chapitres : l’expérience du paysage, la part d’invisible et l’épreuve de la joie.

« L’expérience du paysage » fait surtout référence à l’un des maîtres livres de Philippe Jaccottet à savoir Paysages avec figures absentes. Le titre paradoxal implique la présence, « avec », de figures absentes, donc sans des références mythologiques ou religieuses. Les peintures qui font du paysage autre chose qu’un décor se concentrent sur la Nature à la manière des natures mortes. Elles donnent à voir la vie silencieuse qui habite les choses et sont des moments de pure peinture. La parenté de l‘expérience picturale et de l’expérience poétique ne cesse d’être soulignée. Le monde extérieur le plus dépouillé exerce sur notre monde intérieur un pouvoir par l’intermédiaire des œuvres. La peinture est une « ouverture sur les profondeurs ».  L’expérience du paysage est en fait une expérience de soi, liée à la capacité à se détacher de soi pour accéder à une vérité enfouie et cachée. Sébastien Labrusse met en valeur la relation privilégiée établie par Philippe Jaccottet entre « l’Origine » et « le Lieu ». Le « Lieu » est déterminé comme « centre » voué au divin, un ici qui indique une transcendance. Dans un « Lieu » on cesse d’être désorienté et on atteint la sérénité. Un « Lieu » nous confère et nous construit une identité.
Dans le chapitre intitulé « la part de l’invisible », Sébastien Labrusse rappelle la critique de l’allégorie par Philippe Jaccottet qui refuse d’enfermer les tableaux dans des explications.  L’expérience de la beauté du visible doit être celle d’une ouverture à l’infini au sein du fini. La patrie spirituelle et poétique de Philippe Jaccottet est « le noyau invisible ». Paradoxalement la disparition de Dieu ne fait pas obstacle au sentiment indubitable de la présence de quelque chose de divin.  Dieu se donne dans le silence de la vie intérieure comme un souffle, une respiration, un rythme à l’intérieur de la parole. Le poète est responsable de cette parole qui, par son souffle, fait naître une lumière intérieure, « le noyau invisible » source du rayonnement et de la beauté du monde.

Dans le dernier chapitre intitulé « l’épreuve  de la joie », Sébastien Labrusse montre en quoi l’écriture de Philippe Jaccottet est reliée à une joie qui remonte à l’enfance,  tout en étant vécue au plus près de la réalité immédiate. Cette joie est celle, immémoriale et incompréhensible, de la présence de « l’Origine », celle d’être au monde. Mais la poésie est aussi née de l’épreuve du deuil, elle est « la voix donnée à la mort ». Paradoxalement l’épreuve de la mort n’obscurcit pas le sentiment de la joie. Sébastien Labrusse commente longuement le poème en prose intitulé « le mot joie » extrait de Pensées sous les nuages. La joie qui rime avec « soie » est capable des métamorphoses les plus mystérieuses et inattendues. La joie peut être entendue dans le monde visible et se transforme en musique. Le projet du poète est de «ne plus écouter que les conseils des fleurs antérieures à tout savoir ». La joie serait une épreuve parce que notre condition de mortel la met à l’épreuve. L’épreuve de la joie peut aussi être une réponse à celle de la mort. Philippe Jaccottet aimerait trouver une musique qui puisse accompagner le mort jusqu’à l’autre rive. Les prés sont une réponse à l’horreur de la mort  parce qu’ils sont signes, ici bas, d’un  autre ordre, celui de l’éternité. Philippe Jaccottet oppose à la mort et à la violence de l’histoire, « l’herbe éternelle et frêle » dans le poème Beauregard. Les prés fleuris seraient comme un  paradis dispersé. La contemplation des « violettes au ras du sol » dans le poème Ce peu de bruits n’est pas signe du deuil mais révèle un sentiment d’éternité. Le poète peut ainsi témoigner de l’invisible révélé par la joie mise à l’épreuve par la mort.  Sa parole est lien avec autrui, adresse en même temps qu’écoute.
Ce livre de Sébastien Labrusse a plusieurs intérêts. L’entretien avec Philippe Jaccottet nous révèle certaines des émotions esthétiques qui ont marqué le poète et présente les personnalités qu’il a eu l’occasion de rencontrer. L’essai permet de porter une attention particulière aux textes poétiques de Philippe Jaccottet afin de comprendre le sentiment du sacré à partir d’un paysage désacralisé, privé de toute fonction décorative, et qui rayonne à travers la simplicité des fleurs et des herbes. Sébastien Labrusse mettant  en valeur la méditation sur « l’Origine » nous invite à une relecture de la poésie de Philippe Jaccottet, poésie qui est un véritable centre ou lieu d’ouverture et de lumière.

Céline Lautredou

Nous signalons que les Œuvres de Jaccottet sont publiées dans la Bibliothèque de la Pléiade.