Catherine Dalançon, Journal d’une Rêveuse, Pratique du Rêve lucide, éd. Le Mercure Dauphinois, 2013, lu par Christian Bouchet

Catherine Dalançon, Journal d’une Rêveuse, Pratique du Rêve lucide, Editions Le Mercure Dauphinois, 2013.

L'auteur délaisse ici les thèmes populaires qu’elle traite habituellement dans ses livres pour aborder une question qui intéresse aussi bien la neurophysiologie, la psychologie ou l’épistémologie que la philosophie : la conscience de rêver qui advient parfois au cours d’un rêve de sommeil. Son approche n’est pas un essai savant mais nous fait entrevoir le côté expérimental et les à-côtés d’une recherche universitaire : elle raconte dans quelles circonstances elle a assisté à des cours donnés à l’hôpital Sainte-Anne dans les années 80 pour développer sa lucidité onirique et jouer le rôle de sujet d’expérience.

Le livre est découpé en dix-sept chapitres qu’il n’est pas aisé de regrouper car il suit la chronologie de trois d’années d’expérimentations. L’auteur passe de façon fluide, parfois dans un même chapitre, des séances de Sainte-Anne à son entraînement personnel (et à sa façon d’adapter les méthodes préconisées) ou à ses relations avec les autres participants, tout en rapportant des récits de rêves ou les productions artistiques qu’elle en a tirées. 

I. Le cahier magique

II. Le rêve éveillé autodirigé

III. Le rêve magique

IV. Du rêve magique à l’écriture inspirée

V. Les étapes de l’écriture inspirée

VI. Entre rêve et réalité

VII. « Suis-je en train de rêver ? »

VIII. Le retour des rêveurs

IX. Face aux cauchemars

X. Lucidité ou pas ?

XI. Voyance et lucidité

XII. Rencontre entre rêveurs

XIII. Le guide de mes rêves

XIV. Rêves et tremblements

XV. La dernière séance

XVI. Miroir et panne d’électricité

XVII. Condensé du cours dans un salon de thé

 I. Lors de la première séance, le chercheur qui anime les cours s’assure que les participants à l’expérience comprennent bien les concepts de « lucidité onirique » et de « rêve lucide », concepts pratiquement inconnus à cette époque. Le rêve de sommeil vécu par un  rêveur est susceptible d’être étudié selon plusieurs paramètres, mais seuls deux d’entre eux sont d’habitude pris en compte : la signification et l’intensité émotionnelle. Les autres paramètres (tels la qualité perceptive du décor onirique ou les capacités mémorielle, volitive et conscientielle du rêveur) sont généralement négligés ou, au mieux, subordonnés à la recherche du sens. Le cours sera consacré à l’aspect conscientiel, sous un angle très précis : la conscience que le rêveur a, parfois, de se trouver dans un rêve. Il s’agira non seulement d’étudier ce type de rêves qu’on qualifie de « lucides » mais aussi de le susciter à l’aide d’exercices prévus à cet effet. L’entraînement commence par des consignes pour mieux se souvenir de ses rêves.

 II. Le cours suivant aborde la question des rêves « associés » aux rêves lucides. Le rêveur n’y est pas encore conscient de rêver, mais il n’en est pas loin. Ce qui fait l’intérêt de ces rêves, c’est qu’ils sont relativement courants et qu’il est possible de les favoriser pour y déclencher la conscience de rêver à l’aide de techniques appropriées. Il s’agit essentiellement des rêves qui prennent le rêve pour objet (souvenir en rêve d’un autre rêve, rêve dans le rêve, faux éveil, notation des rêves au cours du rêve). La pratique du rêve éveillée est indiquée pour favoriser ce type de rêves.

 III. Les participants ont souvent, concernant les rêves, des préoccupations personnelles très éloignées des objectifs de la recherche proposée. Afin de surmonter cette difficulté, l’animateur leur explique les agréments du rêve éveillé avant de leur montrer comment utiliser cette méthode pour influer sur les rêves nocturnes et susciter des rêves associés au rêve lucide.

 IV. L’auteur nous montre comment elle applique les méthodes d’induction du rêve de façon pratique et détaillée. Elle présente aussi des exemples d’écriture « inspirée » : des poèmes et des chansons obtenus auprès d’artistes disparus, au cours de rêves lucides.

 V. Elle affine individuellement son expérimentation personnelle et sa façon obtenir des textes d’écriture « inspirée ». A Sainte-Anne l’animateur s’intéresse au rêve de vol en tant que rêve associé au rêve lucide. Il en élargit le concept autant en compréhension (au sentiment de voler s’ajoute celui de légèreté, de flotter, de planer, de glisser, de nager, de se lever) qu’en extension (ce peut être un autre personnage du rêve qui accomplit ces performances, ou un objet). L’objectif est de repérer ces types de rêves, de mémoriser les sensations oniriques qu’ils procurent au rêveur et de les reproduire en rêve éveillé juste avant l’endormissement, ce qui aura pour effet d’en multiplier le nombre et d’intensifier les sensations de vol onirique.

 VI. Récit d’un rêve lucide suivi d’un rêve de faux éveil très pénible. On apprend alors que certains rêves associés peuvent être particulièrement désagréables et que l’entraînement proposé n’est pas toujours une partie de plaisir.

 VII. Certains participants sont devenus des amis de l’auteur qu’elle fréquente en dehors des séances et, au vu des résultats obtenus, ils lui suggèrent d’étendre ses projets d’écriture. Désormais ses rencontres oniriques ne se limiteront plus aux chanteurs décédés mais viseront aussi d’autres artistes ainsi que des inventeurs et des chercheurs.

 VIII. Commence l’apprentissage du rêve lucide proprement dit. La lucidité onirique suggère une nouvelle manière d’être au monde. En effet, le rêveur lucide se rend compte qu’il rêve parce qu’il se trouve capable en rêve de comparer sa situation à celle de la veille, par exemple en repérant des incongruités. D’où une méthode d’induction qui consiste à s’interroger, à l’état de veille, sur la nature de son environnement : s’agit-il d’un rêve ? Cette méthode est renforcée par l’utilisation du rêve éveillé, le fractionnement du sommeil et des suggestions que l’on se donne à l’endormissement.

 IX. Discussion de deux participants : le rêve lucide est pratiqué depuis des temps reculés et on trouve même d’anciens manuels de yoga du rêve, notamment tibétains ou indiens. A Sainte-Anne on apprend que si les beaux rêves, notamment très colorés, favorisent la lucidité onirique, les rêves désagréables y sont tout autant propices pour peu que l’on parvienne à surmonter son envie de se réveiller - et donc sa conscience implicite de rêver - pour poursuivre le rêve.

 

X. Les participants font part de difficultés qu’ils rencontrent au cours de leurs expériences oniriques. L’animateur les aide en leur proposant de nouveaux concepts par exemple celui de « zone conscientielle » (que l’on apprend à étendre) ou de « lucidité secondaire » (qui porte sur certains éléments du rêve reconnus comme tels, mais pas sur son ensemble). De nouvelles clefs d’induction sont fournies, dont un exercice qui consiste à donner une suite à un rêve lucide au cours d’un rêve éveillé.

 XI. Les participants s’intéressant aux prémonitions oniriques, on aborde le rapport du temps et de la lucidité. La prémonition suppose un ancrage temporel qui n’est, en fin de compte, que conventionnel. Pour se construire, le rêve ne tient pas compte du déroulement du temps tel que nous le comprenons à l’état de veille. Des exemples de récits de rêves montrent à quel point ces éléments constatés que l’on qualifie de « prémonitoires » se présentent, malgré leur nombre,  sous la forme d’éléments non signifiants par eux-mêmes pour la vie du rêveur.

 XII. Un après-midi est exceptionnellement consacré au partage des rêves et chacun lit une de ses expériences oniriques. Les difficultés rencontrées incitent le chercheur à rappeler qu’il ne s’agit pas d’installer une sorte de cinéma personnel, ce que semblent attendre de nombreux participants, mais d’explorer un terrain pratiquement vierge pour la recherche onirique. Malgré les progrès constatés, les préconceptions sur la nature du rêve demeurent l’obstacle le plus important à la réussite de l’induction de la lucidité.

 XIII. Outre la conscience de rêver, les rêves lucides et apparentés présentent des caractéristiques particulières que l’on ne trouve pas dans les autres rêves. Des phénomènes récurrents y sont constatés : la présence de miroirs, de doubles, la difficulté à allumer une lampe, à lire un texte ou l’heure. Des indications sont données pour canaliser l’intention de rêver lucidement au cours d’un rêve éveillé afin de la concrétiser au cours du sommeil.

 XIV. Un des phénomènes parfois concomitants de la lucidité est une forte vibration ressentie en rêve. La méthode proposée ici pour induire le rêve lucide consiste à simuler ce tremblement à l’état de veille, avant de dormir, afin de le répercuter dans le rêve.

 XV. Au cours de la dernière séance, les participants lisent leurs rêves lucides et associés. C’est l’occasion pour le chercheur de distinguer des catégories précises, montrer la progression de certains rêves, ou d’un type de rêves à un autre, et donner des conseils pratiques sur la gestion du corps onirique ou la façon de maîtriser ses peurs.

 XVI. L’auteur fait le récit d’un rêve lucide traversé par une période de faux éveil désagréable mais assez typique (lumière qui refuse de s’allumer, miroir), ce qui la pousse au réveil à se replonger dans ses notes de cours où sont décrites plusieurs sortes de rêves de miroir. On y incite les participants à ne pas les interpréter mais à les utiliser comme vecteurs de la lucidité.

 XVII. La fin de la dernière séance est rapportée au cours d’une conversation entre participants. D’anciennes techniques y sont affinées tandis que de nouvelles sont proposées. Ainsi, s’imaginer que l’on vole à l’état de veille favorise la survenue des rêves de vol ; se concentrer de façon alternative sur deux points symétriques provoque un sentiment de balancement imaginaire qui se prolonge consciemment au delà de l’endormissement ; compter tout en se suggestionnant favorise l’endormissement conscient. Certaine techniques, en apparence simples, ne sont efficaces que pour ceux qui ont déjà une bonne pratique des exercices conscientiels antérieurs, comme celle qui consiste à « détricoter la réalité ».

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 L’auteur a voulu expliquer l’origine de ses textes « inspirés » par un témoignage autobiographique et montrer comment elle a utilisé ses rêves lucides pour « converser » avec des artistes ou des chercheurs disparus. Ses motivations, et celles des autres participants, se révèlent à la fois pragmatiques et poétiques, alors que la recherche universitaire menée dans le cadre de Sainte-Anne aborde un objet peu connu dans une perspective scientifique. Ce décalage provoque des heurts dans les échanges entre les participants et l’animateur, heurts dont l’ouvrage donne un aperçu sur un ton léger, mais que l’on sent réels. De façon implicite, et peut-être involontaire, on entrevoit les difficultés d’une expérimentation qui suppose la collaboration de sujets non rémunérés. Ce seul aspect suffirait à attester l’originalité de cet ouvrage. Il nous fait entrer par la petite porte dans une recherche elle-même particulière puisqu’elle concerne un phénomène encore peu étudié scientifiquement malgré les témoignages de saint Augustin, de Descartes, d’Hervey de Saint-Denys ou, plus près de nous, les expériences de laboratoire de Keith Hearne (1978) ou Stephen LaBerge (1980) qui l’ont authentifié. Bien que ce livre n’ait pas vocation à expliciter scientifiquement le rêve lucide, il en donne, par la diversité des exemples proposés, un aperçu à la fois agréable et instructif.

 Christian Bouchet