Cyrulnik, de Fontenay & Singer, Les animaux aussi ont des droits, Seuil 2013, lu par Laurence Harang

B. Cyrulnik, É. de Fontenay, P. Singer, Les animaux aussi ont des droits, Seuil, mai 2013.

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Le titre du livre semble affirmer le caractère évident des droits des animaux : si en effet l’homme a des droits en vertu de sa nature, l’animal de fait a des droits « aussi » !

 

 

 

Il faut donc s’interroger sur la pertinence des critères permettant de faire de l’animal un égal de l’homme. Est-ce en vertu de sa sensibilité, de sa capacité à souffrir qu’un animal doit être considéré comme un patient moral, c’est-à-dire un être n’ayant certes pas de devoirs mais des droits ?

Pour répondre à ces problématiques, trois personnalités sont convoquées ; Peter Singer, professeur de bioéthique et fondateur du Mouvement de libération animale, Boris Cyrulnik, éthologue et neuropsychiatre puis Élisabeth de Fontenay, philosophe et auteure du livre Le silence des bêtes.

Tentons de chercher les convergences, divergences de ces trois auteurs à propos de la question animale.

Peter Singer, dans les années 75, s’est rendu célèbre par son ouvrage Animal liberation : l’essentiel est de nous libérer de nos préjugés à l’égard des animaux « de notre immoralité et de l’oppression qui en découle ». Car depuis toujours, nous avons fait de l’animal un être inférieur, un simple instrument. Or ce mouvement de libération concerne autant les catégories opprimées comme les Noirs, les femmes que les animaux. C’est pourquoi, on peut se demander selon l’auteur s’il est justifié moralement de faire usage d’autres êtres vivants pour satisfaire nos besoins.

Il faut donc reconnaître une « égalité devant la vie » face à la souffrance : car l’animal comme l’homme, selon la tradition utilitariste, ressent la douleur et la souffrance. De ce fait, l’homme ne constitue pas une « singularité », une « exception », conception qui oppose Singer à Élisabeth de Fontenay. Certes, l’approche utilitariste de Singer se distingue de la philosophie du droit de Tom Regan sans pourtant s’y opposer radicalement. Le philosophe australien défend en effet l’idée selon laquelle il doit exister une « égalité des intérêts » de tous les animaux. C’est une position que l’on peut qualifier « d’antispéciste » dans la mesure où s’affirme le refus de faire de l’homme un être supérieur. Or, la philosophe Élisabeth de Fontenay ne veut pas prendre en considération cette dimension. L’antispécisme et le « welfarisme » font du bien-être le critère à partir duquel nous avons des obligations envers les animaux .Or, c’est la prise en compte de « l’intégrité » de l’animal qui fonde nos obligations. Paradoxalement, Élisabeth de Fontenay reconnaît la capacité à souffrir de l’animal puisqu’elle condamne l’aveuglement de la « zootechnie » Toutefois, Peter Singer fait explicitement de la souffrance du vivant un argument en faveur de la cause animale : si les animaux souffrent comme nous, alors il est injustifié de leur infliger des tortures !

Mais Singer reconnaît que la compassion à l’égard des animaux n’est pas suffisante pour leur accorder des droits. Il faut en effet des arguments pour faire surgir une prise de conscience, car souvent le déni se substitue au bon sens ; on aime les animaux mais on ne se prive pas de les manger… De même, on se livre à des expérimentations abominables sur les animaux de laboratoire en affirmant qu’ils sont à la fois différents (pour justifier notre domination sur eux) et semblables (pour justifier de telles expérimentations).

Bref, Singer défend un juste équilibre entre l’empathie -capacité à imaginer les réactions d’autrui- et le raisonnement – capacité à argumenter et à convaincre.

C’est pourquoi, il semble approprié de sensibiliser l’opinion publique à la cause animale et d’éduquer autant que possible les enfants à avoir de la considération pour les animaux.

Élisabeth de Fontenay, quant à elle, tout en se proclamant darwinienne et continuiste refuse de fonder sur les données de la science des obligations envers les animaux. Certes, la philosophe revendique une « déconstruction de la métaphysique spiritualiste et matérialiste du propre de l’homme » mais maintient une autonomie de l’histoire humaine. De ce fait, la responsabilité envers les animaux est à distinguer d’une responsabilité à l’égard des êtres humains. C’est pourquoi, Élisabeth de Fontenay ne reconnaît en rien la pertinence de la tradition utilitariste et notamment l’antispécisme » de Singer. Les mots sont d’ailleurs assez durs puisqu’il s’agit d’évoquer « le radicalisme animaliste » dans sa négation des traditions proprement humaines. N’est-il pas contradictoire de plaider pour une reconnaissance des droits des animaux tout en refusant le « spécisme » ? Disons que c’est au titre de l’humanité de l’homme que l’auteure s’oppose à toute forme d’exploitation des animaux. C’est donc en vertu de trois critères spécifiques qu’Élisabeth de Fontenay affirme la nécessité de droits pour les animaux :

   il faut admettre l’existence d’une subjectivité pour les êtres les plus organisés ;

   les animaux sont conscients et sensibles ;

   il est humain de se montrer sensible à la vie animale.

L’auteur s’éloigne de l’idée kantienne selon laquelle l’homme a des devoirs indirects envers les animaux. Il faut bien au contraire défendre la dignité animale qui fait de l’être vivant un être qui n’a pas de prix (car ce sont les choses qui ont un prix). Sans doute, faut-il retrouver en nous cette « décence partagée » si chère à Orwell : en reconnaissant la dignité des êtres sensibles, nous nous engageons à vivre et à partager un monde commun. Il est vrai que la reconnaissance de la dignité des animaux humains et non-humains aura pour conséquence la fin de l’exploitation des êtres que nous jugeons inférieurs. Il reste à savoir si l’humanisme philosophique est compatible avec la défense des droits des animaux.

Le dernier protagoniste Boris Cyrulnik est connu pour ses travaux sur la cause animale et l’empathie. C’est à ce titre que l’éthologie participe à une meilleure connaissance de l’animal. Citons l’auteur :

«  L’éthologie réclame indiscutablement beaucoup d’imagination pour interroger les animaux car il faut émettre des hypothèses, faire preuve d’inventivité ; il faut surtout savoir se décentrer de soi, avoir de l’empathie pour pouvoir éprouver un autre monde que le sien. » (P 188).

 En changeant notre regard sur l’animal, en modifiant nos représentations, nous parviendrons à prendre en compte les personnalités des animaux. Car l’éthologie historiquement s’est opposée au béhaviorisme : l’étude des réactions instinctives d’un animal ne peut permettre une connaissance approfondie d’un être dans son milieu. Il est évident que si nous accompagnons notre empathie d’une connaissance des animaux, nous pourrons améliorer le sort des êtres exploités. Il est vrai que notre représentation de l’animal détermine notre manière de penser et de sentir les choses. Comme Singer, Cyrulnik insiste sur le rôle fondamental de l’éducation dans l’attention accordée à la sensibilité de l’animal.

Avec un certain optimisme, l’éthologue pense que la société est disposée aujourd’hui à changer son regard sur l’animal : sans doute, notre sensibilité s’est-elle affinée au cours de l’histoire mais il reste toutefois encore du travail pour faire de l’animal un égal de l’homme !

 Au terme de cette analyse, il apparaît nécessaire de prendre en considération la condition animale sous peine de perdre notre humanité. Il semble donc légitime de nous interroger sur le statut de l’animal, sa sensibilité, sa valeur, sa conscience et tous les droits qui devraient en découler. Laissons la parole à Léonard de Vinci :

« Le jour viendra où des personnes comme moi regarderont le meurtre des animaux comme ils regardent aujourd’hui le meurtre des êtres humains. »

 

Laurence Harang