Sylvain Bosselet, On ne parle pas de politique à table, Ed. Bréal, 2011 (lu par Jean-Jacques Sarfati)
Par Cyril Morana le 17 janvier 2013, 05:37 - Philosophie politique - Lien permanent
Sylvain Bosselet, On ne parle pas de politique à table, Éd. Bréal, 2011, 126p.
Dans ce texte, Sylvain Bosselet, se propose d’interroger la chose politique en nous offrant une relecture de la pensée philosophique et psychologique, de Platon à Freud, souhaitant ainsi recréer le lien (souvent rompu) entre philosophie, psychanalyse et politique.
Son projet est notamment d’interroger la raison d‘être des deux blocs (droite et gauche) qui structurent la vie politique européenne depuis de nombreuses années, mais aussi de comprendre – en psychologue qu’il est en plus d’être philosophe – « les mécanismes inconscients qui correspondent à ces deux positions politiques » (p. 16).
Après avoir - à juste titre - rappelé que les fondements théoriques des idées contemporaines du politique trouvaient leurs sources en Platon et Aristote, S. Bosselet rappelle fort justement que ces questions de droite et de gauche n’existaient pas chez les Anciens. Ce clivage trouve son origine avec l’avènement de la Modernité. Pour notre auteur, en effet, entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, autour des Révolutions anglaises, la droite trouve-t-elle ses fondements, avec un siècle d’avance sur la gauche dont les conceptions se développeront à l’approche de la Révolution française. (p. 47)
Dans un chapitre IV, qu’il intitule « le Grand fossé » - auquel, en lecteur avisé des aventures d’Astérix, il entend sans doute nous ramener - il estime en effet que la différence qui, en Occident, séparerait droite et gauche, se situerait dans une interprétation différente de l’état de nature. En effet pour lui, la gauche interpréterait celui-ci comme un bonheur originel fait de liberté absolue et d’égalité alors que la droite le percevrait comme :
Malheur initial, guerre permanente et aliénante, égalité ressentie comme injuste et impossibilité de jouir des biens. (p. 53)
En conséquence, la gauche verrait ainsi, selon lui, la propriété et les richesses comme mauvaises alors que la droite les apprécierait. En revanche, la première citée trouverait naturelle la fraternité et la solidarité là où la droite, plus méfiante envers ses semblables, chercherait plutôt à encadrer le lien social dans une hiérarchie. La vision de la justice de ces deux pôles différeraient également, la gauche voyant celle-ci comme préventive et la droite considérant que la justice devrait s’évaluer à l’aune du mérite et du travail, le tout dans le respect du contrat social (p. 55). Etre responsable n’aurait donc pas le même sens pour ces deux blocs de pensée et de culture.
L’auteur poursuit son travail de recherche sur le clivage droite/gauche en l’analysant ensuite sous le regard de la psychanalyse freudienne. La gauche serait ainsi du côté de la mère, dans un amour du moi par le Surmoi alors que la droite se situerait plus en proximité avec celui-ci qui, toujours méfiant, récompenserait néanmoins celui qui apporterait le plus de substances à la communauté (p. 77).
Poursuivant cette idée, il rappelle ainsi que la droite se méfierait des hommes alors que la gauche craindrait surtout les productions de ces derniers, voulant toujours rendre propre le petit enfant. Pour lui, en effet :
La droite craint la pulsion de mort, la gauche le caractère anal. (p. 84).
Une fois le politique scruté par la philosophie et la psychanalyse - dans une conjonction trop rare de nos jours pour ne pas être saluée - et une fois ces analyses opérées, Sylvain Bosselet tente ensuite une approche critique du clivage politique contemporain afin de le dépasser.
Pour lui, la gauche se tromperait ainsi en ne retenant que le côté amoureux de la nature humaine, mais la droite également en ne voyant en elle que son côté agressif (p. 94). L’homme serait double, selon lui, tantôt l’un et tantôt l’autre. En conséquence, pour sortir d’un homme soit loup soit Dieu, il conviendrait de le voir tel qu’il serait et ainsi de penser une politique qui tiendrait compte de cette dualité.
Pour y parvenir, un jugement avisé, une connaissance de l’humain serait chose désormais indispensable pour le politique. De ce fait, seule la science pourrait permettre de résoudre les difficultés et autoriser un juste gouvernement des hommes. Souhaitant donc approfondir les liens entre savoir et pouvoir, il appelle ainsi de ses vœux, la constitution d’une équipe gouvernementale de chercheurs issus de nombreuses disciplines…car personne ne saurait prétendre posséder seul les fabuleuses connaissances actuelles. La science atteint un tel niveau de développement que même un spécialiste ne peut plus connaître à lui tout seul l’ensemble des avancées de sa discipline (p. 117).
Critiquant la professionnalisation du politique et l’emprise de la bureaucratie technocratique sur celle-ci, il s’affirme ainsi, en conclusion, défenseur affirmé de la théorie du chercheur roi en lieu et place d’un bureaucrate roi (p. 126), afin de mettre en adéquation théorie et pratique, connaissance et action. Le texte se termine donc par une heureuse re-visitation du Mythe de la République de Platon. Le philosophe-roi de Socrate - épris de vérité, ayant surmonté les épreuves en restant droit – est ainsi remplacé par un chercheur travaillant en équipe et soucieux de transversalité.
Le texte de Sylvain Bosselet mérite donc que l’on s’y arrête. Il rappelle les liens trop oubliés qui unissent politique, droit, philosophie et psychanalyse et il met ainsi fort justement en évidence le fait qu’il existe une culture de droite et un culture de gauche, l’une et l’autre ne se faisant pas la même idée du mot « responsable ». Il rappelle également les bienfaits de la culture transversale qui ouvre sur autrui.
Pour aller dans le sens de l’auteur de ce texte, chacun peut comprendre que le responsable devient parfois très rapidement le coupable pour celui qui n’a pas fait le travail de distinction nécessaire que requièrent ces deux concepts.
Freud a d’ailleurs étudié les liens qui existaient entre culpabilité et société dans le Malaise dans la culture. Ceci nous amène peut-être à nuancer le clivage gauche/droite par certains aspects car il y a une gauche qui travaille sur elle-même et une droite qui fait de même.
Toutefois, il est indéniable qu’une certaine droite trouve fréquemment son coupable idéal chez l’intellectuel et l’étranger ; là où une certaine gauche trouve celui-ci chez l’entrepreneur et chez celui qui a un certain souci de l’excellence. Certains aussi, à droite comme à gauche, s’en prennent aux uns et aux autres conjointement et le pire dans ce cas est de se situer entre les deux en étant coupable pour certains de n’avoir pas assez de culture et de faire « nouveau riche » et, pour d’autres, d’être au contraire trop cultivé. Freud l’a fort brillamment rappelé ; le pire cependant avec la culpabilité c’est qu’elle finit par pénétrer celui qui est accusé qui devient ainsi allié de son impropre bourreau.
Remplacer nos gouvernants souvent bureaucratisés ou/et « aparatchiquisés » par des membres de la gente culturelle risque peut-être donc de n’être pas suffisant pour résoudre la tendance de certains de nos concitoyens à voir un coupable potentiel chez qui est différent de soi.
N’est-on pas toujours « fautif » aussi avec elle, lorsqu’elle nous reproche : nos fautes de goût, nos fautes d’orthographe, de syntaxe, de grammaire, etc. ? L’alliance actuelle de la culture et de l’informatique n’a-t-elle d’ailleurs pas aggravé les choses puisque nous risquons désormais de faire aussi des fautes de frappe, d’introduire des virus, de mal manipuler tel code… ?
Que dire aussi de la souffrance actuelle qui touche nos sociétés, n’a-t-elle pas accru un rejet contemporain de la culture par une certaine partie du « peuple » tout en augmentant, par une logique de cercle vicieux, la haine d’une certaine « culture-peuple » ? Freud, n’écrivait-il pas d’ailleurs, dans l’Avenir d’une illusion :
Lorsqu’une culture n’est pas parvenue à dépasser l’état de satisfaction d’un certain nombre de participants et qu’elle présuppose l’oppression de certains autres…il est alors compréhensible que ces opprimés développent une hostilité intense à l’encontre de la culture elle-même …aux biens desquels, ils n’ont qu’une part trop minime (Trad. A. Balseinte, Puf, 1995 p. 13).
La solution du dilemme n’est donc pas simple car la culture - parfois remède - peut cependant devenir poison pour celui qui voit en elle l’alliée de ce qui l’opprime tout autant que pour celui qui se protège derrière ses remparts afin d’éviter une saine rencontre avec soi.
Avec elle, sans doute, c’est également à un certain souci de la rencontre qu’il faut que nos politiques reviennent peut-être afin que cesse une certaine confusion de la responsabilité de chacun avec la culpabilité de quelques uns que l’on rejette ainsi simplement parce qu’ils sont « culturellement » différents de nous.
Jean-Jacques Sarfati