Charlotte Perriand et le Japon

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Charlotte Perriand au Japon en 1941

La question des rapports entre Charlotte Perriand et le Japon est fondamentale pour comprendre son oeuvre car Perriand aime le Japon. Jacques Barsac a publié un volume intitulé Charlotte Perriand et le Japon en 2008 au édition Norma, en 2013 le musée d'art moderne de Saint-Etienne organisait une exposition "Charlotte Perriand et le Japon" et dans l'exposition "Le monde nouveau de Charlotte Perriand à la Fondation Louis Vuitton en 2019-2020 une large place était consacrée à la reconstitution des expositions que Charlotte Perriand organisa au Japon : "Sélection, Tradition, Création" en 1941 et "Proposition d'une synthèse des Arts" en 1955. Dans ses entretiens à France Culture C. Perriand parle de son attrait pour le Japon et de son travail (entretiens 3 et 4).

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Reconstitution de l'exposition "Proposition d'une synthèse des Arts" de 1955 à la Fondation Louis Vuitton (2019-2020)

 

Introduction : Perriand et l’influence du Japon

« L’essentiel n’est pas tant l’influence du Japon sur Perriand, mais plutôt le fait qu’à son arrivée au Japon, Perriand avait découvert un pays où ses idées, déjà en gestation, trouveraient à s’ancrer dans les principes qui sous-entendaient la logique constructive ». Y. Kikuchi dans la catalogue de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand », FLV, Ed. Gallimard, 2019

Ci-contre, Hiroshige, Contemplation de la lune, Cent Vues célèbres d’Edo, 1856. Cette estampe nous permet de voir et de comprendre l'esprit de la maison traditionnelle japonaise (façade et plan libres, le tatami et la mesure, les rapports intérieurs extérieurs, la sobriété et le vide).

Ci-dessous, à gauche la Villa impériale Katsura à Kyôto, XVIIe s., à droite Le Corbusier, P. Jeanneret, Maison de week-end à La Celle-Saint-Cloud, 1934. Charlotte Perraiand avait accroché ces deux photographies  en très grand format à l'entrée de son exposition au Japon en 1941 montrant ainsi les liens étroits qui unissent art traditionnelle de la maison japonaise et modernité en architecture.

 

A. Mission au Japon (1940-1941)

« La stratégie [du gouvernement japonais] consistait à exporter des produits de style occidental et "moderne", mais repensés et réinterprétés à l’aune des critères de l’artisanat japonais traditionnel. Dans ce cadre, Perriand avait pour mission spécifique d’apporter des conseils pratiques destinés à améliorer le design de cet artisanat, à stimuler les exportations et selon les termes de Kitarô Kunii, directeur de l’Industrial Arts Research Institute (IARI), à "identifier le meilleur de l’art industriel japonais, et proposer les moyens d’en tirer parti" ». Y. Kikuchi dans la catalogue de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand », FLV, Ed. Gallimard, 2019


Sur place Charlotte Perriand est accueillie par son ami J. Sakakaura qui a travaillé avec elle à l'Agence Le Corbusier. Perriand se familiarise avec le mouvement Mingei (mouvement de l'art populaire) fondé par Soêtsu Yanagi.
 

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Catalogue de l'exposition de 1941

« Dans le cadre de sa mission d’orientation de la production japonaise, Charlotte Perriand parcourt le pays pendant plus de six mois, faisant des interventions et des conférences dans les écoles des Beaux-Arts, les centres de formation et de production, les instituts spécialisés… Elle est amenée à critiquer souvent la production destinée à l’exportation (…). Charlotte Perriand propose de réaliser des films sur le mode de vie occidental et sur l’usage des objets. A chacune de ses rencontres, elle répète "ne copiez jamais, pas plus le passé que les œuvres occidentales, mais inventez en gardant votre sensibilité japonaise", "partir de la tradition vers l’avenir avec audace"». J. Barsac dans la catalogue de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand », FLV, Ed. Gallimard, 2019

Ci-dessous, photographies de l'exposition « Contribution à l’équipement intérieur d’une maison d’habitation, Japon 2601, Sélection, tradition, création », grands magasins Takashimaya, Tôkyô, 28 mars-6 avril 1941. L’exposition est ensuite présentée à Osaka.

B.  Retour au Japon (1953-1955)

Exposition « Proposition d’une synthèse des arts, Paris 1955, Le Corbusier, Fernand Léger, Charlotte Perriand » aux grands magasins Takashimaya, Nihonbashi, Tôkyô, 1er-17 avril 1955.

[L’exposition a pour but de] « montrer les tendances et les préoccupations de l’Occident, en ce qui concerne les arts plastiques et l’habitat » et « elle est basée sur deux thème d’actualité (…) : exprimer la collaboration entre artistes et les producteurs industriels. Réaffirmer le rapport d’Unité entre l’architecture, la peintre, la sculpture », C. Perriand, catalogue d’exposition

« La première partie de l’exposition est centrée sur sa vision de l’habitat moderne. Le visiteur traverse une salle de réception donnant sur une salle à manger, un bureau, une salle de séjour, une chambre. Perriand y intègre ses propres recherches et créations récentes dans le champ de l’aménagement intérieur et de l’équipement mobilier, ainsi que des objets usuels (verres, assiettes, etc,) – sélectionnés à son invitation par Jean Luce de l’UAM Formes utiles – et des œuvres de Léger (tapisseries, céramiques) et de Le Corbusier (tapisseries). Cette partie est entourée par des vitrines qui longent les murs. Perriand met l’accent sur sa "quincaillerie" – ces éléments normalisés de son équipement mobilier -, de même que sur certains meubles issus de la sélection habitat de l’exposition. Il s’agit de mettre en exergue leurs caractéristiques fonctionnelles et leur adaptabilité à l’usage et au rangement. Le parcours se termine par une salle consacrée aux arts graphiques et plastiques, avec sur les murs des tableaux et de tapisseries de Léger et Le Corbusier, et dans des vitrines qui longent ces murs, une sélection d’estampes, de livres d’artistes et de publications sur l’art et l’architecture »K. Baudin dans la catalogue de l’exposition « Le monde nouveau de Charlotte Perriand »  à la FLV, Ed. Gallimard, 2019

Ci-dessous, photographies de l'exposition « Proposition d'une synthèse des arts"

Quelques exemples de réalisations exposées : banquette Tôkyô, tabouret berger, double chaise-longue, bureau forme libre grand format, chaise Ombre, bibliothèque Nuage, table Air France, fauteuil empilable « de conversation », bibliothèque à plots en tôle laquée.

C. Influences (1960-1993)

1. Agence Air France à Tôkyô, 1960

Le mari de Charlotte Perriand, Jacques Martin, travaille pour Air France et est en poste au Japon entre 1953 et 1955, il contribue à l’ouverture d’une nouvelle ligne entre Paris et Tokyo par le pôle Nord. La réalisation de l’agence Air France de Tokyo et Osaka est confiée à C. Perriand.

Elle réalise un mur cinétique avec une photographie de 13m du pôle Nord. L’aménagement de l’agence devait répondre à plusieurs usages : accueil du public, vente de billets, traitement des réservations, promotion publicitaire, information et administration locale. Elle imagine donc l’agence comme un open-space avec des bureaux en aile d’avion. Les fauteuils sont de Charles et Ray Eames (modèle DSR)

2. Résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris, 1966-1969

La nouvelle résidence de l’ambassadeur du Japon à Paris est confiée à J. Sakakura et il fait appel à son amie C. Perriand pour la conception de l’architecture intérieure et l’équipement mobilier. Des dispositifs traditionnels japonais sont réinterprétés comme les façades doublées de voilettes en bois ; les salons de réception ouverts sur les jardins se reconfigurent avec des cloisons amovibles ; C. Perriand crée un ensemble de meubles : divan de 7m de long, paravent en bois massif, table basse,…

3. Maison du thé, UNESCO, 1993

En 1993, C. Perriand est invitée par H. Teshigahara afin de créer une Maison du thé sur l’esplanade de l’UNESCO. Elle réalise une structure légère, simple, épurée et poétique qui laisse place au vide créateur d’espace. Pour réaliser cette structure moderne et traditionnelle, C. Perriand s’est appuyée sur sa connaissance des philosophies zen et taoïste ainsi que sur Le Livre du thé qu’elle avait découvert dès 1930.