Jean-Baptiste Camille Corot et l'Italie

Jean-Baptiste Camille Corot 

(1796-1875)

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Jean-Baptiste Camille COROT (1796-1875) Autoportrait (v. 1835).

Huile sur papier marouflé sur toile, 33 × 25 cm, Galerie des Offices, Florence.

BIOGRAPHIE

 

Peintre et graveur. Né à Paris et mort à Ville-d’Avray (près de Paris). Après la réticence paternelle, en 1822 Corot obtient tout de même l’autorisation de peindre et commence ses leçons chez Achille Etna Michallon (1792-1822), mais le maître mourra très peu de temps après. Il devient alors l’élève de Jean-Victor Bertin (1767-1842). En 1825, il part pour l’Italie en passant par la Suisse, en octobre il est à Lausanne, en décembre à Rome. Pendant l’été 1826, il travaille dans les monts Sabins, puis, à l’automne, il voyage dans la région des lacs albains. En décembre, il est à Tivoli. En 1827, il poursuit ses « campagnes de peinture » (Olevano, Subiaco, Valmontone, Marino). Au printemps 1828, il visite Naples, Capri, Ischia. Après un court séjour à Venise, il est de retour à Paris dans l’automne de la même année. Il se rendra une seconde fois en Italie en 1834 (Toscane, Venise, la région des lacs), et à nouveau en 1843. De 1829 jusqu’à la fin de sa vie, il voyage en Normandie, en Bretagne, mais aussi en Auvergne, en Provence, en Limousin (notamment à Saint-Junien, sur les bords de la Glane, site qui porte désormais son nom), en Dauphiné, en Bourgogne, en Charente, dans le Morvan (en particulier à Lormes), en Côte d’Azur, ainsi qu’en Suisse, en Belgique et en Hollande. De 1827, il expose régulièrement au Salon. En 1855, il remporte un grand succès à l’Exposition Universelle de Paris ; en 1867, il envoie des œuvres à celle de Londres où il reçoit une médaille de deuxième classe. Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1846 et Officier de la Légion d’Honneur en 1867.

 

Biographie détaillée

La jeunesse (1796-1822)

Les parents de Jean-Baptiste Camille Corot appartiennent à la bourgeoisie commerçante parisienne. Son père était drapier et sa mère tenait une boutique de mode réputée. Jean-Baptiste est d’abord scolarisé à Paris, à la pension Letellier, puis envoyé à Rouen, au lycée Pierre Corneille. A la fin de ses études secondaires, en 1815, son père le place comme vendeur chez un marchand de drap parisien. Mais le jeune homme est attiré par le dessin et suit des cours à l’Académie de Charles Suisse, quai des Orfèvres. Cette académie proposait un enseignement peu contraignant et bon marché. En 1822, Corot refuse la proposition de son père de lui offrir un fonds de commerce de drap et obtient de lui une rente annuelle de 1 500 livres lui permettant d’entamer une carrière de peintre.

 

L’apprentissage (1822-1825)

Jean-Baptiste Corot entre alors dans l’atelier de son ami Achille-Etna Michallon (1796-1822), peintre de paysage de tendance néoclassique, prix de Rome 1817 et élève du grand théoricien de ce courant, Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819). Mais Michallon meurt prématurément quelques mois plus tard et Corot entre alors chez Jean-Victor Bertin (1767-1842). Ce dernier est également un élève de Valenciennes et transmet à Corot les principes de composition du paysage néoclassique mis au point par le grand maître. Des études sur le motif doivent précéder la composition en atelier du tableau final. Les études permettent de composer de façon réaliste un paysage qui doit cependant être idéalisé car il s’agit d’extraire de la nature la quintessence de la beauté ou de l’émotion qu’elle peut transmettre au regard humain. La forêt de Fontainebleau, toute proche, permet à Corot de mettre en pratique cette méthode. Il sera l’un des premiers artistes à travailler dans le village de Barbizon et peut être considéré comme l’un des fondateurs de l’École de Barbizon, communauté de peintres prônant le travail sur le motif dans la nature.

Le premier voyage en Italie (1825-1828)

Les peintres néoclassiques devaient impérativement s’imprégner de la manière des maîtres italiens. Pour les paysagistes, les esquisses prises sur le vif dans la péninsule constituaient un matériau précieux permettant d’élaborer, parfois plusieurs années après, de vastes compositions. Le premier séjour en Italie de Corot est entièrement financé par ses parents car le peintre reste considéré comme un amateur et ne connaît pas le succès commercial. Il rapporte de nombreux portraits et paysages, considérés par lui comme des études, mais présentant un grand intérêt historique. Il s’agit en effet d’une peinture spontanée correspondant à la vision de l’instant et préfigurant donc les évolutions ultérieures de la peinture et en particulier l’impressionnisme.

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Jean-Baptiste Camille Corot, La promenade de Poussin, campagne de Rome (1825-28)

Huile sur toile, 33 × 51 cm, musée du Louvre, Paris.

Persévérance et réussite (1828-1850)

A son retour d’Italie, Corot mène une vie itinérante, voyageant surtout en France, à la recherche de paysages. Il séjourne également en Suisse, aux Pays-Bas et en Angleterre. En 1834, il effectue un second voyage en Italie (Venise, la Toscane, l’Étrurie). Il séjourne en particulier un mois à Volterra, d’où il ramène de nombreuses études qui déboucheront ensuite sur des paysages composés (Vue près de Volterra, 1838). En 1843, il fait un troisième et bref séjour en Italie. Lorsqu’il ne voyage pas, le peintre vit à Ville-d’Avray, près de Paris.

La reconnaissance officielle tarde. En 1827, il avait présenté pour la première fois deux tableaux au Salon officiel, mais ils passèrent inaperçus. Les années suivantes, il continue à présenter des œuvres, mais le succès ne vient pas. Au Salon de 1834, il présente Forêt de Fontainebleau, vaste composition paysagère d’une largeur de 2,40 mètres s’appuyant sur un motif biblique. Le tableau lui vaut une médaille. L’artiste continue à exposer régulièrement au Salon au cours des années suivantes avec parfois des déconvenues : au Salon de 1842, sur cinq toiles proposées, quatre sont refusées. Mais la consécration officielle arrive enfin. En 1846, il est décoré de la légion d’honneur et, en 1848, il devient membre du jury du Salon.

Le peintre célèbre (1850-1875)

Une exposition universelle a lieu à Paris en 1855. Un Palais des Beaux-arts permet de mettre en valeur la création artistique française et Corot y expose six œuvres. Il obtient une médaille et l’empereur Napoléon III acquiert un de ses tableaux. Il devient dès lors un artiste à la mode qui vend énormément et très cher. Son style évolue. Le succès lui permet de se libérer des contraintes académiques ou même du réalisme prôné dans sa jeunesse par les peintres de l’École de Barbizon. Il laisse son imagination et ses souvenirs créer des paysages oniriques, enveloppés d’un voile de brume légère. L’artiste exceptionnel qu’était Corot capte ainsi intuitivement le sens de l’histoire et certaines de ses toiles sont incontestablement très proches des celles des impressionnistes.

Devenu riche, Corot fait preuve d’un altruisme peu commun. Lors du siège de Paris par les prussiens en 1871, il donne une somme de 20 000 francs destinée à secourir les pauvres. Le peintre et caricaturiste Honoré Daumier étant sans ressources du fait de sa cécité, il lui offre une maison. Il consent également une rente annuelle de 1 000 francs à la veuve du peintre Jean-François Millet (1814-1875).

Jean-Baptiste Camille Corot meurt à Paris, d’un cancer de l’estomac, le 22 février 1875. Il est inhumé au cimetière du Père-Lachaise où l’on peut voir sa tombe.

Œuvre

Malgré une formation solide, Corot fut longtemps considéré comme un amateur. Il ne se lie pas avec les grands artistes de l’époque et conserve toujours une indépendance qui transparaît dans son style. Sa réussite fut tardive. Parmi les influences subies, il faut citer Giorgione et Corrège pour la Renaissance, Poussin et Lorrain pour le classicisme français. Son œuvre diversifié comporte beaucoup de paysages, mais aussi des scènes religieuses et mythologiques et des portraits.

Il est surtout connu pour ses paysages composés. Corot reste à l’écart du mouvement impressionniste qui cherche à saisir sur le motif un instant particulier. Néanmoins, il travaille à partir d’études prises sur le vif, selon les préceptes formalisés par Pierre-Henri de Valenciennes, puis compose en atelier un paysage qui peut plus ou moins s’éloigner de la réalité observée.

L’œuvre d’art ne consiste pas pour lui à saisir un instant de la fugitive réalité mais à exprimer une émotion intérieure par les formes et les couleurs. Il n’est donc pas impressionniste par l’esprit mais peut l’être par la forme. Du moins, son travail préfigure-t-il l’impressionnisme à partir des années 1850 lorsqu’il abandonne les contraintes néoclassiques – architectures géométriques et compositions rigoureusement équilibrées. L’étude de la lumière, de ses reflets sur l’eau deviennent alors ses préoccupations principales. Il aboutit en définitive à des paysages oniriques, imprégnés de nostalgie car construits sur des souvenirs. La grande réussite de Corot est d’avoir su trouver un style remarquablement adapté à cette peinture poétique. La nature est vue à travers un voile de brume légère car il s’agit d’une nature rêvée. Les feuillages vaporeux recouvrent des branches ondulantes.

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Jean-Baptiste Camille Corot. La Trinité-des-Monts (1825-28).

Huile sur toile, 45 × 75 cm, musée du Louvre, Paris

« Peinte lors du premier séjour de l’artiste à Rome (1825-1828), cette étude inachevée traduit le goût et la maîtrise de Corot dans la simplification des formes. Se découpant avec vigueur sur le vide du ciel et celui du premier plan, l’église est vue de la villa Médicis, siège de l’Académie de France. » (Notice musée du Louvre)

 

Le Pont de Narni

Ce paysage représente les ruines du pont construit par Auguste sur le Nera. Il s’agit d’une esquisse à l’huile prise sur le motif, d’où son intérêt historique. Le peintre ne se soucie pas de représenter les détails mais veut saisir sa perception d’un paysage avec le maximum de spontanéité. Une telle esquisse ne pouvait en aucun cas être considérée par le public de l’époque comme un tableau achevé. Les critères classiques de composition dominaient totalement. Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour qu’émerge une esthétique de la perception. Cette esquisse fut utilisée par le peintre pour peindre un grand paysage conservé aujourd’hui au musée des Beaux-arts d’Ottawa.

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Jean-Baptiste Camille Corot. Le pont de Narni (1826).

Huile sur papier monté sur toile, 34 × 48 cm, musée du Louvre, Paris.

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Jean-Baptiste Camille Corot, Le pont de Narni, 1827

Huile sur toile, 68 x 94.6 cm

musée des beaux-arts du Canade, Ottawa.

 

Lors de son premier séjour en Italie, Corot fait de fréquentes visites au mont Palatin où il réalise plusieurs études. Il partage son temps, selon les études, entre matin, midi et après-midi, pour optimiser la lumière.

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J-B. Corot. Vue depuis les jardins Farnèse, Rome (1826).

Huile sur papier marouflé sur toile, 24,4 × 40 cm, Philips Collection, Washington.

 

Lors de ses séjours en Italie, Corot a vécu aussi à Florence, comme en témoigne ce tableau, une vue des jardins Boboli.

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Jean-Baptiste Camille Corot. Florence. Vue prise des jardins Boboli (1835-40).

Huile sur toile, 51 × 73 cm, musée du Louvre, Paris.

« Peint à Paris, ce tableau solidement composé réutilise des études dessinées et exécutées lors d’un séjour de Corot à Florence durant l’été 1834. » (Notice musée du Louvre)

 

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Jean-Baptiste Camille Corot. Une matinée, la danse des nymphes (v. 1850).

Huile sur toile, 97,7 × 130,5 cm, musée d’Orsay, Paris

 « Le traitement velouté et floconneux des feuillages, si spécifique de Corot, témoigne du déplacement de l’intérêt de l’artiste de la scène aux éléments naturels, à l’atmosphère du paysage, aux nuances de la lumière et à ses douces vibrations. Néanmoins, la marque de la tradition classique reste présente chez Corot tant dans la survivance de sujets mythologiques que dans la nette distinction entre étude "sur nature" et tableau achevé d’atelier. Le paysage a beau tenir une place importante, il reste cependant le cadre d’une scène imaginaire : une bacchanale. Mais l’héroïsme lyrique n’est plus une valeur dominante dans la société bourgeoise du XIXe siècle et les déesses ne font guère qu’animer le théâtre de la nature. En fait, le tableau résulterait du "collage" de deux souvenirs distincts : d’une part celui des jardins de la Villa Farnèse à Rome, de l’autre celui d’un ballet à l’Opéra – d’où l’ambiguïté du titre. » (Notice musée d’Orsay).

Un nu féminin

Corot est aussi l’auteur de nus féminins, notamment l’un d’entre eux, réalisé à Rome, s’inscrit dans le genre des « odalisques ». Il ne justifie pas le nu par une référence à la mythologie, et fait preuve d’un certain réalisme, à la fois par le décor, un lit défait, et l’attitude de la femme au bras levé.

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Jean-Baptiste-Camille Corot, Paris (1796 – Paris, 1875) Marietta, dite L’odalisque romaine ,1843.

Huile sur papier marouflé sur toile, Paris, musée du Petit-Palais.

Corot, dans sa correspondance, témoigne en termes assez crus de son attirance pour les Italiennes. Il écrit à son ami d’enfance Abel Osmond : « Ô Abel, ne passe jamais par Bologne. Cette ville renferme de trop séduisantes sirènes. Je souris. Je me suis laissé séduire par la plus séduisante balarina de l’opéra de Bologne, qui nous a été procurée comme soulagement, après un voyage pénible et très échauffant surtout ; qui nous a été procurée, dis-je, par un jeune Français que nous avons rencontré aux Marionnettes. Il m’en est resté un très agréable souvenir… » Corot établit une sorte de « palmarès » des beautés féminines, ville par ville : « Les femmes de Florence ne sont pas d’une beauté surprenante. » Corot profite de son séjour à Rome pour parfaire sa connaissance du corps féminin. « Tu me demandes des nouvelles des Romaines. Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais. J’en possède de temps en temps ; mais cela coûte. Toutes ne sont pas voluptueuses… […] Malgré cela, les yeux, les épaules, les mains et les culs sont superbes. »

Et il ajoute : « Moi, comme peintre, j’aime mieux l’Italienne ; mais pour faire le sentiment, je me penche sur la française. »

 

Marietta, une voluptueuse Romaine, pose dans l’atelier d’Achille Benouville où s’installe Corot lors de son troisième et dernier séjour à Rome. Travaillée en frottis transparents, laissant apparaître le tracé initial du crayon, l’œuvre est une subtile déclinaison d’ocre rose, de brun, de blanc et de vert pâle.

Ce dépouillement contribue au caractère unique de cette étude qui témoigne de la diversité des moyens picturaux de Corot.

Le jeune Corot étudie la peinture auprès des paysagistes néo-classiques Achille Michallon et Jean-Victor Bertin. Avec l’aide financière de ses parents, commerçants à Paris, il peut voyager librement. Il parcourt ainsi la France, fait trois séjours en Italie, découvre la Suisse, les Pays-Bas et l’Angleterre. Il est parmi les premiers adeptes du plein air à travailler dans la forêt de Fontainebleau.

Ce parisien habite une partie de l’année à Ville-d’Avray, dont il rend célèbre l’étang qui borde la maison familiale. Baudelaire, Gautier et Champfleury défendent cet artiste original qui associe de manière inédite réalisme et invention poétique. Bientôt Corot élargit sa vocation initiale de peintre de paysage et donne plus d’importance à la figure, la femme devenant l’un des thèmes centraux de ses œuvres dans les années 1860. Les études de nu faites en atelier trouvent ainsi leur finalité dans des compositions élégiaques. La publication en 1905 du Catalogue raisonné de Corot par Alfred Robaut a fait évoluer la compréhension de l’œuvre du paysagiste, tout en révélant l’importance du peintre de figures, dont Degas disait « Il est toujours le plus fort, il a tout prévu ». (Notice du Petit-Palais)

Terminons par cette vue du pont et du château Saint-Ange

 

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Jean-Baptiste Camille Corot, Vue de Rome : le pont et le château Saint-Ange avec la coupole de Saint-Pierre, 1826.

 Huile sur toile. San Francisco, Fine Arts Museum.

 

On peut rapprocher ce tableau des paysages de Nicolas Poussin qui représentent également le Château Saint-Ange. Corot rend ainsi hommage à la peinture de Nicolas Poussin et à la tradition classique, tout en ouvrant des perspectives vers l'impressionnisme.

 

Sources : sites du Musée du Louvre, du Musée d’Orsay, site Rivages de Bohême https://www.rivagedeboheme.fr/

Le catalogue Viva Roma ! Le voyage des artistes à Rome sous la direction de Vincent Pomarède. (Editions La Boverie / Louvre, 2018. Textes de Vincent Pomarède p. 11-16.)