Le rêve comme source des merveilles
Ainsi que cela est expliqué dans la thématique consacrée au sujet (AU TEMPS DU ROMANTISME), le romantisme met en avant les sentiments et les émotions ; ce courant artistique sera l'occasion pour les artistes d'exprimer les besoins et les envies qui sortent du cadre de la raison. Le mot fantastique, de la même famille que fantôme ou fantasme désigne des manifestations liées à l'imaginaire. Parallèlement à l'installation du réalisme, on note un regain d'intérêt pour la religion, la mort, la magie : toute forme de lien direct avec le divin, l'au-delà ou l'extraordinaire. C'est dans ce cadre que James MACPHERSON (1736-1796) fait croire qu'il a traduit les Poèmes d'Ossian (1773), un barde écossais légendaire du IIIe siècle. Ces récits emplis de magie et de fougue épique influencent artistes et hommes politiques et ravivent la passion pour les héros mythologiques celtiques. Un exemple avec le tableau Le songe d'Ossian (1813) de Jean Auguste Dominique INGRES.
Du côté des arts graphiques, les Caprices de l'Espagnol Franciso de GOYA (1746-1828),
manifestent très tôt ce goût pour des personnages et des lieux sombres et inquiétants, propres à donner corps aux créatures sorties de l'imagination. Un autre exemple marquant est celui de Johann FÜSSLI (1741-1825), avec son célèbre tableau Le Cauchemar. Il dépeint une femme endormie au dessus de laquelle se tient une créature monstrueuse qui est censée être dans son rêve.
DELACROIX, REDON, DORÉ sont autant d'artistes qui ont illustré ce genre très en vogue. Pour en connaître plus sur les nombreuses et impressionnantes gravures fantastiques, consultez notre compte rendu de l'exposition Fantastique ! au Petit-Palais.
Du côté des arts musicaux, on peut signaler La symphonie fantastique (1830) d'Hector BERLIOZ (1803-1869). C'est une pièce en cinq mouvements dont le premier s'intitule Rêveries et le dernier : Songe d'une nuit de Sabbat. Mettant l'accent sur le monde des rêves, il raconte l'histoire d'un jeune artiste dévoré par sa passion amoureuse pour une jeune femme.
Définir l'hésitation fantastique
Du côté de la littérature, c'est avec Le Diable amoureux (1772) de Jacques CAZOTTE (1719-1792) que prend naissance le genre. Alvare, une jeune homme trop sûr de lui, se laisse charmer par la belle Biondetta avant qu'elle ne lui rappelle qu'elle est un démon et qu'elle a le pouvoir sur lui. Mais la certitude des faits tarde à s'établir, laissant le personnage — et donc le lecteur — dans une brume de rêve.
Tzvetan TODOROV, critique littéraire et philosophe, a étudié ce texte et, plus largement, la littérature du XIXe siècle. Il en a publié un compte rendu bref mais fondamental intitulé Introduction à la littérature fantastique (1970). La définition qu'il donne au genre est celle qui fait autorité aujourd'hui et qui est la plus diffusée. Il explique qu'on doit s'interroger sur la nature du monde décrit : s'agit-il d'un monde dans lequel le surnaturel est la norme ? Ou d'un monde ordinaire où les faits trouveront une explication rationnelle ?
Le fantastique occupe le temps de cette incertitude ; dès qu'on choisit l'une ou l'autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l'étrange ou le merveilleux. Le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel.
Chapitre 2 : La définition du fantastique
C'est à la lumière de cette définition que l'on peut observer l'ensemble de la littérature fantastique du XIXe siècle. Ainsi les œuvres des maîtres du genre se trouvent parfaitement englobées dans cette vision. Vous observerez que beaucoup de narrations sont des récits brefs : des nouvelles. Racontées à la première personne, elles donnent ainsi l'image d'un témoignage authentique et fiable. Ces histoires démarrent dans un cadre ordinaire, banal et vraisemblable, afin de donner au lecteur des repères et lui faire croire à la véracité de ce qu'on lui raconte. Par la suite, les événements inexplicables qui se déroulent interviennent souvent la nuit, créant ainsi des imprécisions sur leur nature réelle. Il arrive aussi souvent que le narrateur n'ait pas assisté lui-même à ces phénomènes. Ainsi, tout ce qui est proche du surnaturel se révèle impossible à vérifier.
Les thèmes fantastiques
Objets étranges
Les thèmes et motifs récurrents dans le texte fantastique permettent par exemple de repérer la présence d'objets liés au surnaturel. Cette tendance s'observe chez Théophile GAUTIER (1811-1872), l'un des grands écrivains romantiques. Il a publié une suite de nouvelles fantastiques parmi lesquelles : La cafetière. Dans cette nouvelle au titre banal, le narrateur raconte comment, une nuit, les objets de sa chambre prennent vie. Les portraits sur les tableaux le suivent du regard, la cafetière descend de la table et se déplace seule... Dans La Pipe d'opium, le narrateur, alors qu'il fume la drogue, s'aperçoit que le plafond change de couleur et voit des esprits. Enfin, dans Omphale, une femme dessinée sur une tapisserie s'anime et rejoint le narrateur. Celui-ci avait pris soin de préciser, pour semer le doute : "je fis cette nuit-là un rêve singulier, si toutefois c'était un rêve".
Dans La Peau de Chagrin (1831), de Honoré de BALZAC (1799-1850), le jeune Raphaël de Valentin obtient d'un vieil antiquaire une peau qui a le pouvoir d'exaucer les vœux. Mais l'objet rétrécit à mesure que les souhaits se réalisent, jusqu'à disparaître avec la vie de son propriétaire. Qu'en fera le héros ? Saura-t-il profiter de sa courte vie ? Cette interrogation se retrouve aussi chez Oscar WILDE (1854-1900). L'écrivain britannique, a publié un roman marquant : Le Portrait de Dorian Gray (1890). Il y raconte comment un jeune homme du monde, un dandy, élégant, impertinent et soucieux de son apparence, se fait peindre et souhaite que son portrait vieillisse à sa place. Ce pacte lui apporte un bonheur éphémère et pose au lecteur la question des choix de vie.
Lieux sinistres
Le récit fantastique nécessite avant tout un cadre. Le lieu de l'action est primordial pour créer les conditions favorables à la venue du surnaturel. Les Prisons (1749) de l'Italien PIRANÈSE (1720-1778) sont une série de gravures qui présentent des lieux imaginaires, obscurs, inquiétants propices à des récits surnaturels d'où ne peuvent s'échapper les héros.
Les romanciers anglais se sont distingués dans la représentation de lieux lugubres ; ils en ont fait le théâtre de situations haletantes et mystérieuses, notamment dans leurs romans gothiques. Il s'agit de récits se déroulant dans des châteaux médiévaux emplis de mystères invraisemblables et effrayants. On peut citer l'exemple du Château d'Otrante (1764) d'Horace WALPOLE (1717-1797) ou Les Mystères d'Udolphe (1794) d'Ann RADCLIFFE (1764-1823).
Les Hauts de Hurle-Vent (1847), le célèbre roman d'Emily BRONTË, s'attache lui aussi à décrire une demeure solitaire, désagréable, battue par les vents, dans laquelle les personnages principaux semblent privés de liberté.
Wuthering Heights (Les Hauts de Hurle-vent), tel est le nom de l'habitation de Mr Heathcliff : "wuthering" est un provincialisme qui rend de façon expressive le tumulte de l'atmosphère auquel sa situation expose cette demeure en temps d'ouragan.
Premier chapitre (traduction de Frédéric DELEBECQUE).
Même si ce texte n'est pas à proprement parler un récit fantastique, il en utilise les codes habituels, avec une narration à la première personne, la narration de scènes nocturnes ou la description de cimetières. Il a connu des adaptations cinématographiques ou en bande dessinée en grand nombre.
Faire d'un endroit le vrai héros d'une histoire, c'est ce que réussit Edgar Allan POE (1809-1849). Cet auteur américain d'une grande influence jusqu'en France est connu pour ses courts récits policiers (Double assassinat dans la Rue Morgue...) ou fantastiques (Le Chat noir...), ses poèmes (Le Corbeau...). C'est Charles BAUDELAIRE qui en assure d'abord la traduction, tant il a été marqué par ses histoires. Dans La Chute de la Maison Usher, le narrateur décide de séjourner dans la demeure de son ami d'enfance, Roderick Usher. Celui-ci, malade, réclame la présence bénéfique d'une connaissance. La maladie mortelle de Madeline, la sœur de Roderick n'arrange en rien la situation. La description des lieux joue un rôle essentiel dans l'atmosphère sinistre. La bâtisse est désignée comme la "mélancolique Maison Usher", avec des "fenêtres semblables à des yeux distraits". Un soir de tempête, le narrateur et son ami sortent. La description du temps agité, du paysage et des nuages, ajoute à l'inquiétude générale :
Mais les surfaces inférieures de ces vastes masses cahotées, aussi bien que tous les objets terrestres situés dans notre étroit horizon, réfléchissaient la clarté surnaturelle d'une exhalaison gazeuse qui pesait sur la maison et l'enveloppait dans un linceul presque lumineux et distinctement visible.
Cette maison qui apparaît dès le titre est condamnée à disparaître dans les dernières lignes, emportant avec elles d'invraisemblables mystères.
D'autres lieux constituent un seuil du monde fantastique. C'est le cas dans Une nuit sur le Mont-Chauve du compositeur russe Modeste MOUSSORGSKY (1839-1881). Vers 1860 il avait voulu mettre en musique Les Sorcières, une histoire qui racontait le Sabbat des Sorcières, lors de la nuit de la Saint-Jean. La première édition de la version originale n'est rééditée qu'en 1968, à Moscou. Jusque là c'était celle de 1886, arrangée par N. RIMSKI-KORSAKOV qui était connue et jouée. Ce nouveau poème symphonique raconte donc la danse des sorcières et des esprits infernaux qui vénèrent le Dieu Noir Tchernobog (autre nom du Diable). Le mouvement répété des violons crée une ambiance angoissante. La venue du diable est marquée par les sons graves et tonitruants des tubas et des trombones, accompagnés par la percussion des timbales. A la fin, la cloche d'une église interrompt la danse et le matin arrive, chassant les ombres de la nuit. Certains d'entre vous l'ont peut-être entendu dans le célèbre dessin animé Fantasia (1946) des studios de Walt DISNEY.
Une nuit sur le Mont-Chauve
La suite vous attend déjà dans SURNATUREL 2/4 : Des personnages extraordinaires.
N. THIMON
Commentaires
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