Si le mot romantique appartient à la même famille que le mot roman, il englobe pourtant des supports artistiques très variés. Le terme est revenu en français par l'intermédiaire de l'anglais pour désigner une représentation subjective de la nature. En France, pour simplifier outrageusement, on considère que le romantisme commence en 1815 avec les désillusions liées à la chute de Napoléon et s'arrête en 1848, lorsque la révolution ramène à des considérations plus réalistes. Les auteurs qui appartiennent à ce courant, consciemment ou non, partagent un refus des règles classiques, ils rejettent les sujets traditionnels antiques, mettent en avant des paysages qui se prêtent au rêve et à l'interprétation, présentent de nouveaux héros, blessés ou solitaires, et surtout revendiquent la liberté.

I. Le modèle allemand

La baronne Germaine NECKER, plus connue sous le nom de Mme de STAËL (prononcez [stal], 1766-1817), dont la pensée brillante illumine les milieux intellectuels, initie de manière décisive ce mouvement artistique grâce à son célèbre essai De l'Allemagne (1813). En plus de faire connaître les auteurs allemands, elle élabore de nombreuses théories sur un schéma artistique et culturel qui aurait tout intérêt à s'ouvrir aux auteurs étrangers.

Une partie de son essai s'intitule "de la poésie classique et de la poésie romantique", elle y affirme que :

Le nom de romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme.

Elle opère ensuite une distinction entre, d'une part la poésie du sud, héritière des Grecs et des Latins de l'Antiquité et, d'autre part, celle du nord, tournée vers les récits de chevalerie. Elle ajoute également que dans cette dernière, le sentiment est prédominant. Elle regrette notamment que contrairement aux autres, la France n'ait pas une grande épopée nationale dont même le peuple pourrait s'emparer en en chantant des extraits.

Elle continue ainsi :

La littérature romantique est la seule qui soit susceptible encore d'être perfectionnée, parce qu'ayant ses racines dans notre propre sol, elle est la seule qui puisse croître et se vivifier de nouveau; elle exprime notre religion; elle rappelle notre histoire; son origine est ancienne, mais non antique.

La poésie classique doit passer par les souvenirs du paganisme pour arriver jusqu'à nous : la poésie des Germains est l'ère chrétienne des beaux-arts : elle se sert de nos impressions personnelles pour nous émouvoir : le génie qui l'inspire s'adresse immédiatement à notre cœur, et semble évoquer notre vie elle-même comme un fantôme le plus puissant et le plus terrible de tous.

Les souffrances de GOETHE

C'est ainsi que s'affirme le règne de l'émotion. Mme de STAËL fait également l'éloge de l'un des plus importants écrivains allemands : Johann Wolfgang GOETHE (1749-1832). Cet éminent homme de lettres était issu d'un mouvement politique et artistique le "Sturm und Drang" ("Tempête et passion") qui revendiquait la liberté face aux conventions et et l'épanouissement des sentiments.

Avec Les souffrances du jeune Werther (1774),  GOETHE prête une partie de son propre vécu à son protagoniste :  Werther aime passionnément une jeune fille, Lotte, mais ne peut espérer en retour autre chose que de l'amitié :

Le sentiment d'ardente plénitude que la nature vivante faisait naître en mon cœur, ce sentiment qui m'inondait de tant de volupté, qui transformait le monde autour de moi en paradis, me devient maintenant un intolérable bourreau, un génie de la persécution, qui me pourchasse en tout lieu. Jadis, quand du haut du rocher mon regard embrassait la vallée féconde qui s'étend par-delà le fleuve jusqu'aux lointaines collines et que je voyais tout germer, sourdre autour de moi, […] comme alors je recueillais tout cela dans mon cœur brûlant !
Le 18 août, Les souffrances du jeune Werther (traduction de Joseph-François ANGELLOZ).

Un récit à la première personne, un point d'exclamation pour exprimer la vive émotion, une évocation de la nature qui trouve un écho dans l'esprit du jeune homme... Dans ce roman épistolaire, l'auteur donne toute sa dimension au héros romantique, solitaire et malheureux, il expose à tous ses émotions, il définit on ne peut mieux l'écriture  lyrique dans laquelle le "Moi" se livre entièrement.

Les peintres de la nature

L'élan présenté ci-dessus se retrouve à l'identique chez les peintres. Caspar David FRIEDRICH (1774-1840), chef de file de cette vision, s'est rendu célèbre avec ses toiles représentant des paysages majestueux et grandioses (voir DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS 2/4 :  Le sel de la Terre, a. Par monts et par vaux). Le voyageur contemplant la mer de nuages (1818) montre cet homme solitaire et élégant, perdu dans ses pensées et fasciné par le paysage montagneux.

Mais le peintre allemand est accompagné dans cette vision du monde par d'illustres contemporains comme Karl Friedrich SCHINKEL (1781-1841) et son Église gothique sur une falaise face à la mer (1815). Ce peintre également architecte réunit ici les préoccupations médiévales et la splendeur du paysage dans un sublime coucher de soleil dans le but de créer le plaisir de la contemplation.

La poésie exaltée

Cette exaltation face à la nature se trouve très tôt en poésie, notamment chez NOVALIS. Derrière ce pseudonyme latin signifiant "terrain en friche", se cache le baron Friedrich VON HARDENBERG (1772-1801). Ses Hymnes à la nuit (1800) écrits à la suite de la mort de sa très jeune fiancée Sophie von Kühn, sont considérés comme le modèle de la poésie romantique allemande, car ils contiennent les grands thèmes abordés par ce courant artistique.

Quel vivant, quel être sensible, n’aime avant tous les prodiges de l’espace s’élargissant autour de lui, la joie universelle de la Lumière - avec ses couleurs, ses rayons et ses vagues; sa douce omniprésence dans le jour qui éveille ? Âme la plus intime de la vie, elle est le souffle du monde gigantesque des astres sans repos, et il nage en dansant dans son flot bleu - elle est le souffle de la pierre étincelante, éternellement immobile, de la plante songeuse, suçant la sève et de l’animal sauvage, ardent, aux formes variées - mais, plus que d’eux tous, de l’Étranger superbe au regard pénétrant, à la démarche ailée et aux lèvres tendrement closes, riches de musique. Comme une reine de la nature terrestre, elle appelle chaque force à d’innombrables métamorphoses, noue et dénoue des alliances infinies, enveloppe de sa céleste image chaque créature terrestre. Sa présence seule révèle la prodigieuse splendeur des royaumes de ce monde.

Vers le bas je me tourne, vers la sainte, l’ineffable, la mystérieuse Nuit.

Hymnes à la nuit, 1ère partie (traduction de Serge MEITINGER)

 

En 1840, Dichterliebe (Les amours du poète), des mélodies pour piano et voix composées par  Robert SCHUMANN (1810-1856) viennent compléter le tableau.

Elles transcrivent des poèmes de Heinrich HEINE (1797-1856), Le livre des chants (1822-1823) dans lesquels un chevalier chante pour sa belle :

1

Au splendide mois de mai, alors que tous les bourgeons rompaient l’écorce, l’amour s’épanouit dans mon cœur.

Au splendide mois de mai, alors que tous les oiseaux commençaient à chanter, j’ai confessé à ma toute belle mes vœux et mes tendres désirs.

2

De mes larmes naît une multitude de fleurs brillantes, et mes soupirs deviennent un chœur de rossignols.

Et si tu veux m’aimer, petite, toutes ces fleurs sont à toi, et devant ta fenêtre retentira le chant des rossignols.

Le Livre des Chants, Intermezzo lyrique, (traduction de Gérard de NERVAL).

Le talent de ces nombreux artistes ne pouvait qu'inspirer d'autres auteurs à travers l'Europe. Chacun s'est donc emparé du romantisme pour lui donner la coloration qui correspondait le mieux à son caractère, son environnement, sa culture et son inspiration.

 

Vous découvrirez comment dans une semaine avec AU TEMPS DU ROMANTISME 2/3 : Le souffle du lyrisme.

Le mois prochain, vous lirez EXERCICES DE STYLE

N. THIMON