Dans un bâtiment ou une ville, le dédale cache des lieux, en révèle d'autres et joue sur la surprise. Dans un roman, la digression, par ses détours, retarde la narration principale mais permet aussi d'amplifier le récit. Dans un jardin, le labyrinthe organise l'espace et emmène le passant vers l'inconnu. Dans tous les cas, le labyrinthe résonne comme une injonction de la part de son inventeur ; mais surtout il rend le visiteur acteur.
Une publicité pour la ville...
Volontairement ou non, dans de nombreux films, bandes dessinées, romans, poèmes ou récits de voyages, le parcours dans la ville s'apparente à la traversée d'un labyrinthe.
Cheminer dans un "dédale de rues étroites" est presque devenu une expression toute faite.
La publicité ne s'y est pas trompée, notamment celle qui vante les mérites des véhicules.
Skoda, BMW ou Dacia montrent sur leurs affiches que le conducteur devient le héros du labyrinthe ou encore que conduire est toujours un plaisir, malgré les difficultés de la route.
Les jardins
A l'opposé de la ville, qu'il soit de buis, de maïs ou de thuya, le labyrinthe végétal est devenu une mode qui ne vous a peut-être pas échappé. Vous avez peut-être déjà profité de ces attractions permanentes ou éphémères à Thoiry, Chenonceau ou Guéret. Auparavant, les grands jardins de France, sous l'impulsion des Rois, étaient des endroits symboliques. A la fois lieux de plaisirs et d'intrigues pour ceux de la cour, ils sont un moyen de manifester la puissance et le bon goût du souverain.
Le labyrinthe du Jardin des Plantes ou celui du Château de Versailles en sont des exemples. Le Musée du Petit Palais vous livrera les secrets de ce beau projet versaillais du XVIIe siècle. André LE NÔTRE (1613-1700) a été chargé d'aménager ce bosquet en labyrinthe de 1668 à 1680. Même si le labyrinthe a été détruit en 1775 pour laisser la place au "Jardin de la Reine", son plan existe toujours ainsi que les trente-neuf nombreuses fontaines qui l'accompagnaient. Parmi les sculptures qui ornent le domaine, on trouve celle en plomb de Pierre LE GROS l'Aîné (1629-1714) : Amour fileur, le symbole de la pelote et le motif de l'amour renvoient à Ariane dans le récit mythologique (voir LABYRINTHES 1/4 : L'ombre du Minotaure)
Il faut célébrer la patience et le talent des jardiniers qui plantent, entretiennent et taillent les labyrinthes pour leur donner la forme choisie. Pour une fois, s'égarer n'est pas un mal.
Labyrinthes du land art
D'autres artistes font naître des dédales en pleine nature, sans pour autant avoir recours aux végétaux. Robert MORRIS (1931-2018), un des représentants du land art, met le labyrinthe au cœur de son œuvre, notamment avec le Laberinto de Pontevedra (1999) construit en Espagne. La structure s'inspire des labyrinthes gravés sur des pétroglyphes (pierres gravées) de Galice. C'est dans cette région espagnole, sur une pierre datant de l'âge de Bronze (environ -3000 à -1000) que se trouve l'une des représentations les plus anciennes du labyrinthe en Europe. MORRIS en profite donc pour bâtir sa propre version. Les murs sont assez hauts pour empêcher aux visiteurs de voir l'extérieur et susciter une idée de perdition.
Plus récemment, il a conçu un labyrinthe de verre aux Etats-Unis, qui a ouvert en 2014 au Musée d'art Nelson-Atkins (Kansas). Bien que les parois soient transparentes, les visiteurs sont tout de même désorientés. Rien n'arrête la vue, l'extérieur est certes visible, pour autant, difficile d'atteindre la sortie. Des photos prises par Josh FERDINAND sont disponibles sur le site Urdesign : http://www.urdesignmag.com/design/2014/06/10/robert-morris-glass-labyrinth-kansas-city/
Tout est fait pour exprimer l'angoisse, la perte des repères, le mystère... Le visiteur ne se contente pas d'être un spectateur, il doit agir, chercher, trouver.
Labyrinthes littéraires
Dans le Dictionnaire des mythes littéraires (Editions du Rocher), André PEYRONIE démontre que le romantisme avait relancé l'intérêt pour le labyrinthe. Il cite l'exemple des romans "gothiques", dans lesquels le protagoniste est pris au piège d'un château obscur, avec de fausses portes ou de vrais passages secrets. Il démontre que les souterrains prolongent cette idée que l'on retrouve même chez Victor HUGO dans Les Misérables, lorsque Jean Valjean transporte Marius sur son dos à travers les égouts de Paris.
José Luis BORGES (1899-1986) est un romancier argentin dont une grande partie de l'œuvre célèbre les labyrinthes. Notamment dans le recueil de nouvelles L'Aleph (1965, puis 1967 en France). Dunraven et Unwin sont deux jeunes savants qui s'interrogent sur Aben Hakam un seigneur des bords du Nil. Ils retrouvent le lieu supposé de sa mort, un labyrinthe que l'on disait gardé par un lion et un esclave et contenant un trésor caché. Les deux amis discutent de la forme et du rôle du Minotaure, puis essaient d'élucider la mort mystérieuse.
Après avoir gravi des collines sablonneuses, ils étaient parvenus à proximité du labyrinthe. Celui-ci leur apparut alors comme une paroi rectiligne et presque interminable, construite en briques, sans revêtement, à peine plus haute qu'un homme. Dunraven affirma qu'elle était de forme circulaire, mais que le rayon en était si vaste que le courbure devenait imperceptible. […] Vers minuit, ils découvrirent une porte en ruine qui donnait sur un couloir aveugle et hasardeux. Dunraven dit qu'à l'intérieur de la maison il y avait de multiples carrefours, mais qu'en tournant toujours à gauche ils arriveraient en un peu plus d'une heure au centre du labyrinthe. […] Leurs pas prudents résonnèrent sur le sol de pierre ; le couloir se divisa en d'autres plus étroits. La maison semblait vouloir les noyer ; le toit était très bas. Ils durent avancer l'un derrière l'autre dans la ténèbre inextricable. Unwin marchait le premier. Sous sa main, l'invisible mur continuait inlassablement, compliqué sans cesse de saillies et de coudes. »
« Aben Hakam el Bokhari mort dans son labyrinthe » (traduction Roger Caillois et L.-F-Durand, Gallimard).
Dans La Bibliothèque de Babel (1941), BORGES présente une bibliothèque énigmatique, avec des galeries hexagonales, des couloirs, des escaliers sans nombre. Les étagères supportent des livres offrant toutes le combinaisons imaginables de lettres dans toutes les langues. Avec leurs possibilités presque infinies, les livres deviennent eux aussi des labyrinthes. Mais c'est peut-être cette phrase de Unwin qui résume le mieux la pensée de l'auteur : « Il n'est pas nécessaire de construire un labyrinthe quand l'univers en est déjà un ».
Le roman de science-fiction Hypérion (1991) de Dan SIMMONS(1) propose un autre type d'énigme.
Il existe neuf planètes labyrinthiennes dont fait partie Hypérion. L'origine et le mode de construction des labyrinthes qu'elles abritent reste un mystère. Personne ne sait qui a pu creuser ces millions de tunnels aux parois parfaitement lisses. Pourtant, tout porte à croire qu'ils auront un rôle majeur à jouer dans ce passionnant récit futuriste. Retrouvez les détails dans cet extrait : Hypérion de Dan Simmons : les planètes labyinthiennes.
Une prison ?
La série de gravures intitulée Les Prisons (1749) de l'Italien PIRANÈSE (1720-1778) peut être envisagée comme une représentation labyrinthique. Ces illustrations ont déjà trouvé leur place dans l'article SURNATUREL 1/4 : Le fantastique, un rêve éveillé ? car il s'agissait de lieux mystérieux, obscurs et inquiétants. On peut remarquer leur aspect tortueux qui correspond bien au tracé des labyrinthes.
C'est pourquoi il est facile d'ajouter encore le travail de Maurits Cornelis ESCHER (1898-1972) et sa lithographie Relativité (1953), déjà citée dans LABYRINTHES 2/4 : Un jeu d'enfants? Ce dessin rempli d'illusions montre combien le labyrinthe est clairement un jeu de l'esprit qui défie la logique. Si vous aimez le travail de cet artiste, visitez le site officiel qui lui est consacré : http://www.mcescher.com.
Le film de science-fiction canadien Cube (1997, interdit aux moins de 12 ans) de Vincenzo NATALI a eu la particularité d'illustrer ce registre. Des personnes se retrouvent prisonnières dans une structure mobile constituée de cubes et truffée de pièges mortels et violents. Ils devront faire appel à leur intellect pour comprendre les raisons de leur incarcération mais surtout pour s'évader en trouvant des combinaisons ou en résolvant des énigmes. Contrairement aux autre labyrinthes qui se contentaient d'être horizontaux, ce cube explore le dédale en trois dimensions. Avec le choix des cadrages et des musiques, le film insiste sur la peur maladive de l'enfermement : la claustrophobie.
L'écriture labyrinthique
Comme toujours, la précieuse mine que représente la Bibliothèque Nationale de France, met à disposition des ressources très riches sur la calligraphie, l'art de bien former les lettres. C'est l'occasion de découvrir l'écriture labyrinthique qui joue avec les formes des lettres, leur organisation. Travail d'embellissement, elle appelle à voir l'écriture comme une œuvre à part entière, riche en symboles et en formes variées :
Cet art de bien écrire existe déjà depuis bien longtemps dans la culture musulmane. De magnifiques et complexes calligrammes disent le nom de Dieu ou reproduisent des parties du Coran. Courbes, dessins et entrelacs forment ce qu'on appelle à juste titre des arabesques.
De nos jours encore, des artistes en tous genres entretiennent l'écriture labyrinthique, c'est le cas du street artist Tetar Max (né en 1977) qui semble fusionner les influences vues précédemment.
La version en ligne du journal L'Humanité reproduit l'une de ses œuvres, exposée à Paris en 2015 :
C'est également une forme d'écriture que livrent les compositeurs de musique. Un exemple avec le génial musicien allemand Jean-Sébastien BACH (1685-1750) et son Petit labyrinthe harmonique bwv 591. Il s'agit d'une œuvre pour orgue, dont l'organisation est censée représenter un labyrinthe et son visiteur. C'est une fugue, une forme complexe et technique dans laquelle des parties mélodiques se répètent avec des modifications. On y distingue trois parties, introïtus, centrum, exit, (autrement dit l'introduction, le développement et la conclusion) plus ou moins chargées en notes et qui montrent le chemin et les détours d'un dédale imaginaire.
J. S. Bach - Petit labyrinthe harmonique - BWV 591 - T. Koopmann
Ainsi, le labyrinthe s'avère un support, voire un tremplin pour l'expression des artistes. Grâce à lui, ils bâtissent des univers, se créent un style. La contrainte formelle devient une façon de révéler leur talent mais également de nous attirer dans une errance plaisante.
Dans une semaine, vous mettrez votre cerveau à l'épreuve dans LABYRINTHES 4/4 : Les détours de l'esprit.
N. THIMON
NOTES :
1 : Voir SCIENCE ET FICTION 2/5b.