I. Les esclaves d'hier
a. Des représentations de l'époque
Si l'esclavage est une pratique attestée dès l'Antiquité, c'est celui qui a touché l'Afrique noire qui sera ici l'objet développé. La traite des Noirs a consisté à déporter des Africains pour les réduire en esclavage. A partir du XVe siècle, certains pays d'Europe ont besoin de main-d’œuvre dans leurs colonies en Amérique, c'est le début du "commerce triangulaire" (un triangle géographique qui implique les trois continents). La France, par exemple, s'établit entre autres dans les Antilles (Martinique, Guadeloupe...). Sous le règne de Louis XIV on verra même la mise en place du Code Noir, un ensemble de 60 articles qui précisent le statut juridique de l'esclave. En résumé, l'esclave n'a aucun droit, il appartient à un maître.
D'autre part, celui qui fuit, surnommé alors "nègre marron", s'expose à de graves châtiments s'il venait à être rattrapé. Le "marronnage" est souvent puni par l'amputation d'un ou plusieurs membres.
Un texte exceptionnel nous donne aussi des informations étonnantes : L'Histoire générale des plus fameux pirates (1726) du capitaine JOHNSON (pour savoir qui se cache derrière ce pseudonyme, lisez LE POINT SUR LES ÎLES 3/4 : L'île aux pirates). Dans la biographie consacrée au capitaine TEW, l'auteur nous apprend qu'à Madagascar, le pirate français MISSON a fondé une république utopique qui libère les Africains enchaînés (voir aussi LES UTOPIES, DES MONDES MEILLEURS ? 1/3 : L'île idéale) :
"D'esclaves, ils étaient devenus des hommes libres, unis aux pirates pour le meilleur et pour le pire. Les nouveaux prisonniers allaient bientôt pouvoir profiter de cette chance car ces Blancs-là haïssaient jusqu'au mot d'esclavage".
Si l'existence de cette république n'est pas attestée, elle n'en demeure pas moins surprenante à une époque où la traite des Noirs est une pratique courante.On pourra aussi lire avec intérêt l'autobiographie de Olaudah EQUIANO (1745-1797), un esclave affranchi, devenu un sujet britannique aisé et qui a œuvré pour l'abolition de l'esclavage. Le cas est si rare qu'il mérite d'être signalé.
Aboli une première fois en 1794, dans les colonies françaises, suite à la révolte menée par Toussaint LOUVERTURE (1) sur l'île de Saint-Domingue (qui deviendra Haïti), l'esclavage est rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte. Il est aboli une seconde fois en 1848. Pour retracer et rappeler cette longue route pleine de malheurs, divers artistes, dans différents domaines, à travers les âges ont apporté leur témoignage, leur regard et leur talent.
Le tableau Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848 (1849) par Auguste François BIARD (1798-1882), exposé au Musée du Château de Versailles est l'une des toiles les plus connues sur le sujet. On y voit des esclaves heureux d'être enfin libres qui brandissent des chaînes devenues inutiles. Un jeu de contrastes met en évidence la couleur de leur peau. Le drapeau bleu blanc rouge, à gauche, rappelle le rôle déterminant joué par la République française.
Le site de L'Histoire par l'image propose une analyse détaillée de ce tableau et notamment une vidéo qui met en valeur les détails, jeux de lumières, rôles des personnages. Retrouvez-les en cliquant sur le lien suivant : http://www.histoire-image.org/site/oeuvre/analyse.php?i=3 (2)
Le romancier français Edouard CORBIERE (1793-1875) dans son roman Le Négrier (1832) rapporte précisément les paroles d'un capitaine peu scrupuleux qui pratique ce commerce.
Le Négrier, aventures de mer, par Édouard Corbière. 2e édition
Source: gallica.bnf.fr
Mais plus tôt, en 1820, Victor HUGO (1802-1885), alors tout jeune auteur, publie une nouvelle sur un héros fictif de la révolution haïtienne : Bug-Jargal. Preuve de l'intérêt qu'il porte au sujet, il en publiera une version plus élaborée en 1826. Le capitaine Delmar raconte ses souvenirs. Il a vu un Noir, Pierrot, prendre la défense d'un camarade et être emprisonné pour cela. Intrigué, il cherche à nouer connaissance. L'esclave, surpris lui déclare : "pour les blancs, quelque bons qu'ils soient, un noir est si peu de chose ! Je ne suis pourtant pas d'un rang inférieur au tien." Une amitié sincère finit par naître entre les deux hommes "Frère, je me fie à toi" peut-on lire plus loin de la part de Pierrot. Lorsque ce dernier s'évade et que la plantation est incendiée, sa culpabilité ne fait pas de doute pour Delmar et son sergent Thadée. Les esclaves de l'île se révoltent pour retrouver leur liberté, sous le commandement d'un mystérieux chef charismatique : Bug-Jargal. C'est l'occasion pour le narrateur d'alterner les moments d'émotion, d'héroïsme, de sacrifice. Le style de HUGO fait se rencontrer l'ombre et la lumière, le bien et le mal pour sensibiliser le lecteur à la cause des esclaves.
Un extrait de Bug-Jargal de Victor HUGO
A la même époque, le court récit Tamango (1829) de Prosper MÉRIMÉE (1803-1870) retrace le périple d'hommes et de femmes arrachés à leur terre natale pour devenirs esclaves. Cette nouvelle a été adaptée au cinéma par John BERRY dans Tamango 1957. Le capitaine Ledoux commande le navire L'Espérance, au profit de négriers, que l'on surnomme les "trafiquants de bois d'ébène". Le nom du capitaine, comme le nom de son navire, résonnent de façon ironique, puisqu'ils sont contraires aux sentiments éprouvés : il n'y a ni douceur, ni espérance. Pour organiser au mieux la traversée et le transport de sa marchandise, Ledoux "voulut que les entreponts, étroits et rentrés, n'eussent que trois pieds quatre pouces [environ 1,10 m] de haut, prétendant que cette dimension permettrait aux esclaves de taille raisonnable d'être commodément assis". Arrivé au port de Joale, au Sénégal, il va trouver le fameux guerrier Tamango qui a des esclaves à lui vendre. Après de longues négociations arrosées d'alcool, les deux hommes trouvent un accord. Mais une fois dégrisé, Tamango se rend compte qu'il a livré sa propre femme, Ayché. Les négriers profitent de son désarroi pour le capturer et l'emmener avec les autres vers la Martinique. La nature combative de Tamango l'amène à conduire sur le navire une révolte dont vous découvrirez les suites en lisant le texte.
Un extrait de Tamango de Prosper MÉRIMÉE
Dans ces deux derniers récits, on observe le stéréotype du Noir de roman : le héros est un personnage d'une certaine noblesse, il a des qualités de musicien, c'est un colosse craint par son entourage, ses colères sont redoutables. Tout en voulant défendre une cause, les auteurs reprennent les clichés auxquels le public de l'époque est habitué.
La suite dans LA ROUTE DE L'ESCLAVE 1/3 : Les esclaves d'hier, b. des représentations contemporaines.
Le mois prochain vous lirez DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS, quand l'art imite la Nature avant de la défier...
NOTES :
1 : Toussaint LOUVERTURE : François Dominique TOUSSAINT (1743-1803) est un ancien esclave devenu homme politique. Après avoir réussi à chasser les Britanniques de Saint-Domingue, il proclame l'autonomie de l'île dans le cadre de la République française. On le surnomme "L'Ouverture" car il "ouvre" des brèches dans les lignes ennemies. Il est arrêté par le régime de Napoléon Bonaparte et meurt en captivité.
2 : Plus de détails (dossiers, analyses, images) sur la traite des Noirs en suivant ce lien : http://www.histoire-image.org/site/dossiers/histoire-esclavage.php#traite.
N. THIMON
Commentaires
Au fur et à mesure que se développe le commerce triangulaire se multiplient aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans les sociétés bourgeoises ou nobles européennes, les représentations artistiques des nègres (qui est le terme employé à l'époque pour désigner les personnes noires) :
- mascarons des hôtels particuliers de familles nantaises ou bordelaises enrichies par la traite (ex : https://schoolsontheslaveroute.file...)
Pierre Méra- objets divers par goût de l'exotisme, stimulé par la diffusion de plus en plus courante du sucre, du café et du chocolat (ex : http://2.bp.blogspot.com/-Ja4OdC7lE... ou bien http://www.authenticite.fr/images/m...)
- mais aussi peintures qui témoignent de la présence en France même, comme signe extérieur de richesse, de domestiques noirs. Ce sont souvent des enfants, les négrillons de cour, pas toujours bien traités d'ailleurs (ex : http://www.claudinecolin.com/getfil...)
@Pierre Méra :Merci beaucoup pour ces compléments qui rendent bien compte des réalités de l'époque.
N.T.