Plusieurs bandes dessinées pour adultes apportent un autre regard sur la traite.Avec Les Passagers du Vent , François BOURGEON (1945-) aborde aussi la question de la traite négrière, en particulier du 3e au 5e tome. Ce dernier, intitulé Le bois d'ébène (1984) fait directement référence au nom de code de la marchandise humaine. La précision du dessin rend authentique la restitution du XVIIIe siècle, couleurs, choix des costumes, détails du navire... Dans Atar Gull, le destin d'un esclave modèle, (2011), de Fabien NURY (1976-) et BRÜNO (1975-), adaptation d'un roman d'Eugène SUE paru en 1831, le récit se concentre sur le personnage principal, Atar Gull, enlevé, asservi, qui passe sa vie à préparer sa vengeance. Le dessin à l'esthétique plus libre et la colorisation franche donnent à l'ensemble une touche plus sauvage. On s'écarte des représentations habituelles du bon sauvage ou du nègre stupide.
En 1998, à la Martinique, pour célébrer le 150e anniversaire de l'abolition, a été inauguré le mémorial Cap 110, conçu par Laurent VALERE (né en 1959). Il s'agit d'un groupe d'hommes sculptés, disposés en triangle, le front baissé. Le monument rend hommage à des esclaves anonymes qui ont péri à cet endroit au XIXe siècle, mais aussi à toutes les victimes du commerce triangulaire.
« Slavery Memorial in Martinique » par André Mouraux — originally posted to Flickr as Martinique. Sous licence CC BY 2.0 via Wikimedia Commons.Le cinéma a beaucoup traité ce sujet. Par exemple, en 1997, Steven SPIELBERG réalise Amistad. L'Amistad ("amitié" en espagnol, encore un nom de navire ironique, voir article précédent) est un négrier à bord duquel des esclaves se rebellent avant d'être finalement débarqués en Amérique. Le film insiste sur les conditions de détention et sur le combat entre abolitionnistes et esclavagistes.
Autre exemple, en 2014, le long-métrage américain 12 years a slave de Steve Mc QUEEN (1969-) a remporté un franc succès (Oscar du meilleur film, entre autres). S'appuyant sur une histoire vraie, le film raconte comment Solomon Northup, un Afro-américain, libre, bien installé et respecté est enlevé, puis vendu comme esclave. Le héros est séparé de sa famille et connaît le sort des esclaves dans les plantations américaines. Son parcours le fait rencontrer des esclaves résignés ou combatifs, des maîtres cruels et tout-puissants ou des personnes compatissantes mais incapables de l'aider. Des scènes violentes ou des plans longs, dans le but de montrer sans détour la réalité de l'esclavage viennent souligner la souffrance des personnages et peuvent heurter la sensibilité des plus jeunes spectateurs.
Mais il convient d'insister sur l’œuvre majeure d'Alex HALEY (1921-1992), un Afro-américain qui, après une enquête de plusieurs années, est parvenu à retrouver la trace de ses ancêtres. Le roman Racines est sorti de terre en 1976. Recréant son arbre généalogique, il s'est attaché à raconter l'histoire de sa famille en commençant au XVIIIe siècle, en Gambie avec Kounta Kinté : son enlèvement, sa vie d'esclave, le travail dans les champs, les tentatives de fuite, les mutilations... En adoptant le point de vue interne, le romancier permet au lecteur de s'identifier au personnage et de mesurer l'horreur de sa situation.
1er extrait de Racines de Alex HALEY : le réveil dans la cale du navire.
2e extrait de Racines de Alex HALEY : l'arrivée chez le "maître".
3e extrait de Racines de Alex HALEY : la loi des Blancs
L'esclavage sera officiellement aboli aux États-Unis à la fin de la Guerre de Sécession (1861-1865) qui opposait le Nord abolitionniste (l'"Union", dirigée par le Président Abraham LINCOLN (1809-1865)) au Sud esclavagiste (la "Confédération", menée par Jefferson DAVIS). En racontant l'histoire de sa famille, Alex HALEY raconte aussi l'histoire des États-Unis. Sous une forme romancée, le récit constitue donc un document à valeur historique et a sans doute contribué à rendre leur identité à de nombreux Noirs américains. Le succès de l'ouvrage a conduit au tournage d'une série télévisée, Racines (1977), qui a remporté plusieurs prix dans son pays.
Malgré l'éloignement dans le temps, la façon de présenter les esclaves se montre plus authentique. L'évolution de la société nous rend sans doute plus sensibles au sort inhumain réservé aux esclaves. Afin de ne pas oublier et de ne pas recommencer avec quelque peuple que ce soit, les œuvres artistiques servent au devoir de mémoire.
A ce titre, la Guadeloupe inaugure en mai 2015 le Mémorial ACTe, Centre caribéen d"expressions et de mémoire de la traite et de l'esclavage. La devise en est : "la mémoire inspire l'avenir".
La suite dans une semaine avec LA ROUTE DE L'ESCLAVE 2/3 : Autour de la négritude.
Le mois prochain vous lirez DÉPEINDRE LES QUATRE ÉLÉMENTS, quand l'art imite la Nature avant de la défier...
N. THIMON