I. Mascarade

Aujourd'hui, il apparaît assez clairement que le masque sert à montrer plus qu'à cacher. Si l'on prend l'exemple du duo musical Daft Punk, le masque a pour but d'attirer l'attention. De leur propre aveu, personne ne prêtait attention à ces deux musiciens avant qu'ils ne cachent leur visage.

Par ailleurs, il y peut-être parmi vous des personnes qui ont participé au Comic Con, la convention de la culture populaire ou à la Japan Expo (vos photos sont les bienvenues). On y valorise les bandes dessinées, les jeux vidéos, les jouets ou encore les séries... Parmi les animations possibles, il y a les fameux cosplays ("costume" et "play"), qui consistent à s'habiller comme des personnages des fictions.







  • Une tradition ancestrale

Si l'on remonte dans l'Histoire, on observe que le masque joue un rôle (autant que celui ou celle qui le porte) et que c'est loin d'être un objet innocent et anodin. Dans diverses cultures et à diverses époques, les peuples emploient des maques lors de rituels, de fêtes religieuses ou autres. Contrairement au bourreau qui cache son visage pour des questions de sécurité, d'autres vont porter un masque pour manifester leur importance. Le musée du quai Branly est très riche en masques de tous les continents. Certains d'entre eux ne sont pas faits pour être portés mais représentent un ancêtre qui a pour but de protéger la maison. Visitez cette indispensable page du site officiel pour vous en rendre compte : http://www.quaibranly.fr/fr/collections/promenades-a-la-carte/masques.html.

  • Sur scène...

Le théâtre est né dans l'Antiquité grecque et constituait une fête religieuse en l'honneur de Dionysos. Les acteurs qu'on appelait protagonistes, portaient des maques permettant d'identifier clairement le personnage qu'ils incarnaient. Étymologiquement, l'hypocrisie, d'après le grec, désigne le jeu de l'acteur, quelqu'un qui fait des mimiques, qui ne montre pas son vrai visage, qui est sous un masque.

Gargoyles on a mosaic in the Museum Capitolini.png
"Gargoyles on a mosaic in the Museum Capitolini". Licensed under Public Domain via Wikimedia Commons.

Le théâtre japonais offre une variété, le nô, qui a un caractère religieux ou traditionnel, les acteurs portent un masque qui révèle leur caractère. Le même phénomène s'observe avec le théâtre italien, en particulier  commedia dell'arte. Les personnages typiques sont facilement identifiables, Arlequin le valet rapiécé, Pierrot le doux naïf ou encore le vieil avare...Ils seront repris et transformés dans le théâtre français chez MOLIÈRE ou MARIVAUX.

Paul VERLAINE (1844-1896) dans son poème "Clair de Lune" issu des Fêtes galantes (1869) donne sa version de l'association du masque et de la fête :

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Ce qui permettra ensuite à  Gabriel FAURÉ (1845-1924) d'en tirer plusieurs compositions musicales dont  : Masques et Bergamasques opus 112 une suite pour orchestre qui rend hommage à la commedia dell'arte. La bergamasque est une danse provenant de la ville italienne de Bergame.


  • Mensonge et vérité

Dans Intentions (1891, traduction de Dominique JEAN) au chapitre intitulé "Le Critique comme artiste", Oscar WILDE représente deux hommes discutant du rôle de l'art et de son lien à la critique. Ils évoquent notamment le talent de SHAKESPEARE qui ne parle jamais mieux de lui qu'en montrant des fictions. L'un des deux interlocuteurs, Gilbert, dit alors : "C'est lorsqu'il parle en son nom que l'homme est le moins lui-même. Donnez lui un masque et il vous dira la vérité"

Puis, dans  "La vérité des Masques", WILDE explique que le costume au théâtre souligne la situation dramatique et sert l'histoire autant que la compréhension du personnage : "il a compris que le costume pouvait en même temps produire, grâce à certains effets, une impression sur le public, et servir d'expression à certains types de personnages, qu'il est l'un des moyens essentiels dont dispose le véritable illusionniste".

  • Le carnaval

Le carnaval est l'un des meilleurs exemples de la fête déguisée. En latin médiéval, "carnelevare" signifie ôter la viande, en référence aux pratiques chrétiennes consistant à ne pas manger de viande durant le carême une période de jeûne de quarante jours commençant en février et se terminant par Pâques. Pour précéder cette abstinence, le mardi-gras autorise les repas et la fête(1). Le carnaval est donc la période joyeuse pendant laquelle les règles habituelles  sont renversées. Les costumes sont autorisés afin que l'on s'amuse à imiter le contraire de ce qu'on est habituellement. C'est à Venise que l'on trouve l'un des plus connus et appréciés. Encore aujourd'hui, cette fête qui n'a plus son aspect religieux attire de nombreux touristes et fait le bonheur des costumiers (sur la fabrication de costumes, voir  l'interview des Costumiers...). Le costume et le masque surtout deviennent un moyen d'échapper à son quotidien, de vivre une autre vie, de jouer un rôle pendant un moment privilégié. A défaut de pouvoir recréer un carnaval aussi impressionnant que celui de Venise ou celui de Rio, certains profiteront d'un bal masqué. On peut penser à celui dans Roméo et Juliette [Acte I, scène 4] qui permet aux deux jeunes gens de se rencontrer malgré l'hostilité de leurs familles voir LES AMANTS ÉTERNELS 3/3 : Âmes sœurs et pères ennemis).

  • Mascarade ?
S'il est vrai que le mot mascarade peut avoir une connotation péjorative et désigner un jeu de dupes, une association de faux semblants, un festival de mensonges, un costume ridicule, il peut aussi renvoyer à quelque chose de plus profond et de plus fascinant. C'est ce que montre l'album Mascarade (2014) de Florence MAGNIN.  Le récit s'ouvre sur l'évocation d'une ancienne fête où les participants se tenaient masqués. Gaëlle, la jeune héroïne, en vacances à la campagne, se prend de passion pour les masques. En en découvrant un, puis en en fabriquant elle-même, elle s'imagine des mondes extraordinaires. Rêve-t-elle ou vit-elle la réalité ? C'est ce qu'elle a du mal à déterminer. Elle tient à la fois d'Alice au Pays des merveilles, des légendes ancestrales et des contes folkloriques. Prise entre une sombre réalité et des rêves lumineux (ou est-ce l'inverse ?), Gaëlle participe malgré elle à un jeu de faux semblants, d'apparences trompeuses et de révélations inattendues.
On nous dit que les masques reflètent l'âme, mais cette mascarade ou ce défilé de masques offre autant de possibilités mystérieuses à la libre interprétation du personnage et du lecteur. "Les adultes mentent tout le temps... Ils n'ont pas besoin de masque pour ça", nous dit Gaëlle montrant ainsi qu'elle ne veut pas grandir. Le graphisme de Florence MAGNIN est clair et accessible. Les nuances de couleurs embellissent l'ensemble. Le contraste avec certaines planches en noir et blanc n'en est que plus intéressant. D'autre part, la représentation du château en ruines, rappelle aussi bien les aquarelles de Victor HUGO que les peintures romantiques du XIXe siècle. Pour compléter, vous pouvez lire l'entretien que m'a accordé Florence MAGNIN en lisant Mascarade, les masques ont la parole.

La fonction du masque est donc multiple. A plusieurs niveaux de la société, il sert à exprimer la nature de celui qui le porte. En définitive à quoi bon faire tomber le masque si on ne révèle pas ce que l'on voudrait être ?

Pour ceux qui se sentent une âme de héros, ne manquez pas la suite dans une semaine avec BAS LES MASQUES 2/3 : Justiciers masqués.


Le mois prochain, vous lirez, HÉROS DE JADIS.


N. THIMON

NOTES :

1: Dans la bande dessinée Monsieur Mardi-Gras Descendres (1998) de Eric LIBERGE, le héros Victor Tourterelle se retrouve au royaume des morts. On doit le renommer Mardi-Gras Descendres parce qu'il est décédé dans la nuit du Mardi-Gras au Mercredi des Cendres. Sa réponse est la suivante : "Il n'est pas question que l'on me change mon nom usuel pour un pseudonyme de carnaval !!"