Lettres d'Arts, littérature et histoire des arts

• Des héros lettrés

Parmi les héros masqués, on peut citer l'un des plus anciens : Zorro. Il apparaît sous la plume de Johnston McCULLEY (1883-1958) dans le roman feuilleton Le Fléau de Capistrano (1919). Le jeune Don Diego de la Vega, un noble californien décide de lutter contre l'injustice des autorités espagnoles. Pour cela, il s'habille en noir, cape, large chapeau et masque sur les yeux  et il affronte courageusement ses ennemis. Il fait preuve de ruse et d'habileté d'où son nom de "Zorro" qui signifie "renard" en espagnol. Il cache ainsi son identité et fait en sorte être  l'inverse dans sa vie de tous les jours. La série télévisée en noir et blanc des studios Disney a largement popularisé le personnage en le faisant combattre l'énorme et ridicule sergent Garcia et en le montrant signer son nom "à la pointe de l'épée d'un Z qui veut dire Zorro".

V pour Vendetta...

La série en bande dessinée V pour Vendetta (1982-1990) de Alan MOORE et Frank LLOYD (pour les plus âgés) dépeint un monde dystopique  inspiré de 1984 de George ORWELL (voir SCIENCE et FICTION 3/4 a, un futur imparfait). On y voit un justicier masqué vêtu comme le révolutionnaire anglais du XVIIe siècle Guy Fawkes qui lutte sans relâche contre la rigidité du système. Le récit s'appuie sur les théories de SHAKESPEARE selon qui "le monde est un théâtre" et dénonce le fascisme ambiant. Le masque du héros laisse planer le doute sur son identité et son aspect, cela permet aussi de multiplier les enjeux, de permuter les personnages et de créer plus de rebondissements.

D'autre part, le masque a été réutilisé par le mouvement libertaire Anonymous qui dit œuvrer pour la liberté d'expression et mener des actions de piratage informatique pour défendre la bonne cause. Ce mouvement ne fait pas l'unanimité mais il met en évidence la nécessité d'avancer sous couverture pour accomplir certaines tâches.

• Batman

Zorro est une possible source d'inspiration pour Batman. L'homme chauve-souris apparaît dans le numéro 27 du magazine Action Comics en 1939. D'abord nommé le Bat-Man, il devient rapidement Batman. Son succès s'étend à très grande vitesse et il prend de plus en plus de place chez l'éditeur DC Comics qui a vu naître juste avant Superman. Dans le premier épisode, Bruce Wayne est un jeune homme riche, blasé, fumant la pipe et se moquant des crimes devant son ami le commissaire Gordon. Ce n'est qu'à la fin que l'on découvre que lui et le justicier masqué ne font qu'un. Deux revers d'une même pièce, l'un semble le négatif de l'autre. Le numéro 33 est consacré aux origines du super-héros. Quinze ans plus tôt ses parents avaient été assassinés par un certain Joe Chill [dans Batman (1989) de Tim BURTON, c'est Jack Napier, le Joker, interprété par un inoubliable Jack NICHOLSON]. Il décide de se venger, mène de études scientifiques et perfectionne son corps. Après avoir vu passer une chauve-souris et sachant que les criminels sont peureux et superstitieux, il se fait un costume qui "inspirera la peur dans leur cœur". Le masque est là pour effrayer. A partir de ce moment, les héros costumés vont se multiplier. Parfois la coupe, la couleur ou les noms peuvent sembler ridicules, mais là où les chevaliers revêtaient leur armure pour se faire reconnaître et défendre la justice, les super-héros, eux, enfilent leur costume (voir SOUS LE HEAUME DES CHEVALIERS 4/4 : Chevaliers des temps modernes) et c'est leur masque qui indique leur camp.

• Masqué

De nos jours en France, plusieurs auteurs tentent d'adapter le modèle américain. En voici un exemple avec  la bande dessinée Masqué (2012-2013) de Serge LEHMAN et Stéphane CRÉTY. Dans une France futuriste, un mystérieux inconnu qui se fait appeler le fantôme, laisse planer une menace sur la ville. Un hologramme géant représentant Fantômas, tel qu'il était dessiné à l'origine : chapeau haut de forme, petit masque noir et cape (voir BAS LES MASQUES 3/3 : Le masque de l'effroi). Sur une vignette de la planche 16 du premier tome, on peut voir des manifestants prêts à s'affronter. L'un porte un "loup", masque noir qui ne protège que les yeux ; en face de lui on reconnaît celui de V pour Vendetta. Serge LEHMAN en profite également pour citer le poème suivant qui en dit long sur le rôle du masque :

"Le Masque" (extrait) de Charles BAUDELAIRE dans Les Fleurs du Mal (1861) :

La femme au corps divin promettant le bonheur

Par le haut se termine en monstre bicéphale [à deux têtes] !

- Mais non ! ce n'est qu'un masque, un décor suborneur [trompeur],

Ce visage éclairé d'une exquise grimace,

Et regarde, voici, crispée atrocement,

La véritable tête, et la sincère face

Renversée  à l'abri de la face qui ment

• Les rois du catch

Mais il arrive que les héros masqués prennent une forme inattendue. Avec Los Tigres del Ring (2009) de Jimmy PANTERA, édité par Ankama, l'auteur évoque plus particulièrement sa passion pour la Lucha Libre, le catch mexicain importé des Etats-Unis et d'Europe dans les années 30. Les lutteurs masqués ont toujours fasciné l'auteur et il parle bien de cette pratique comme d'un "sport spectacle".  Il montre également que le masque appartient depuis des siècles à la culture d'Amérique sur Sud, des Aztèques notamment. Il nous explique le code des luchadores : certains représentent le Bien, ce sont les Técnicos ; ils sont respectueux, se tournent du côté des faibles. D'autres, au contraire, représentent le Mal, ce sont les Rudos, ils ne respectent pas les règles. En portant un masque, les uns comme les autres dépassent leur simple statut d'homme normal. Par conséquent, on n'enlève jamais son masque, s'il est arraché au cours d'un combat par l'adversaire, c'est le déshonneur absolu ! Certains d'entre eux font même carrière dans le cinéma. L'un des plus connus parmi eux Blue Demon (1922-2000), il n'a jamais perdu son masque.

Ces combattants spectaculaires trouveront aussi des incarnations mémorables dans la bande dessinée avec tout d'abord Mutafukaz de RUN (pour public averti) où ils défendent l'humanité contre des forces extra-terrestres. Le dessinateur et scénariste met tout son talent à rendre les personnages drôles et attachants, tout en les rendant impressionnants par son graphisme dynamique. Jerry  FRISSEN s'en empare aussi dans la série Lucha Libre qui donne le pinceau à de nombreux dessinateurs. Cette passion est aussi visible dans Les Aventures de El Spectro, "le fantôme écarlate", d'Antoine FREDERIC et Yves RODIER.

En plus d'être aveugle, la justice semble parfois vouloir tromper le regard.