Publilius Syrus, Sentences, édition bilingue, préface de G. Flamerie de Lachapelle, Les Belles Lettres, 2011. Lu par Karim Oukaci
Par Florence Benamou le 30 mai 2014, 06:00 - Histoire de la philosophie - Lien permanent
Publilius Syrus, Sentences, édition bilingue, préface de G. Flamerie de Lachapelle, Les Belles Lettres, 2011. Lu par Karim Oukaci
Esclave d'un maître au jugement sûr, le jeune Publilius fut affranchi pour son esprit et sa beauté. Il devint mime, conquit la scène romaine et joua devant Jules César. Son œuvre passionna Sénèque, et fit l'objet d'une compilation gnomique qui fut lue par tous les lettrés, de saint Jérôme à Érasme.
C'est ce recueil de 730 formules, que Guillaume Flamerie de Lachapelle, de Bordeaux-III, propose en édition bilingue. La traduction, vis-à-vis du texte latin, est éclairée par des notes infra-paginales, et encadrée par une introduction (p. XI-XXX), des indications éditoriales (p. XXXI-XXXIII), une bibliographie choisie (p. XXXV-XLIII) et un index thématique (p. 151-154).
L'introduction en reste à des propos d'ordre général, en grande partie redevables aux travaux maintenant anciens de F. Giancotti (1963/1967) : rappel d'éléments biographiques (notamment sa rivalité avec le mimographe Labérius), considérations sur la nature du mime romain, ce théâtre joué sans masque ni cothurnes, avec des femmes dans les rôles féminins, un aperçu sur l'histoire du recueil, accompagné d'hypothèses non tranchées sur le compilateur (Sénèque ? Lucilius ?), et des observations sur le titre de Sentences (avec, en référence, la Rhétorique à Hérennius, IV, 24 : «Sententia est oratio sumpta de vita, quae aut quid sit aut quid esse oporteat in vita, breviter ostendit»). Enfin, l'immense fortune littéraire de Publilius est évoquée par une suite de renvois à des rhéteurs et des poètes d'époques variées, augustéenne, tibérienne, néronienne, antonine, théodosienne et moderne jusqu'à Shakespeare.
On notera que G. de Lachapelle se refuse à interroger la morale de Publilius. Il s'en justifie en alléguant que les pièces étant perdues, on ne peut rien savoir du contexte dramatique des formules ; et que, de toute façon, «leur contenu moral est assez vague pour convenir à des enseignements de tout type (stoïcien, païen, chrétien...)», p. XXVII. Moins compréhensible, cependant, est l'absence de réflexion sur l'orientation de la compilation elle-même. Le lecteur des Sentences se rendra compte, en effet, et sans que le traducteur ne l'aide à détromper ou à préciser cette impression, que les thèmes retenus, semblables à ceux des Monostiques de Ménandre, paraissent relever, du moins pour une part, de la position qu'on a l'habitude d'attribuer à ceux-ci (Barigazzi 1965), et d'un traitement moral assez proche du cynisme illustré par Bion de Borysthène et qu'appréciaient certains cercles du stoïcisme impérial.
Citons un petit nombre d'exemples : B5 «Accepter un bienfait, c'est vendre sa liberté», P22 «Quiconque est utile à la patrie est l'esclave du peuple», M7 «Bien triste condition que d'être privé d'ennemi», L10 «Tous, malgré des visages graves, sont soumis au désir», H16 «Pour ne pas vivre sans souffrances, l'homme a inventé la Fortune», B35 «En accordant un bienfait à qui le mérite, tu obliges le monde entier».
Au titre des limites, on dira aussi que la traduction n'a apparemment d'autre ambition que de présenter cette œuvre classique dans une langue directement accessible au lecteur moderne - ce qui conduit à sacrifier souvent l'élégance à la clarté. Les courtes annotations qui accompagnent chaque sentence ne proposent que des rapprochements ou des renvois dont l'utilité n'est pas manifeste dans la plupart des cas. Le livre n'offre, pour finir, qu'un seul index, thématique et limité aux sentences.
Mais, quelque réserve qu'on exprime, il faut bien accorder que le mérite de l'édition est grand, pour la simple raison qu'aucune pratique n'est plus inactuelle que la lecture d'un recueil gnomique. Quand de surcroît il s'agit d'un auteur dont l'œuvre, qui a disparu, illustre une forme théâtrale dont rien ne reste ou peu, on se sent obligé de déclarer son admiration.