Eric Delassus, Spinoza, « Connaître en citations », Ellipses, 2016, lu par Antony Dekhil

Eric Delassus, Spinoza, « Connaître en citations », Ellipses, 2016, lu par Antony Dekhil.

    La collection « Connaître en citations » des éditions Ellipses ne cesse de s'enrichir : en septembre 2016, deux volumes sont sortis, sur Bergson et Sartre ; en novembre 2016 deux autres sur Arendt et Kant. Ces ouvrages sont des outils pédagogiques précieux pour le professeur, dans la mesure où ils permettent d'étudier un point particulier de doctrine à partir d'une citation, sans pourtant perdre de vue la systématicité des œuvres étudiées, ni le contexte philosophique dans lequel celles-ci ont été écrites.

Le volume sur Spinoza, sorti en février 2016, a été écrit par Eric Delassus, professeur au lycée Marguerite de Navarre de Bourges, spécialiste de l’œuvre de Spinoza. C'est lui qui anime par ailleurs le site http://cogitations.free.fr, qui propose de nombreuses analyses portant sur Spinoza mais aussi sur l'éthique en ses différentes déclinaisons : éthique médicale, éthique du management, etc.
    Après une introduction qui présente non seulement la vie de Spinoza mais encore les principes généraux de sa philosophie, la présentation de l’œuvre de Spinoza se décompose en cinq parties : « Le projet spinoziste », « La raison et le réel », « La psychologie humaine », « La béatitude » et « Religion et politique ». Chaque partie est elle-même divisée en chapitres qui regroupent quelques citations étudiées en détail. Ainsi, M. Delassus parvient à éviter l'écueil d'une étude de citations qui morcellerait le corpus spinoziste au point d'en faire perdre de vue l'unité. Tout au contraire, c'est la cohérence du projet de Spinoza qu'il s'efforce de mettre sans cesse en valeur, dans un style précis et accessible à tous. L'introduction insiste ainsi sur le problème au cœur de la philosophie de Spinoza : comment « penser le conditions qui doivent nécessairement être remplies pour permettre aux hommes de ne plus être passifs, de ne plus vivre dans cette condition qu'est la servitude et qui consiste dans la soumission à des causes extérieures qui agissent sur eux sans même qu'ils en aient conscience » (page 13) ? L'ordre des parties doit permettre au lecteur de comprendre en quels termes ce problème est posé et résolu chez Spinoza. Cependant, comme M. Delassus le rappelle dans sa conclusion, ce parcours ne vise pas à se substituer à une lecture plus attentive de l'ensemble du corpus spinoziste, mais au contraire à offrir au lecteur des clés utiles pour se repérer dans une œuvre exigeante.
  

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 Les citations choisies sont extraites des principaux ouvrages de Spinoza : les quatre premières parties renvoient à des citations tirées principalement du Traité de la Réforme de l'entendement et de l'Ethique, tandis que la cinquième partie présente le Traité Théologico-politique et le Traité politique. Les citations proviennent de la traduction de Charles Appuhn des œuvres de Spinoza en GF.
    Chaque citation est analysée de la façon suivante : dans un premier temps, elle est résumée dans l'encart « Idée ». Puis, M. Delassus en restitue le contexte afin de replacer la citation ou bien dans l'économie de l’œuvre entière, ou bien dans le contexte plus large des débats philosophiques qui animent le XVIIème siècle. Ainsi, l'importance de l'héritage cartésien est soulignée tout au long de l'analyse, tant pour mettre en valeur ce qui rapproche Descartes et Spinoza que le caractère novateur du projet spinoziste. La citation est ensuite commentée en détail. Le commentaire permet de définir les termes de la citation, mais aussi d'en approfondir l'analyse en restituant le problème dans lequel cette citation trouve sa place. Ainsi, par exemple, la citation qui permet d'illustrer la critique spinoziste du finalisme est l'occasion d'un développement sur quatre type de causes chez Aristote, ce qui permet de donner à la citation tirée de l'Appendice de la Première partie de l'Ethique tout son poids. De même, l'analyse du conatus à partir de la Proposition VI de la Troisième partie de l'Ethique (« Chaque chose, autant qu'il est en elle, s'efforce de persévérer dans son être »), permet de discuter la notion de sujet. Au commentaire fait suite un encart « Vocabulaire », qui permet de définir plus succinctement une ou deux notions étudiées. Enfin, en guise de conclusion, chaque étude se termine par la présentation de la portée de l'analyse, ce qui permet de montrer en quoi la citation est capitale dans l'économie générale de l’œuvre.
    Ainsi, l'organisation de l'ouvrage de M. Delassus rend possible au moins trois types de lecture. On peut, premièrement, lire l'ouvrage dans son intégralité, de façon linéaire. Ce premier type de lecture renvoie à une initiation à la philosophie de Spinoza, qui part du projet spinoziste pour arriver à ses conséquences morales et politiques, en passant par l'analyse des thèses essentielles de l'Ethique. Deuxièmement, le lecteur pourra se reporter à une citation ou à un chapitre en fonction de son intérêt ou de ses besoins. On peut en effet lire une analyse indépendamment du reste de l'ouvrage, sans en perdre pour autant la cohérence. Ce deuxième type de lecture sera très utile pour l'étudiant qui doit préparer une dissertation ou préciser ses connaissances à propos d'un problème précis, mais aussi pour le professeur qui peut ainsi préparer un cours plus efficacement. Enfin, l'encart vocabulaire permet un troisième type de lecture, l'ouvrage devenant ainsi un vade-macum définissant les concepts importants du corpus spinoziste.
    Cet ouvrage est donc un outil que les étudiants comme les professeurs pourront véritablement mettre à profit, tant son organisation permet à la fois une étude précise d'une cinquantaine de citations sans perdre pour autant de vue l'unité de l’œuvre de Spinoza. La clarté et la précision des analyses proposées, sans nul doute, donneront envie de se (re)plonger avec passion dans les textes de Spinoza, conformément aux vœux de leur auteur.
                                                                                                                                                                    Antony Dekhil.