Ghislain Deslandes, Critique de la condition managériale, PUF, 2016, lu par Eric Delassus
Par Michel Cardin le 24 février 2017, 09:25 - Philosophie générale - Lien permanent
Dans ce livre, Ghislain Deslandes parvient à faire du management, qui est trop souvent réduit à sa dimension technoscientifique et comptable, un véritable thème de réflexion philosophique. S’opposant à la conception taylorienne qui reste aujourd’hui dominante dans de nombreuses organisations, il propose une phénoménologie managériale s’inspirant de la pensée de Michel Henry et élabore une conception plus humaine du management s’enracinant dans la subjectivité vivante des êtres humains au travail.
Sommaire
Introduction
Vers une approche phénoménologique du management
Oublier Taylor
Première partie
Du Proto-management au conflit des interprétations
Chapitre 1 Le management comme problème philosophique
Chapitre 2 Philosophie « continentale » et post-management
Chapitre 3 Les cinq sens du management
Deuxième partie
Repenser le management
Chapitre 1 Les organisations et le corps subjectif
Chapitre 2 Desaffectio societatis
Chapitre 3 Le vécu individuel à l’heure de l’accélération sociale
Troisième partie
Reconstruire le management
Chapitre 1 De l’impuissance des puissants
Chapitre 2 Travailler sans joie
Chapitre 3 Redéfinir la gestion
Conclusion
Introduction
L’ouvrage commence par une réflexion sur la place qu’occupe la « gestion » dans nos existences en référence à La Boétie qui, traduisant « économie » par « ménagerie », n’hésitait à aborder la question de « l’administration de l’âme ». S’il en va ainsi, il s’avère urgent de procéder à « une critique de notre faculté de gérer » en soulignant deux moments clés du management. D’une part, la Grèce antique, qui n’hésite pas comme c’est le cas chez Aristote ou Xénophon à faire de la gestion des affaires domestiques un objet de réflexion philosophique et qui définit l’homme vertueux comme celui qui « se gère » et sait trouver le point d’assemblage entre la maîtrise de soi et le gouvernement des autres en échappant à l’hubris. D’autre part, le management moderne avec H. Fayol et F.W. Taylor qui repose sur un paradigme objectiviste et fonctionnaliste oubliant la dimension morale de l’économie et de l’administration des hommes. C’est pourquoi, critiquant la fausse neutralité axiologique du taylorisme, G. Deslandes préconise une approche phénoménologique du management qui considérerait les individus non seulement comme des moyens, mais aussi comme des fins et qui prendrait en compte la subjectivité et l’intersubjectivité ainsi que les motivations de l’individu au travail perçu, entre autres, à partir de la question de la souffrance au travail. Il s’agit donc ici de penser le management au-delà d’une vision purement technique à partir d’une réflexion sur le souci de soi et des autres à l’intérieur des organisations. Cette approche s’inspire principalement de la phénoménologie de la vie de M. Henry, mais commence par une étude historique pour que le management renoue avec ses origines et retrouve ses véritables fins en conciliant les impératifs hypothétiques de sa vision technoscientifique avec les impératifs catégoriques de l’éthique dont il est issu.
Première partie
Du proto-management au conflit des interprétations
S’appuyant sur G. Canguilhem pour qui tout matière étrangère est bonne pour la philosophie, G. Deslandes met en question l’ignorance réciproque du management et de la philosophie pour souligner la nécessité de s’interroger sur les conditions de possibilité du management.
Après avoir souligné l’origine étymologique du terme de « management » issu du latin manus qui évoque la conduite et a donné le français mesnagment utilisé par Furetière pour désigner l’économie, l’auteur souligne que philosophie et management ne se sont pas toujours ignorés et que, dès l’antiquité, Xénophon aborde la question de l’art de commander et de l’administration des affaires. Ainsi la question de la nature du rôle du contremaître par rapport à celui du propriétaire rejoint celle du rôle du manager relativement aux exigences des actionnaires et la référence aux anciens permet de dénoncer une idéologie managériale qui se prétend neutre moralement et qui dépossède les managers de leurs responsabilités, ce qui est, au bout du compte, contre-productif. L’ère industrielle, en retirant au management sa dimension morale au nom de l’efficacité, lui a fait perdre sa capacité à fédérer les énergies pour atteindre les fins qui donnent sens au fonctionnement des organisations. Il est donc nécessaire, pour sortir de cette impasse, de donner toute sa place à la réflexion philosophique dans ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les sciences de gestion.
Le monde universitaire américain s’est emparé de cette question en abordant le management sous l’angle éthique et en questionnant la thèse de la séparation selon laquelle la tromperie serait l’arme du succès, alors que l’éthique ne pourrait s’exercer hors de la sphère privée sans être instrumentalisée. Cette vision semble oublier que toute décision économique implique des choix moraux. De telles approches simplistes et simplificatrices nécessitent une mise en question des présupposés erronés des théories enseignées dans les écoles de management, non pour faire de la philosophie un outil de management, mais pour qu’elle lui serve de miroir afin de perturber certaines des certitudes partagées par ceux qui le pratiquent et surtout en font la théorie. Ainsi investi par la philosophie, le management peut s’interroger sur ce qu’il est vraiment. Est-il une technique, une science, une pratique ou un art, un terrain d’application de l’éthique ou un domaine de la politique ? Ces cinq sens du management vont être examinés.
Le management comme technique : Le système est posé en premier et le management, envisagé uniquement en termes de performance productive, se tient éloigné de la subjectivité désirante et de la créativité des individus à l’œuvre. Niant toute responsabilité éthique et sociétale, il génère frustration et désaffection et nuit à la qualité de la production. Finalement, le management, réduit à une technique, est une mauvaise technique.
Le management comme science : Si le management s’inspirant de Taylor se présente avec le rayonnement de la science, il n’en a ni les moyens conceptuels ni la capacité démonstrative. Les sciences de gestion qui étudient le management ne le font qu’en association avec d’autres disciplines appliquées à la gestion (économie, sociologie, psychologie…). Elles n’ont guère d’influence sur des pratiques qui, quoi qu’il en soit, ne se trouveraient pas légitimée sous prétexte qu’elles reposent sur des théories qualifiées de scientifiques.
Le management comme pratique : Cette conception emporte aujourd’hui le plus de suffrage, mais n’est pas sans présenter certaines difficultés quant à sa capacité à transformer ses pratiques au même rythme que les mutations sectorielles sans être en mesure de les justifier conceptuellement et sans être capable de saisir certaines préoccupations sociétales. Une vision plus large est donc nécessaire à l’heure de la mondialisation. Le problème est celui de la légitimité éthique et politique du management.
Le management comme éthique : Il n’est pas axiologiquement neutre de présenter le management comme axiologiquement neutre. Le management n’est pas amoral, il suppose un minimum d’honnêteté et d’intégrité et ne peut appréhender l’homme en le réduisant à un homo-œconomicus, un « idiot rationnel » selon A. Sen. Il est donc nécessaire de réintroduire de l’éthique dans le questionnement managérial tout en prenant garde à ce que ces interrogations ne soient pas instrumentalisées ou ne donnent pas lieu à un irénisme que seul pourrait contrer une approche politique.
Le management comme politique : Le management n’est-il pas avant tout un champ de recherche pour la science politique ? S’il n’est pas souhaitable d’exclure la politique du management, l’approche politique ne suffit pas pour penser tout le management.
Il y a donc une certaine complémentarité entre tous ces aspects du management. Aussi, est-il nécessaire d’appréhender le management de manière à la fois philosophique et scientifique.
Deuxième partie
Repenser le management
Contre la vision purement taylorienne, G. Deslandes propose une phénoménologie de la vie revenant à la subjectivité réelle des individus. Le management qui se prétend scientifique en traitant les individus comme des ressources naturelles interchangeables réduit les objets des sciences de gestion à des abstractions sans rapport avec les vivants qui les produisent et oublie que ces derniers sont les principes et la fin de toute institution (Ricœur). Les études managériales gagneraient donc à s’interroger sur les possibilités d’une praxis (M. Henry) reposant sur la dimension intersubjective du management.
Cette approche du management va se faire en trois étapes :
- Une généalogie du soi au sein des études critiques en management.
- La présentation de la phénoménologie de M. Henry comme philosophie première et de sa conception du soi comme corps subjectif.
- L’opposition entre le souci de soi chez M. Foucault et chez M. Henry.
Ces trois étapes franchies, G. Deslandes aborde la question de la desaffectio societatis. L’affectio societatis est une expression empruntée au droit des affaires et désigne ce qu’il y a de non-contractuel dans une organisation, le « surcontractuel » qui fait qu’une partie essentielle du contrat de travail échappe aux termes juridiques qui unissent employeurs et employés, les salariés et l’institution ainsi que les salariés entre eux. Elle est ce qui résiste à l’évaluation quantitative et renvoie à la fidélité de principe au développement de l’organisation. Xénophon voyait d’ailleurs dans le chef de travaux celui qui suscitait l’intérêt et le dévouement chez le travailleur. Reconnaître l’importance de l’affectio societatis, c’est aussi reconnaître l’importance de l’otium dans le negotium et contredire ainsi la définition étymologique du travail en soulignant sa dimension affective. Cependant l’individualisation conduit plutôt à la desaffectio societatis, car elle oublie de considérer l’individu au travail comme un sujet envisagé d’un point de vue sociologique. L’affectivité telle que l’entend M. Henry renvoie à la vie telle qu’elle est éprouvée par chacun et qui conditionne toute existence possible et son oubli conduit à la desaffectio societatis qui consiste en un délitement du lien affectif à l’intérieur d’une organisation. Chacun se demande quelle est sa place dans le circuit des affects par lequel se constitue l’individuation psychique et collective (B. Stiegler) et se laisse emporter par une certaine lassitude et un abattement issus du sentiment que la vie s’est retirée du travail (A. Gorz). Penser le management à partir de philosophie de M. Henry permet de remédier à cette situation, car la subjectivité y est perçue comme ce qui rend compte de l’expérience de l’autre et me prémunit contre la tentation d’en produire une représentation en réduisant l’autre à un objet. Autrui est celui avec qui je peux développer la créativité et le pouvoir de la vie. Ainsi, même au sein d’une organisation, les partenaires ne cessent jamais d’être des personnes, c’est-à-dire des capacités à s’éprouver soi-même. Ainsi, alors que la personne, qui n’est considérée qu’au regard de sa fonction, souffre d’être aliénée, celle qui s’éprouve comme vivante dans son travail jouit de l’intensification de sa puissance d’agir. La desaffectio societatis n’est pas sans implications éthiques et politiques, elle produit l’insatisfaction et la dépossession de soi dans le travail, alors qu’une réelle coopération d’individus investis d’un rôle social produit l’expérience d’une solidarité affective entre vivants. À trop vouloir se calquer sur les sciences de la nature, l’économie et le management sont passés à côté de la pleine connaissance de la vie et de sa dimension affective dans laquelle s’origine tout travail en commun réussi. C’est pourquoi l’affectio societatis est irremplaçable et ne peut être remplacée par la seule relation d’intérêt, elle est ce qui produit le désir d’entreprendre avec d’autres.
La question du temps est également au cœur de toute réflexion sur le management. Le taylorisme et le productivisme se sont construits sur la volonté d’accélérer la production. Mais le management a aussi entretenu une forme d’agitation qui n’est pas étrangère au divertissement pascalien. C’est donc entre productivisme et divertissement que se situe la relation entre le temps et le management qui s’inscrit dans le processus d’accélération globale dénoncé par H. Rosa et qui ne modifie pas simplement le faire, mais aussi l’être des individus. Managers et managés se trouvent alors victimes d’une souffrance qui résulte du rythme qu’ils imposent ou qui leur est imposé et qui leur fait faire l’expérience de leur vulnérabilité réciproque. Le manager se trouve victime d’une logique du court terme qui le soumet à des injonctions paradoxales et le conduit à s’instrumentaliser lui-même. Ainsi, la dépression devient maladie de l’accélération, selon H. Rosa qui préconise un retour vers la vie définie comme l’envers du travail offrant la possibilité de diversifier les expériences. Mais faut-il à ce point séparer le monde du travail et le monde de la vie ? N’est-il pas plutôt souhaitable de reconnecter managers et managés avec le monde de la vie ?
Pour résoudre cette difficulté G. Deslandes préconise une transformation dans l’enseignement du management qui devrait faire une plus grande place aux Humanités. Toujours en se référant à M. Henry, il dénonce le caractère réducteur d’un enseignement dont la prétention exclusivement scientifique le conduit à parler de l’homme comme autre que lui-même, alors que les lettres permettent de produire un réel savoir de l’homme dans son humanité transcendantale. Le manager ainsi formé pourrait disposer de réelles capacités interprétatives lui permettant de redonner sens au travail et pas simplement de procéder à une gestion quantitative du temps. Ainsi, nourri aux Humanités, le manager prendrait plus aisément conscience de sa condition et serait en mesure de percevoir sa position comme celle d’une puissance, mais aussi comme une charge. Il pourrait alors assumer une caractéristique trop souvent refusée aux managers dans la société de la performance : la vulnérabilité, qui n’est en rien une faiblesse, mais qui n’est autre que la mesure de sa responsabilité.
Troisième partie
Reconstruire le management
Il y a, selon G. Deslandes, un paradoxe de l’excellence qui vient de ce que le manager a initialement été considéré comme celui qui possède le plus grand nombre de qualités physiques et morales et tous les termes constituant le vocabulaire significatif du leadership le confirme (charismatique, héroïque, authentique, viril, visionnaire, etc.). Or des travaux récents tendent à montrer que les leaders voient leurs capacités amoindries lorsqu’ils sont dans l’incapacité d’assumer leurs faiblesses et leurs limites. Ce constat invite donc à repenser le management dans le cadre d’une dialectique entre force et vulnérabilité s’appuyant sur une analyse anthropologique à partir des notions de capacités et d’incapacités s’inspirant de P. Ricœur. La double polarité du management comme activité et comme charge oblige le manager à assumer sa vulnérabilité et à développer, face à ses incapacités, des capacités qui sont de l’ordre de la phronesis aristotélicienne. Aussi, comme tout phronimos, le manager ne doit pas décider seul, mais doit débattre avec la communauté, afin que les capacités des uns compensent les incapacités des autres. L’homme capable est d’abord celui qui est à l’écoute de ses insuffisances et qui est en mesure d’écouter l’autre pour agir intentionnellement.
La question du travail est également centrale dans cette reconstruction du management, car le discours managérial qui voudrait convaincre les travailleurs d’exercer leur activité sans peine présente un aspect éminemment paradoxal. C’est justement parce que le travail est pénible que le management est nécessaire. Cependant la philosophie s’est beaucoup intéressée au travail, et assez peu au management, pour en souligner l’ambivalence. Car si le travail est pénible, il n’est pourtant pas impossible de travailler dans la joie. Il faut cependant distinguer la joie managériale de la joie au travail, la première est liée au résultat, tandis que la seconde se situe dans l’œuvre. Le management utilise le travail d’autrui tandis que le travailleur qui ressent de la joie au travail se soucie de lui-même et de son œuvre, de lui-même comme œuvre. L’analyse marxiste du travail souligne d’ailleurs cette contradiction inhérente au travail puisqu’elle y voit aussi bien une source d’aliénation qu’un facteur d’émancipation et de réalisation de l’être humain.
La question de la souffrance au travail doit donc interpeller les managers au travers de ce qui constitue leur propre souffrance en tant qu’ils sont à la fois tourmenteurs et souffre-douleurs. En conséquence le management doit s’intéresser plus à l’être au travail qu’au travail lui-même et se placer du côté de la subjectivité qui donne de la valeur aux choses. Selon M. Henry, dont se réclame à nouveau G. Deslandes, c’est dans la vie que la valeur d’usage trouve son principe et sa fin. On ne peut donc aborder la souffrance au travail sous l’angle de la représentation. Celui qui souffre est sa souffrance, qui n’est pas pure passivité, mais aussi épreuve de soi permettant à l’individu de sortir de sa passivité originaire. La possibilité de la souffrance est donc aussi, en un certain sens, celle de la jouissance. Se passer de la possibilité de souffrir, c’est aussi se passer de la possibilité de jouir. Or, la joie au travail est possible à la condition que ce dernier devienne réellement collaboratif tout en restant un facteur d’amplification du pouvoir individuel. Le management doit donc répondre au problème de la souffrance au travail en contribuant au partage d’intérêts et de valeurs communes. Aussi, sans tomber dans le credo de la culture d’entreprise et du management par les valeurs, il suffit de s’appuyer sur la seule valeur qui, selon M. Henry, permet l’action collective, celle de la vie. C’est en faisant l’expérience de leur solidarité et de la convivialité dans l’épreuve du travail que les individus voient s’amplifier leur désir de vivre. Ainsi même la dimension pénible de certaines tâches peut se trouver dépassée par une transformation dialectique de la souffrance dans la joie qui apparaît lorsque la vie s’éprouve toujours davantage. Il convient donc de redéfinir la gestion et de faire du management une force ou un élan vital concernant la violence des rapports humains et le rapport politique entre les êtres en prenant en considération cette réalité soulignée déjà par Pascal : les hommes veulent dominer. C’est donc plus le pouvoir de décider et sa manifestation qui domine dans la société et non la vérité. Mais la force est la condition de la justice puisque, toujours selon Pascal, cette dernière doit être forte pour pouvoir s’exercer, il s’agit donc de penser la force non seulement sous le rapport de la performance, mais aussi relativement à ceux sur qui elle s’exerce. Le management doit donc s’exercer comme une force capable et vulnérable. L’image du manager tout-puissant a perdu de sa crédibilité, car, comme le souligne P. Ricœur, ceux qui décident se situent entre la toute puissance et la fragilité radicale. Le manager est capable et faillible. Soumis à la tyrannie du marché, il est confronté à des injonctions paradoxales comme celle de devoir exiger un engagement collectif tout en pratiquant l’individualisation de l’évaluation. Sa vertu essentielle doit donc s’enraciner dans l’expérience et relève de la sophrosuné, d’une sagesse située entre la maîtrise technique et la capacité à se confronter au caractère souvent paradoxal de certaines situations singulières. Trois pouvoirs sont alors mis en jeu :
Un pouvoir de contrainte : pour mieux s’exercer dans le milieu contraignant des organisations, pour atteindre les objectifs et aboutir dans les actions entreprises, le manager doit savoir allier l’aspect technique de sa fonction à une praxis pour influer sur les comportements dans un sens utile à l’action.
Un pouvoir d’imitation relevant du mimétisme rivalitaire mis en lumière par René Girard et relevant d’une intersubjectivité analysée sous l’angle du désir d’autrui. Dans les organisations, les managers copient les uns sur les autres pour réduire l’incertitude et accroître leur légitimité.
Un pouvoir d’imagination : pour limiter les impacts de la contrainte et de l’imitation, le manager doit faire preuve d’imagination et mettre en œuvre des vertus exploratrices afin de faire preuve de création, d’innovation, mais aussi de transgression. Cette imagination morale doit lui permettre de reformuler les conflits moraux pour inventer des solutions aux dilemmes éthiques qui ne soient pas uniquement déterminées par les circonstances et par des normes imposées par les habitudes ou préalablement prescrites.
Le management s’avère donc être pour G. Deslandes « une force vulnérable soumise à la pression du chiffre, et dotée d’un triple pouvoir de contrainte, d’imitation et d’imagination s’exerçant aux niveaux subjectif, interpersonnel, institutionnel et environnemental ». Ce pouvoir s’exerce selon quatre rapports :
Au niveau « micro », le rapport subjectif et interpersonnel ;
Au niveau « meso », le rapport institutionnel ;
Au niveau « macro », le rapport à la société et à l’environnement.
Dans tous ces rapports, la question du rapport à soi est indispensable, dans la mesure où le gouvernement des autres passe par le gouvernement de soi (M. Foucault). La subjectivité est directement liée au management en tant qu’il est une affaire humaine concernant un monde de vivants et pas simplement des ressources. Tout travail critique sur le management doit faire droit à l’immanence de la subjectivité, au travail vivant et aux capacités d’initiative et d’accroissement des individus afin de répondre au souci qui constitue l’origine et le but du management : prendre soin des humains affectés par l’organisation dont ils font partie.
Conclusion
Passer d’un management à l’autre consiste donc à remettre en question le taylorisme au profit d’une praxis située au cœur d’un management pensé au-delà des approches quantitatives et instrumentales. Il n’y a pas que le commensurable qui ait de la valeur, il faut s’efforcer de penser le management au-delà de l’extériorité objectivable et quantifiable pour l’appuyer sur une culture de la collaboration entre vivants. Par conséquent, le désir de l’homme d’action d’être le plus fort ne peut s’accomplir que dans la capacité à assumer toute la part de fragilité, de négativité et de vulnérabilité qu’il y a en soi. Il s’agit donc de revenir à une conception plus humaine de la maîtrise (Y. Michaud) et préférer la stratégie à l’héroïsme (F. Jullien). Le management est de l’ordre du pharmakon (B. Stiegler), un remède qui, pour ne pas être un poison, doit retrouver la subtilité et l’esprit de finesse qu’il a perdu. Pour ce faire quatre chantiers doivent être entrepris selon G. Deslandes :
- Souligner le poids de la culture et des humanités dans le management.
- Reconnaître la double polarité du management, force et vulnérabilité.
- Mettre en évidence les absurdités de la tyrannie des nombres.
- Augmenter le degré d’autonomie dans l’agencement des tâches.
Le but de ce livre qui se présente comme un traité de phénoménologie managériale est de faire en sorte que les faits managériaux ne puissent plus être appréhendés comme des processus sans sujet, mais comme relevant de la puissance d’agir du manager qui doit être distingué d’un pouvoir derrière lequel se cacherait une faiblesse non assumée. Cette approche suppose donc la remise en question d’une conception purement gestionnaire du management au nom d’une prise en considération des aspects plus informels des relations humaines qui constituent de que Paul Ricœur nomme la convivialité.
Eric Delassus