Aurélie Knüfer, La Philosophie de John Stuart Mill, collection Repères, Vrin, 2021

Maîtresse de conférences en philosophie à l'Université de Montpellier, membre de l'Institut Universitaire de France, Aurélie Knüfer fait paraître une présentation de l'œuvre philosophique de John Stuart Mill. Avec une remarquable originalité, elle y montre tout ce qui en lui ne se réduit pas à un libéralisme ordinaire, et qui permet de donner à son parcours parfois sinueux une parfaite cohérence : la redéfinition de l'individualité comme acte et comme devenir, la réflexion sur les conditions de l'épanouissement de cette individualité, l'intérêt pour les expérimentations sociales et politiques visant à ce plein exercice de l'individualité.

Elle a accordé un entretien à L'Œil de Minerve :

https://youtu.be/TFirWq-V_8Y

 

 

Extrait :

"L'Œil de Minerve - La philosophie de Mill est-elle avant tout une philosophie de la liberté ?

Aurélie Knüfer - En fait, je ne suis pas sûre que l'apport le plus original de Mill soit celui d'une pensée de la liberté, disons, de la définition qu'il produirait de la liberté. Bien sûr, tout le monde connaît le fameux principe de liberté, mais qui n'est au fond (peut-être que ça va faire hurler certains milliens) qu'une des formulations du principe libéral, de la problématisation libérale (pour reprendre le terme de Foucault) : comment pas trop gouverner. Il me semble que ce qui est plus intéressant chez Mill, en tout cas ce qui m'a le plus frappée, c'est sa définition de l'individualité - et en tout cas sa conscience du fait que, dès son époque, la notion même d'individu pouvait être réduite et réifiée et mobilisée de façon sommaire et dogmatique. Donc, je pense que son apport principal porte sur ce concept et sur la manière dont il distingue l'individu de l'individualité, et dont il associe la définition de l'individualité à la définition de caractère. Donc, je sais pas si cela répond à votre question ; mais le principe de liberté, qui consiste (dans le livre éponyme) à tracer les frontières de l'individu et de la société, de l'individu et de l'Etat, n'est pas en lui-même ce qui fait la singularité de la pensée de Mill. Ce qui fait la singularité de Mill, c'est la manière dont, à l'intérieur même de ce principe, l'individualité est définie et joue vraiment comme véritables principe opératoire.

- Que faut-il entendre, selon Mill, par individualité ?

- L'individualité ? Elle est redéfinie chez Mill à partir de toute une série d'influences, notamment l' influence du philosophe allemand Humboldt. L'individualité chez Mill est un devoir-être ; elle est l'activité que chacun ou chacune doit accomplir sur soi-même pour correspondre, tout en se développant, à ce qu'il y a de plus individuel en soi. Et elle est un processus qui n'est jamais achevé. En faisant cela, en distinguant l'individualité de l'individu, Mill inscrit, au sein même de l'individu, la problématique du progrès - le progrès qui n'est pas simplement à comprendre sur le plan de l'historicité, mais aussi sur le plan personnel et singulier."