David Rabourdin, Pascal, Foi et conversion, PUF Philosophies, 2013, lu par François Odam

David Rabourdin, Pascal, Foi et conversion, PUF Philosophies, 2013. 

Le texte s’ouvre sur le paradoxe constitutif du projet apologétique développé par Pascal dans ses Pensées : si la foi est un don de Dieu, et la conversion l’œuvre de Lui seul, comment aider l’incroyant à sortir de la résignation, voire du désespoir, qui le guette par le seul moyen dont dispose l’apologétiste, à savoir le discours de la raison ? Comment la raison pourrait-elle conduire à la foi, c’est-à-dire à quelque chose qui la dépasse infiniment ?

Il s’agit de s’interroger sur le sens et la portée d’un tel discours : Comment la raison peut-elle, en se mettant au service de la foi, ne pas être confrontée à sa propre impuissance ? N’est-elle pas condamnée à l’échec ? Peut-elle conduire le lecteur à réformer sa manière de vivre pour le conduire à la foi, sans cependant avoir l’assurance qu’il reçoive la grâce? C’est la question de la liberté de l’homme face à la prédestination qui est en jeu de manière sous-jacente à ce projet. C’est au cœur de cette question épineuse qu’intervient le non moins énigmatique discours de la machine.

 

Plan de l’ouvrage:

Les exigences formelles de la machine

Les limites immanentes au projet d’apologie de la religion chrétienne

Le statut responsorial d’une notation énigmatique

Le sens immanent aux gestes de la « machine »

La genèse de la foi par le corps

Examen de l’interaction entre « l’intérieur » et « l’extérieur »

La machine et les figures de la sincérité

La relation de l’homme à Dieu selon les Pensées

Définitions

La connaissance de Dieu

Actes religieux et histoire du salut

Vertu de religion

 

 

Le premier chapitreinterroge la distance de l’homme à la foi et les modalités d’un rapprochement possible. Il s’agit tout d’abord de différencier les registres de la foi, foi humaine (fondée en raison) / foi divine (reposant sur la grâce) et les registres de la certitude, pour tenter dans un second temps de répondre au désespoir de celui qui éprouve la distance infinie qui le sépare de la foi. Comment combler l’écart incommensurable entre la nature et la grâce ? C’est dans ce contexte qu’intervient la notion énigmatique de machine que l’auteur va prendre soin d’analyser de matière méticuleuse afin de bien saisir ce qui se joue ici : l’exigence de ne pas succomber à la fatalité, en opérant des médiations entre Dieu et l’homme et ainsi promouvoir l’espérance tout en reconnaissant en même temps les limites du pouvoir de l’homme.

Il met en évidence que le terme de machine renvoie tout à la fois au corps (1) en tant que réalité mécanique sur laquelle il est possible d’exercer quelque effet par l’entremise d’un artifice (2) susceptible d’augmenter le pouvoir de l’homme c’est-à-dire aussi la force du discours et cela dans le cadre d’un stratagème (3), d’une stratégie de persuasion dont le succès serait la conversion. Il y a donc ici trois sens qui se recoupent et se complètent de manière significative et qui éclairent le sens de l’efficacité du discours recherché. Ainsi, si le discours de l’apologiste vise à apporter des preuves qui puissent convaincre l’incroyant, ce n’est pas dans le seul registre de l’argumentation que l’entreprise peut être couronnée de succès, car nous resterions alors sur le plan humain. La preuve est ici dynamique : elle vise à conduire de manière concrète l’incroyant à s’ouvrir à une forme de participation à une logique de la foi véritable, au sens d’un apprentissage pratique de la foi qui puisse non pas accorder la foi, car celle-ci vient de Dieu, mais rendre disponible le cœur de l’incroyant à l’accueillir.

C’est cette médiation par le corps que le deuxième chapitre va interroger en abordant de manière problématisée le rapport du corps aux certitudes. En quoi le corps participe-t-il de manière constitutive à nos croyances ? Quelle est la place de l’éducation, de la coutume, du rite c’est-à-dire aussi de l’habitude dans notre vie spirituelle ? Comment comprendre l’interaction entre la passivité (l’automate que fait de nous la coutume) et l’activité d’un sujet, qui par liberté, s’engage volontairement dans la quête ? L’analyse permet de proposer une véritable anthropologie qui élucide une part de la nature humaine et qui fonde une épistémologie où le corps jouerait le rôle principal en tant qu’il serait l’origine et le terme de la démonstration. Mais si le corps et l’habitude sont constitutifs de nos croyances, leur rapport reste problématique : comment un conditionnement extérieur peut-il provoquer la conversion intime (intérieur) du sujet ?

La problématique de l’extérieur et de l’intérieur offre d’ailleurs de remarquables analyses, en passant par Aristote et Kant, pour penser à la fois l’influence de l’action extérieure sur nos dispositions morales ou spirituelles mais en même temps leur séparation radicale, notamment dans le cadre de la foi chez Pascal.

En définitive, c’est dans la relation intime à Dieu, emplie de sincérité, que le programme de la machine peut se réaliser pleinement et surmonter les contradictions qu’il rencontre. C’est pourquoi l’auteur consacre son troisième chapitre à la relation de l’homme à Dieu, terme et finalité de l’entreprise apologétique : il s’agit moins de convaincre en apportant des preuves (I), moins de proposer une simple conduite extérieure qui imiterait les croyants (II) que d’amener l’incroyant à se tourner vers Dieu dans une relation d’adoration. L’auteur est amené alors à opérer la distinction conceptuelle entre adoration et idolâtrie, à définir la nature de la connaissance concrète de Dieu fondée sur l’amour et par là à lui opposer le cheminement philosophique qui sous le point de vue de la foi apparaîtrait incomplet. La lecture pascalienne de l’Histoire, articulée de manière dynamique autour de ces distinctions, a d’ailleurs pour ligne de force la conversion des païens, pour autant que cette dernière annonce la réalisation dans le temps de l’unité recherchée de l’homme et du divin. Elle est la preuve que doit réaliser, c’est-à-dire aussi éprouver, l’homme au terme de son parcours initiatique, sous la forme d’une vertu, la vertu de religion, qui est appelée à le réformer radicalement. Aussi la machine porte-t-elle l’espérance qui seule peut sauver l’incroyant en le tournant résolument vers Dieu.

 

L’auteur, David Rabourdin, propose une lecture aussi féconde que stimulante du texte de Pascal. Il procède de manière rigoureuse et méthodique dans l’élucidation du sens de cette machine qu’évoque à plusieurs reprises Pascal, pour autant qu’elle serait non seulement l’expression du problème soulevé mais surtout sa résolution possible.

François Odam