Simon Merle, Super Héros et Philosophie, Bréal, 2012 (lu par Sylvain Bosselet)

Simon Merle, Super Héros et Philosophie, Bréal, 2012, 128 pages.

Ce livre croise deux domaines : d’un côté la philosophie avec ses thèmes classiques, de l’autre les super-héros d’origine nord-américaine, tels qu’ils apparaissent dans les bandes-dessinées (les « comics ») et les films hollywoodiens. L’auteur, Simon Merle, propose une analyse de ces productions à partir des notions au programme de philosophie en classe de Terminale (conscience, désir, inconscient, devoir, etc.), ainsi que de nombreux philosophes classiques, ce qui permet de recouvrir tous les aspects philosophiques implicitement à l’œuvre dans cette « culture » des super-héros.

 En introduction, l’auteur propose une définition du super-héros. Il retient trois critères sine qua non : une double identité, des capacités extraordinaires et un sens moral. Se pose alors la problématique, entre les faiblesses de l’humanité et son aspiration à l’élévation, pour laquelle le super-héros représente un modèle.

Au premier chapitre (de la première partie), « Grandeur et finitude », l’auteur analyse le fait que les super-héros connaissent des limites comme les hommes, en particulier des limites dans le temps et dans l’espace, et qu’ils doivent affronter des dilemmes moraux. Leur grandeur ne tient donc pas tant à leur force physique qu’à leur attitude éthique.Le deuxième chapitre, « Identité et masque », aborde la question philosophique de l’identité, de l’être opposé aux apparences et de la fonction symbolique attachée aux apparences (comme le costume ou l’uniforme). Nous aboutissons au paradoxe selon lequel le masque cache et révèle à la fois.Au troisième chapitre, « Pouvoirs et responsabilité », l’auteur examine la question de la liberté attachée à de grands pouvoirs, qui implique de grandeurs responsabilités. On y rencontre le problème de l’intérêt personnel (et privé, dans le cas du super-héros) avec l’intérêt collectif. Au quatrième chapitre, « Justicier et démocratie », les questions politiques sont explicitées par le biais du rapport entre les super-héros et l’État. Diverses relations apparaissent selon les héros concernés, du simple mandat à l’action indépendante. Le problème de la relativité de la justice s’en trouve touchée, ainsi que celui de la violence légitime et de la nécessité de l’ordre. Au cinquième chapitre, « Héroïsme et espérance », les problèmes liés à la croyance sont explicités. La question est de croire ou non en ces super-héros, ainsi qu’au monde meilleur pour lequel ils œuvrent, à titre d’intermédiaire entre une condition humaine et une surhumanité divine. Au sixième chapitre (premier chapitre de la seconde partie), « « Fiction et réalité », l’auteur explore le rapport entre fiction et réalité, qui permet d’anticiper l’avenir et de réfléchir aux situations de crises comme aux changements de normes. Au septième chapitre, « Crise et anticipation », l’auteur interroge le problème de la technologie et de la perte de contact avec la nature, en particulier d’un point de vue éthique. Au huitième chapitre, « Utopies et transgressions », c’est l’aspect transgressif des super-héros qui est mis en rapport avec l’aspiration à un monde meilleur, utopique. L’exemple de Wonder Woman est éclairant, elle qui cherche à changer le monde par l’amour et placer sur un pied d’égalité l’homme et la femme. L’auteur interroge le rapport des super-héros à une morale universelle, qu’ils doivent atteindre grâce à leur « vertu ». Au neuvième chapitre, « Hommes et surhommes », la question du délicat dépassement de l’homme par le surhomme est posée, avec ses corrélats que sont l’isolement du surhomme et l’inquiétude de l’homme, susceptibles de dégénérer en affrontement. Ce dépassement de l’homme par lui-même se heurte aussi au rapport de l’homme au divin. Le dixième et dernier chapitre, « Mutations et métamorphoses », examine l’aspect « roman d’apprentissage » des histoires de super-héros. Il s’agit de s’extirper des identités préétablies de la société pour se trouver soi-même et déployer ses potentialités, autrement dit se métamorphoser sans se perdre.

En conclusion, la question de la nature humaine est posée, avec ses risques de fixations culturelles. Le super-héros incarne finalement la tension entre le besoin de repères de l’humanité, et sa nature créatrice qui cherche toujours à faire progresser l’homme. Il apparaît comme par hasard dans les périodes de crise, comme la nôtre.

 

D’une centaine de pages, ce livre est de lecture aisée. Il intéressera aussi bien les amateurs de philosophie qui souhaitent découvrir le monde des super-héros à travers une grille de réflexion, que les amateurs de « comics » qui souhaiteraient découvrir la philosophie, par le biais d’une application à un sujet qui leur est cher. Il pourrait par exemple constituer une lecture attrayante et enrichissante pour les bacheliers. Il est présenté avec des illustrations dynamiques et colorées, en rapport avec son sujet. Son style est fluide, précis, et sait éviter la plupart du temps les mots trop techniques ou les phrases trop complexes, sans éluder pour autant les difficultés philosophiques. Les analyses sont pertinentes et savent rendre une profondeur à un sujet réputé léger ou relevant du simple divertissement. Elles s’accompagnent de citations philosophiques habilement insérées, qui donnent du relief au texte. Il est publié chez Bréal, éditeur spécialisé dans le pédagogique, d’où un souci de lisibilité très appréciable.

 

Sylvain Bosselet

Sommaire

Ce livre se divise en deux parties : « Le super-héraut », qui traite du fait que les super-héros représentent un modèle de l’homme, avec les questions de la nature de l’homme, de ses devoirs et de ses valeurs ; « Le super-éros », qui traite des désirs ouverts par les nouvelles possibilités des super-héros, avec les questions de la liberté, de la créativité et de la technique. Chacune de ces deux parties se divise en cinq chapitres :

I « Le super-héraut »

1/ Grandeur et finitude

2/ Identité et masque

3/ Pouvoirs et responsabilités

4/ Justicier et démocratie

5/ Héroïsme et espérance

II « Le super-éros »

1/ Fictions et réalité

2/ Crises et anticipations

3/ Utopies et transgressions

4/ Hommes et surhommes

5/ Mutations et métamorphoses

Enfin, l’auteur a ajouté une présentation synthétique des principaux super-héros.