Charlotte Sabourin, Kant on Marriage, Cambridge University Press, 2025

Charlotte Sabourin, Kant on Marriage, "Cambridge Elements", Cambridge University Press, 2025.

La série des « Cambridge Elements in the Philosophy of Immanuel Kant », dirigée par D. Hogan, H. Williams et A. Wood, propose des opuscules sur les concepts fondamentaux et subsidiaires du système kantien. Après ceux, entre autres, de Wood sur « les formulations de la loi morale », de P. Horstmann sur « les pouvoirs de l’imagination », de B. Vilhauer sur « la sympathie rationnelle », c’est au tour de l’universitaire canadienne Charlotte Sabourin, spécialiste de la question féministe dans la pensée des Lumières, de faire paraître une analyse de la conception kantienne du mariage en tant qu’institution juridique.

La première section s’efforce d’éclairer la radicalité et la complexité de cette conception à la lumière de deux corpus qui lui étaient contemporains : d’abord les traités juridiques sur le droit conjugal et sur ses conséquences en termes d’égalité des contractants (le Jus naturae d’Achenwall est mentionné), ensuite les essais féministes qui poussent jusqu’au bout ce principe de l’égalité et l’exigence consécutive de réformes législatives (Marianne Ehrmann, Emilie von Berlepsch et Theodor von Hippel sont cités ici). Ainsi Kant inscrit-il son analyse du mariage dans un cadre d’emblée juridique ; et c’est à l’intérieur même de la Doctrine universelle du droit (§24) que le mariage est défini comme la communauté sexuelle naturelle élevée jusqu’à la conformité à la loi – la loi étant la garantie effective d’une propriété privée en même temps que d’une réciprocité indispensable à la constitution d’une communauté d’êtres libres.

Évidemment, cette réduction du mariage au contrat, voire à un simple rapport de propriété privée quoique réciproque, peut sembler méconnaître la spécificité de ce type de communauté. Hegel le dira sévèrement dans les Principes (§75, remarque) : « Cette subsomption [du mariage] sous le concept de contrat est établie chez Kant dans toute son horreur ». Il n’en reste pas moins vrai que c’est grâce à cette subsomption que la première caractéristique de cette union est déterminée comme l’égalité des époux dans la communauté de droit : c’est en acquérant le statut juridique d’épouse que la femme est reconnue comme l’égale de l’homme pris pour mari.

De manière à souligner négativement l’importance majeure de la sphère juridique dans laquelle le contractant entre par le mariage selon Kant, la deuxième section traite de la résolution que celui-ci donne à la question de savoir quelle peine infliger à la mère coupable d’infanticide. Ch. Sabourin fait remarquer que Kant n’aborde cette question que de façon biaisée en se contentant d’étudier le cas de la mère célibataire tuant son enfant hors de tout mariage : du côté de l’enfant, naître dans cette condition naturelle reviendrait à être privé de statut juridique, donc de protection par les lois : la peine de mort ne pourrait être alors prononcée contre la mère ; du côté de la mère, faire naître un enfant illégitimement, ce serait perdre son honneur, donc toute place désirable dans la communauté sociale : la peine de mort ne pourrait être alors prononcée contre elle, sinon à la condition que la loi interdise expressément tout crime d’honneur. Autrement dit, la jouissance de droits suppose de toute nécessité l’institution préalable d’un droit. Quant à la dernière section, elle interroge plus largement l’institution en tant que communauté non seulement juridique, mais morale : le mariage permet-il de soumettre le désir à la loi, et l’objectivation qu’entraîne ce désir au respect de la personnalité ? l’égalité des contractants est-elle strictement imposée au sein de cette institution, et ce malgré la différence sexuelle ? Les réponses apportées par Kant ont la particularité significative de refuser comme élément fondateur toute considération directe ou indirecte de l’inégalité « selon la quantité et le degré de ce qu’on possède », qui caractérise la condition féminine hors de l’institution conjugale. Et ce constat ne peut que décevoir la pensée féministe en général, la femme en tant que telle n’étant jamais pensée comme problème par Immanuel Kant.