Alain Badiou et Pascale Fautrier, La Question Sartre, PUF 2025
Par Karim Oukaci le 15 juin 2025, 06:00 - Histoire de la philosophie - Lien permanent
Alain Badiou et Pascale Fautrier, La Question Sartre, P.U.F., Perspectives critique, 2025.
Le cœur de l’ouvrage est une étude de Pascale Fautrier sur l’évolution du rapport de Badiou à la figure de Jean-Paul Sartre. Cette étude est encadrée par trois conférences de Badiou sur l'auteur qui le détermina à s'engager en philosophie, datant de 1981 (« Hommage à Sartre »), de 1990 (« Hommage à Sartre II ») et de 2013 (« Sartre et l’engagement ») et par l’extrait d’une séance de séminaire répondant à la question : « Qu’est-ce qu’une idée ? » (2023) qui sert de conclusion.
Dans les trois conférences rassemblées au sein de la première partie, Badiou s’efforce d’établir les raisons de sa fascination pour l’œuvre de Sartre, née de la lecture de l’Esquisse d’une théorie des émotions, puis de L’Être et le néant et de La Critique de la raison dialectique. Badiou raconte ailleurs qu’en 1955, lorsque Merleau-Ponty accusa Sartre d’ultra-bolchévisme, et que Beauvoir répondit à l’accusation par ces mots : « la philosophie de Sartre n’a jamais été une philosophie du sujet », il ne put s’empêcher d’écrire à Beauvoir pour lui expliquer que son plaidoyer, si justifié sur sa fin, s’était trompé sur les moyens. Ces trois conférences permettent de préciser les bons moyens par lesquels elle aurait dû défendre et comprendre la philosophie sartrienne. Premier moyen : la production d’un concept de sujet non-psychologisant. Deuxième moyen : le maintien d’une exigence de vérité irréductible à la connaissance de déterminations concrètes. Troisième moyen : le concept d’une modalité collective de la pratique. En résumé, « Sartre a fourni un gigantesque cadre ontologique, éthique, conceptuel, et d’engagement personnel, à la maxime bien connue : ‘il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer’ » (p. 37).
Pascale Fautrier commence l’analyse de l’évolution du rapport à Sartre quand cesse la fidélité de Badiou[1] à celui qu’il considérait comme son maître. Elle y distingue trois temps, dont le premier, correspondant à « la rupture avec l’existentialisme (1967-1980), s’expliquerait par une série d’enseignements, entre autres ceux d’Althusser sur Marx, de Lacan sur Freud, d’Hyppolite sur Hegel, ainsi que par la lecture de Cavaillès et de Canguilhem. Le deuxième temps correspondrait au retour à une certaine réévaluation de Sartre (1981-2006) grâce à la reprise du débat entre existentialisme et marxisme d’une part et à la découverte d’une lignée idéaliste et révolutionnaire allant de Platon à Sartre d’autre part. Enfin, le troisième temps constate une prise de distance définitive avec l’œuvre sartrien à qui est reproché un manque de rigueur et de radicalité quant aux deux fronts sur lesquels s’opère le travail philosophique selon Badiou, à savoir le combat contre le dogmatisme religieux et le combat contre le relativisme sceptique.
Le dernier chapitre propose la lecture d’un extrait de la conférence que Badiou prononça en mai 2023. Si, en effet, Sartre se recommande par le maintien d’une forme d’idéalisme, la question est de savoir ce qu’il faut entendre par Idée, sachant qu’elle n’est ni transcendante, ni relativiste. À partir d’une reprise des analyses platoniciennes, Badiou répond : l’Idée est une procédure par laquelle une chose se présente à la pensée uniquement sous l’exigence de la vérité.
[1] Voir p. 9 : « Sartrien, je le fus fidèlement pendant quelques années, et d’autant plus que, sur le front politique ouvert dès 1954 par la sinistre guerre coloniale en Algérie, j’ai retrouvé en 1960 le Sartre qui savait combiner, dans son grand livre Critique de la raison dialectique, la théorie existentielle de la conscience et la considération des possibles sujets révolutionnaires »